La présence arménienne au Machreq : une peau de chagrin

La présence arménienne au Machreq : une peau de chagrin 938 400 La Rédaction

Par Tigrane Yegavian

Le dynamitage de l’église et du mémorial du génocide arménien à Deir ez Zor le 22 septembre par l’Etat islamique, jour anniversaire de l’indépendance de l’Arménie, sans doute une pure coincidence- l’attaque par les djihadistes de Kessab, une localité syrienne majoritairement peuplée d’Arméniens, en avril 2014, en superposition aux exactions dont ont été victimes les chrétiens et les yézidis d’Irak de la part de Da’ech, un mouvement longtemps parrainé par le bloc atlantiste et les pétromonarchies rétrogrades du golfe a fait planer le risque d’une éradication des minorités -arabes et non arabes.

Les patriarches et chefs des Églises orientales, lors d’un synode tenu fin Août au Liban, ont appelé la communauté internationale à assumer leur responsabilité dans «l’éradication» des mouvements terroristes, stigmatisant spécifiquement les «crimes contre l’humanité» commis par Da’ech [État Islamique] en Irak «contre les chrétiens, les yazidis et les autres minorités». Le synode a réuni les quatre patriarches de l’Eglise d’Orient, Béchara Raï (maronite), Grégoire III Laham (grec-catholique), Mgr Nersès Bedros XIX (arménien-catholique), Ignace Youssef III Younan (syriaque-catholique), Louis Raphaël Ier Sako (Chaldéen), Mgr Ephrem II Karim (syriaque orthodoxe), Aram Ier Kéchichian (arménien-orthodoxe) et le chef de l’Église évangélique, le pasteur Sélim Sahyoun.

Le point sur les Arméniens du Moyen-Orient.

Paris – Minorité transnationale par excellence, la diaspora arménienne au Moyen-Orient existe depuis l’antiquité mais c’est surtout le génocide de 1915 qui aura eu raison du dynamisme socioculturel de ces communautés au cours du XXe siècle. Jadis, fer de lance du nationalisme arménien en diaspora, leur inexorable déclin s’est accéléré au rythme des dernières secousses telluriques que connaît la région

I. Une relation plurimillénaire

Peuple indo-européen voisin de la Basse Mésopotamie, les migrations arméniennes vers le Croissant fertile remontent à l’antiquité. De 95 à 55 av JC le règne de Tigrane II le Grand fit de l’Arménie une puissance régionale rivale de Rome.

Frappant monnaie à Antioche, Tigrane II élargit les frontières de son royaume et de ses vassaux avec un territoire embrassant la mer Caspienne et la mer Méditerranée. De fait, les commerçants, arméniens essaimèrent en nombre suffisamment important pour se constituer en communautés à Bagdad, Bassora, Alep, Jérusalem et Le Caire.

Aussi ambivalente que fut la conquête de l’Arménie en 645 par les Arabes, ces derniers furent accueillis comme les libérateurs contre la pesante tutelle de Byzance, faisant montre d’une relative tolérance à l’égard des chrétiens monophysites. De son côté l’armée de l’Egypte fatimide était en grande partie composée d’officiers arméniens (1).

En 1375, la chute du Royaume arménien de Cilicie, établi sur la côte méditerranéenne, sous les assauts des Mamelouks turcophones, entraîna un nouvel exode vers Chypre mais aussi la Syrie voisine. Ses descendants demeurés fidèles à l’église arménienne apostolique sont restés connus par leur appellation d’«Armen Adim» (anciens arméniens). Mais c’est surtout le génocide de 1915 orchestré par le parti «Union et Progrès» des Jeunes Turcs au pouvoir à Constantinople qui aura raison de l’éradication des Arméniens de leur foyer national historique.

Synonyme de désolation, c’est à Alep que s’entassèrent les convois de déportés, ultime étape avant le désert de Syrie et la mort. Aujourd’hui encore la région de Deir ez-Zor, dans l’actuel Califat de l’état islamique, abrite de vastes charniers d’ossements de martyrs arméniens.

Si les Jeunes turcs invoquèrent l’islam pour gagner le soutien des Kurdes dans leur entreprise d’extermination, en 1917, le chérif de la Mecque et Gardien des Lieux Saints, Hussein Ibn’Ali (1854-1931), de la maison des Hachémite, promulgua un firman chargeant les tribus arabes du Djéziré de porter secours et protection aux réfugiés Arméniens ainsi qu’aux autres chrétiens persécutés par les turcs (2).

Produit en 1996, un feuilleton télévisé syrien «les frères de la terre» (Akhwat al Turab), consacra un épisode entier à cette épisode de l’extermination des Arméniens dans le contexte de la grande révolte arabe contre les turcs ottomans. La diffusion de l’épisode suscita l’ire d’Ankara dans un climat déjà très tendu au niveau des relations turco-syriennes.

Une reconstruction nationale (3)

Réfugiés dans un espace post-ottoman, entassés dans des camps de fortune à la périphérie des grandes villes du Moyen Orient, déphasés dans un milieu socioculturel étranger, la première génération s’est regroupée par villes et villages de l’Arménie ottomane. Aussi démunis étaient-ils, les réfugiés entamaient dès le début une entreprise de construction nationale. Les écoles étaient omniprésentes dans les camps, tout comme les églises.

Témoins et victimes impuissants du noir destin de leur peuple, les partis politiques traditionnels nés au crépuscule de l’empire ottoman, devenus des partis transnationaux, ont poursuivi leurs fonctions tribunitiennes auprès de cette société éclatée. Ils bénéficiaient pour cela d’une presse prolifique qui joue également un rôle pédagogique destiné à préserver le patrimoine linguistique et littéraire national. Ce processus d’édification socioculturelle se fera par le biais d’institutions communautaires et d’une multitude d’acteurs institutionnels, souvent en rivalité idéologique et partisane.

Guerre froide oblige, le petit monde arménien n’a pas échappé pas à la polarisation entre d’une part, le grand parti nationaliste Tachnag lequel défend bec et oncle l’indépendance de l’Arménie, en butte aux deux autres partis Hinchak (d’inspiration socialiste) et Ramgavar (libéral), ayant fait le choix d’une politique «réaliste» à l’égard de l’Arménie soviétique, qui à la suite de la disparition de l’Arménie occidentale endossait le rôle «mère patrie» par procuration.

Le point culminant de cette tension aura lieu lors de la guerre civile libanaise de 1958 autour de l’élection controversée du Catholicos de Cilicie, deuxième figure de l’église arménienne apostolique, siégeant à Antélias au Liban depuis 1930. Des combats fratricides se déroulèrent entre partisans d’un candidat proche du parti tachnag et ceux qui défendaient une politique d’ouverture vis-à-vis de l’Arménie soviétique, où se trouve le saint Siège d’Etchmadzine, la plus haute autorité de l’église arménienne. Ces échauffourées sanglantes causèrent plusieurs centaines de victimes, à l’origine d’une fracture durable au sein des communautés arméniennes du Liban. Par ricochet, elles semèrent le trouble en diaspora.

L’âge d’or arméno libanais, quant à lui, commença dès la moitié de la décennie 1960. Il durera jusqu’à l’éclatement de la guerre civile de 1975. Beyrouth abrite encore aujourd’hui l’université Haïgazian, unique institution du genre en diaspora, l’union culturelle Hamazkaïn et le Catholicosat de Cilicie continuent de produire à eux seuls la majorité des ouvrages en langue arménienne en dehors de l’Arménie.

La persistance du Millet.

Point commun de toutes les trajectoires arméniennes au Machreq, la continuité du modèle ottoman du Millet. Ce terme désigne une communauté religieuse non musulmane légalement protégée et dont l’organisation hiérarchique constitue un moyen efficace pour le pouvoir ottoman d’exercer son contrôle sur ses membres.

Si la spécificité libanaise a créé une situation d’exceptionnelle liberté pour les Arméniens, les autres communautés n’ont pour ainsi dire qu’à de rares occasions pris part à la vie publique de leurs patries d’adoption. Proportionnellement en nombre modeste, les Arméniens se sont aisément fondu plus dans les grandes villes (Le Caire, Bagdad, Damas). A l’inverse leurs quartiers situés dans des villes à forte concentration chrétienne comme Alep et Beyrouth ont pris des allures de véritable ghetto. C’est notamment le cas de Souleymanié et Midan à Alep et surtout de Bourj Hammoud dans la banlieue de Beyrouth.

II. Le Liban, poumon de la Diaspora.

Siège du Catholicos de Cilicie déplacé de Sis, la plus grande autorité spirituelle réside hors des frontières de l’Arménie actuelle. Le Liban occupe en effet une place toute particulière dans le cœur des Arméniens de la diaspora.

Au lendemain des massacres de 1860 de la montagne libanaise, un compromis entre les puissances européennes et les ottomans stipulait la nomination d’un gouverneur Moutassarif de confession catholique mais non libanais.

C’est ainsi que fut nommé l’arménien Garabed Artin Daoud Pacha (1861-1868) tandis que son lointain successeur Ohannès Kouyoumdjian Pacha (1912-1915) vit son mandat interrompu par l’éclatement de la Première Guerre Mondiale.

Les Arméniens, dont la première génération n’a que très mal appris l’arabe, se sont ainsi regroupés dans des camps notamment à la lisière de Beyrouth et sur le littoral. Ils se sont rapidement accommodés avec la formule libanaise du «fédéralisme à base personnelle», un «consociativisme» qui a joué en faveur d’une population laquelle n’étant plus perçue comme une minorité pour devenir membre intégrante du concert des 17 communautés officiellement reconnues.

C’est au Liban que les partis traditionnels ont amorcé un travail de militantisme aux résultats limités. Depuis des lustres, le parti tachnag fait la pluie et le beau temps dans le quartier de Bourj Hammoud (4). Point de convergence des mouvements de libération nationale, Beyrouth de la décennie 1970 fut un véritable laboratoire du nationalisme arménien et du militantisme politique en diaspora; un terreau révolutionnaire qui vit notamment émerger sur son sol l’Armée secrète arménienne pour la libération de l’Arménie (ASALA). Par ailleurs, jamais les écoles et les centres d’arménologie n’ont été aussi développés qu’au Liban. A l’heure actuelle, l’écrasante majorité des cadres et enseignants des structures pédagogiques arméniennes est soit issue d’Alep ou de Beyrouth.

C’est aussi au Pays du Cèdre que furent produits les premiers longs métrages (en couleur) arméno libanais inspirés du romantisme égyptien à l’eau de rose. Mais la guerre civile portera un coup sévère à cet âge d’or de la diaspora.

Fortement ébranlés par les agissements des Phalangistes et de leurs alliés des Forces libanaises et du Parti national libéral de Chamoun malgré leur choix d’adopter une politique dite de «neutralité positive», les Arméniens perdront la plus grande partie de leurs meilleurs cadres et intellectuels ainsi que plusieurs dizaines de milliers des leurs au cours de bombardements et de féroces combats pour défendre Bourj Hammoud des assauts phalangistes mais aussi de la milice des Tigres de Chamoun.

Cette saignée démographique consécutive à l’émigration aura de funestes répercussions aussi bien en termes quantitatif que qualitatif. En 1991 sur les 165.000 Arméniens Libanais d’avant-guerre il n’en restait plus que 80.000. Malgré ce déclin, une sur représentation parlementaire et gouvernementale persiste (cinq députés et deux ministres).

Les Arméniens conservent une certaine visibilité dans l’espace public libanais à travers la renommée mondiale de leurs artistes (peintres, photographes), tandis que les médias arméniens du Liban poursuivent leur mission d’information et abrite deux stations de radio arméniennes concurrentes (une pro tachnag, l’autre financée par le Courant du Futur de l’ancien premier ministre pro saoudo-américain, Saad Hariri) qui se livrent une guérilla des ondes, sans parler de la diffusion de journal télévisé en langue arménienne diffusé simultanément à la même heure sur une chaîne pro Courant Patriotique Libanais du général Michel Aoun et l’autre pro Hariri (5).

III. Syrie: «La Mère diaspora», une minorité protégée

Ultime étape des convois de déportation, synonyme à la fois de mort et de renaissance, la Syrie demeure envers et contre tout dans les esprits la «Mère diaspora». Sur les 80.000 Arméniens établis dans les années 2000 entre Alep, Damas, Qamichlé, Deir ez-Zor, Kessab et Lattaquié, presque la moitié ont fui la guerre civile.

Dans une logique de reproduction du Millet et confinée dans son ghetto, la communauté arménienne a pu s’épanouir et se doter des meilleurs établissements scolaires de la diaspora. En 1946, ils furent toutefois nombreux à répondre aux sirènes d’un rapatriement vers l’Arménie soviétique où ils y souffrirent des rigueurs du stalinisme.

La seconde vague d’émigration se fera dès l’établissement du régime d’union avec l’Égypte nassérienne. Les expropriations, la réforme agraire, un contrôle policier étroit, doublée d’une menace sur leurs écoles en 1967 auront eu raison de la crainte de nombreuses familles aisées. Le coup d’état «rectificatif» du général Hafez Al Assad en 1970 apportera la stabilité et une relative prospérité à une communauté cooptée par un régime soucieux de faire le jeu des minorités en vue d’asseoir sa légitimité (6).

Les tragiques événements déclenchés en mars 2011 suscitent une nouvelle vague d’inquiétudes dans les rangs arméniens. Sceptiques envers une opposition hétéroclite dominée par les Frères Musulmans, conscients de l’absence d’alternative politique concrète au régime des Assad, ils ont fait le pari d’une «neutralité positive» calquée sur le modèle libanais.

L’assaut contre Kessab

Las! Subissant une guerre qui n’est pas la leur, leur réalité géopolitique et démographique et les particularités propres au contexte de la guerre civile syrienne ont rendu quasi impossible la stratégie d’auto-défense des quartiers arméniens. Ayant refusé les armes proposées par l’armée syrienne, des compagnies de jeunes volontaires arméniens s’étaient composées notamment dans le canton de Kessab qui jouxte la frontière du Sandjak d’Alexandrette occupé par la Turquie.

Le 21 mars 2014, la prise du canton par les djihadistes d’Ansar al Sham, Jund al Cham et du Jobhat al Nosra, avec le soutien logistique de la Turquie voisine, suscita un émoi sans précédent dans toute la diaspora et l’indifférence des relais occidentaux de l’opposition syrienne. Soucieux du maintien de la mosaïque syrienne dans le cadre d’une réconciliation nationale, les Arméniens n’ont pas oublié le rôle accordé par les arabes syriens dans le sauvetage de leurs ancêtres. L’absence d’un leadership politique et spirituel porteur d’une vision commune, replié dans leurs quartiers soumis à la rage des bombardements aveugles des rebelles, a dilué la voix des Arméniens dans le bruit du chaos syrien (7).

IV. Les Arméniens de Saddam.

Contrairement à la Syrie des Assad, les Arméniens d’Irak arrivés au lendemain du génocide n’ont pu sauver leurs écoles quotidiennes, frappées par la politique d’arabisation forcée du parti Baas. Or, contrairement aux Kurdes et aux Turkmènes, les Arméniens n’ont relativement pas eu à souffrir du régime de Saddam Hussein, bénéficiant d’un statut enviable de minorité protégée.

Saddam Hussein nourrissait une confiance absolue envers les Arméniens dont il appréciait les services dans son palais. Pour l’anecdote outre son tailleur et son fleuriste, tous deux Arméniens, il avait confié la garde de ses fils à une bonne arménienne qui au passage leur a appris sa langue maternelle.

Malgré les rudesses de l’embargo consécutif à la seconde guerre du Golfe, ils étaient plus de 25.000 arméniens regroupés à Bagdad et Mossoul à la veille de l’invasion américaine de 2003. Aujourd’hui ils ne sont plus qu’une petite poignée à Bagdad et Erbil, dans la foulée de l’assaut de l’état islamique, les dernières familles arméniennes de Mossoul ont dû prendre le chemin du Kurdistan où ils ont un député qui siège au Parlement autonome.

V. Égypte, échos d’un passé lointain

Pâles reflets de l’éclat d’un glorieux passé, les Arméniens d’Égypte ont eu leur illustre personnage en la figure de Nubar Pacha (1825-1899) (8). Ce jeune aristocrate arménien a débarqué de sa Smyrne natale en Égypte où il y mena une fulgurante carrière politique au service des Khédives successifs, devenant Premier ministre à trois reprises.

Artisan de la modernisation de l’administration égyptienne, créateur des Tribunaux mixtes, bien que ne maîtrisant pas l’arabe il se montra le plus résolu défenseur des intérêts de sa patrie d’adoption vis-à-vis de Constantinople mais aussi pour contrer les appétits occidentaux, créanciers de l’Égypte et exploiteurs sans vergogne des bâtisseurs du canal de Suez.

Parfaitement intégrés dans la société cosmopolite du Caire et d’Alexandrie, nombreux furent les intellectuels et révolutionnaires arméniens ayant trouvé refuge en Égypte avant et après le génocide, fuyant les persécutions ottomanes. La grande bourgeoisie arménienne d’Égypte sous la houlette du fils de Nubar Pacha, Boghos, y fonda en 1906 l’Union Générale Arménienne de Bienfaisance (UGAB), la plus importante ONG arménienne du monde. Quant à la presse et les écoles arméniennes d’Égypte, elles ont constitué une sorte d’avant-garde en diaspora jusqu’à l’arrivée au pouvoir des «officiers libres», en 1952, le coup d’état anti monarchique qui propulsa Nasser au pouvoir.

Voyant dans cette communauté bourgeoise un instrument au service de l’impérialisme occidental, le régime de Nasser multiplia les mesures d’expropriation envers les grands propriétaires. La crise de Suez accéléra l’émigration des 40.000 arméniens d’Égypte, en grande partie vers le Canada. Il y subsiste toutefois une petite communauté de 5000 âmes, fière de la richesse de son histoire.

VI. Palestine: les gardiens du Temple

Si la présence arménienne à Jérusalem remonte au règne de Tigrane II, les Arméniens construisirent dès le VIe siècle leurs églises et monastères. Leur quartier à Jérusalem s’est érigé sur le Mont Sion, il est le plus ancien quartier chrétien de la ville sainte. Dans l’ensemble de la Terre sainte, les Arméniens ont érigé près de 70 monastères. Crée en 638 le patriarcat arménien grand rival du Patriarcat grec orthodoxe, de Jérusalem (9) a joué un rôle de premier plan pendant le génocide.

En 1948 les réfugiés du génocide subirent le même sort que leurs compatriotes palestiniens. Chassés par les sionistes, environ 4000 arméniens habitant les villes côtières de la Palestine mandataire n’ont pu regagner leurs maisons. La plupart partirent pour le Liban, la Syrie et l’Occident, seule une poignée se réinstalla en Jordanie, rejoignant la petite communauté arménienne qui s’était formée à la fin de la Première Guerre mondiale, tandis que seulement 800 à 1 000 Arméniens restèrent à Jaffa.

Plus funeste encore sera le choc de la défaite de 1967, qui bouleversa la vie des Arméniens de Jérusalem et de Cisjordanie, désormais coupés du reste des communautés du Moyen Orient. Ils durent subirent les affres de la politique de judaïsation de la ville sainte qui se poursuit encore aujourd’hui à leur dépend ainsi que des dégâts consécutifs à destruction du quartier des Maghrébins contigu au quartier arménien sans oublier les multiples expropriations de terrains appartenant au Patriarcat arménien.

Gardiens du temple, ils ne sont plus que quelques laïcs, artisans, commerçants et religieux à s’accrocher à leur quartier, défiant la politique israélienne d’incitation à l’émigration, un chiffre tombé en dessous de la barre des 2000 âmes. Enjeu géopolitique notable, le quartier arménien fut l’objet d’âpres négociations de Camp David en 1999 entre l’Autorité nationale palestinienne de Yasser Arafat et le gouvernement israélien d’Ehud Barak. A tel point que le vieux leader palestinien prononça cette phrase restée célèbre: «je m’appelle Arafatian pour leur indiquer mon appartenance au groupe ethnique arménien et mon engagement à défendre leurs droits! (10).

Signe de leur attachement à la patrie palestinienne, certains Arméniens ont brillé par leur appartenance à l’OLP, ce fut le cas d’Albert Aghazarian (11), historien et recteur de l’université de Bir Zeït, ou encore Manuel Hassassian (12), ancien professeur à l’université de Bethléem, actuel ambassadeur de la Palestine à Londres.

VII. Jordanie et Péninsule Arabique: le repli sur soi

Constituée de quelques 2000 âmes, la communauté arménienne de Jordanie, installée principalement à Amman en moindre mesure à Akaba est dotée d’une église, d’une école, de quelques associations sportives et culturelles. Ses responsables entretiennent d’excellentes relations avec la maison des Hachémites.

Originaires de Syrie et du Liban, des communautés arméniennes expatriées de création récente se sont formées graduellement dans les pays de la péninsule arabique (Koweït, Arabie saoudite, Qatar, Émirats Arabes Unis) dans les décennies 1960-1970.

Bien qu’ils ne bénéficient pas de la citoyenneté de leur pays de résidence, ils ont pu se doter progressivement d’institutions communautaires, incluant associations, écoles, églises (à l’exception notable de l’Arabie saoudite).

Une question stratégique

Plusieurs décennies d’émigration ininterrompue vers l’Europe et l’Amérique du Nord auront eu raison de l’inexorable déclin démographique des Arméniens du Moyen-Orient arabe mais aussi de l’Iran. Cette mort lente marque ainsi la fin d’une séquence inaugurée par le système du Millet ottoman.

Plus inquiétant, cette émigration participe d’une dynamique d’homogénéisation des sociétés moyennes orientales, un projet défendu tacitement par les tenants de la droite sioniste israélienne et par les États-Unis depuis des décennies. Après l’échec d’instaurer un État croupion maronite au Liban, ceux-ci œuvrent à légitimer la présence d’un État sur une base confessionnelle implanté mais non intégré dans la mosaïque du Machreq arabe. En témoigne, le rôle important joué par les églises évangéliques arméniennes mais aussi l’UGAB pour stimuler l’émigration vers les États-Unis des Arméniens du Liban.

Considérant à juste titre la présence arménienne en Moyen Orient à proximité de l’Arménie occidentale aujourd’hui en Turquie, comme une question stratégique, nombreux furent les Arméniens à manifester leur inquiétude face à ce mouvement migratoire. Les plus radicaux d’entre eux n’hésitèrent pas à employer l’action armée pour faire entendre leur message. Ce fut le cas de l’ASALA qui, en janvier 1975, inaugura une décennie d’attentats en frappant à Beyrouth le siège du conseil mondial des églises tel un message de condamnation du rôle joué par cet organe dans la promotion de l’émigration des Arméniens du Liban vers les États Unis.

Si cette saignée démographique entraîne des conséquences dramatiques pour la diversité ethnoculturelle de la région, elle l’est encore plus grave pour l’identité arménienne à l’échelle de la diaspora. Parfaitement intégrés en Occident, les Arméniens font preuve d’une aptitude à se fondre très rapidement au sein des sociétés d’accueil. Du reste, ils n’ont pas trouvé à ce jour une troisième voie se posant en alternative à l’assimilation d’une part et au communautarisme de l’autre.

Notes
  1. Dadoyan, The Fatimid Armenians: Cultural and Political interaction in the Near East. Les troupes arméniennes étaient évaluées à 7000 hommes cantonnés au nord du quartier d’Husayniyya. Ces soldats chrétiens, fantassins et cavaliers, étaient arrivés en masse sous Gamâlî (Lev, Saladin in Egypt, p. 141).
  2. http://www.globalarmenianheritage-adic.fr/0ab/x9_husseinibnali.htmhttp://www.globalarmenianheritage-adic.fr/0ab/x9_husseinhayeren.htm
  3. Pour en savoir plus sur l’histoire des communautés arméniennes de Syrie et du Liban voire l’étude exhaustive de Nicola Migliorino : (Re)constructing Armenia in Lebanon and Syria: Ethno-cultural Diversity in the Aftermath of a Refugee Crisis, Berghahn Books, 2008 -242 pages
  4. Tigrane Yégavian, Dans les méandres d’un parti secret : Les 1001 vies du Tachnag, Hebdo Magazine, Juillet 2010: http://mplbelgique.wordpress.com/2010/07/26/dans-les-meandres-d%E2%80%99un-parti-secret-les-1001-vies-du-tachnag/
  5. Tigrane Yégavian «A l’écoute de la Voix de Van» France Arménie, juillet 2010
  6. Tigrane Yégavian, Syrie chronique d’une mort annoncée, France Arménie, Septembre 2012
  7. Tigrane Yégavian, Kessab rattrapé par le conflit syrien, France Arménie, mai 2014 http://www.mondialisation.ca/kessab-rattrape-par-le-conflit-syrien/5380033
  8. http://english.ahram.org.eg/NewsContent/18/62/489/Books/Review/Book-review-The-Memoirs-of-Nubar-Pasha.aspxb
  9. http://www.armenian-patriarchate.org/ voir aussi
  10. http://www.aztagarabic.com/archives/13349
  11. http://www.globalarmenianheritage-adic.fr/fr/4diaspora/3mondial/palestine_arafat.htm
  12. http://www.franceculture.fr/personne-albert-aghazarian.html
  13. http://www.passia.org/palestine_facts/personalities/alpha_h.htm
Illustration

La destruction par les militants de l’État islamique d’une église arménienne dans l’est de la Syrie qui abritait le principal mémorial pour les victimes du génocide de 1915 en Turquie ottomane.
Crédit : https://twitter.com/Zinvor/status/514771336879955968

La Rédaction

Madaniya - Civique et citoyen. Madaniya s'honore de la responsabilité d'abriter au sein de sa rédaction des opposants démocratiques en exil, des rechercheurs, des écrivains, des philosophes en provenance d'Afrique, des pays du golfe, du Moyen-Orient, et d'Amérique latine, dont la contribution se fera, pour ceux qui le souhaitent, sous le sceau de l'anonymat, par le biais de pseudonyme.

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