L’inefficacité du droit international dans la lutte anti-terroriste

L’inefficacité du droit international dans la lutte anti-terroriste 938 400 Anne-Marie Lizin

Initiative multilatérale du GNRD et tentative d’un modèle réduit au niveau du droit européen

par Anne-Marie Lizin

Texte d’une intervention au colloque « Global Network for Rights and Development » (GNRD), une ONG norvégienne organisatrice de la conférence sur le thème « Media et terrorisme » et « Les moyens de lutte contre le terrorisme » Genève 16-18 Février 2015, au lendemain de l’attentat de Copenhague, dans la foulée du carnage de Charlie Hebdo du 7 janvier 2015.

1-  Introduction

L’inefficacité du droit international en matière de lutte anti-terroriste est établie : les instruments crées après le 11 septembre 2001 sont incomplets, mal appliqués et la carte de l’application de ces ébauches de droit international reflète tout simplement les rapports de force entre pays dotés de service de renseignement plus ou moins efficaces. L’objectif n’est pas atteint. Que faire ?

Nous parlons ici de deux concepts aux antipodes l’un de l’autre.

D’une part, le droit international, cet ensemble de textes élaborés pendant de nombreuses années, fruits d’équilibres difficiles, de petites et grandes négociations au sein du monde de l’ONU ou des organisations régionales. Dans le thème de l’anti-terrorisme, nous verrons que l’ONU et l’Union Européenne (UE) ont effectivement établis des instruments multiples, mais que le reste du monde travaille en fait sur le mode bilatéral et non multilatéral ou régional.

D’autre part, la lutte anti-terroriste est, elle, le nec plus ultra de l’opérationnalité immédiate, dans l’urgence, de services qui ont pour règles les limites de leur légalité nationale, et leur franchissement fréquent, donc le secret et la méfiance.  Voir à ce propos l’ouvrage  d’Alain Chouet « Au cœur des services spéciaux, la menace islamistes : fausses pistes et vrais dangers ». Entretien avec Jean Guisnel, La Découverte, Paris, 2011.

Comment, dès lors, espérer une efficacité du droit, a fortiori international, dans une telle matière ?

Seuls de vrais sursauts collectifs, de vraies prises de conscience d’un danger global peuvent y conduire, par petites ou grandes évolutions, par petits ou grands progrès dans la prise de conscience que le monde est, en cette matière aussi, vraiment devenu global. Et que, sans doute, dans ce monde, les terroristes sont les plus rapides à en utiliser les moyens nouveaux : passer outre des frontières, partager une volonté solide de revanche, pour faire exister ceux à qui on dénie la justice selon leurs analyses.

Nous analyserons donc les moments de progrès, après les drames, les erreurs récurrentes, puis l’Europe et ses tentatives d’un modèle réduit pour  une évolution multilatérale utile.

2- Les grandes prises de conscience qui font progresser le débat du droit international anti-terroriste :  le  11 septembre 2001 et le 7 janvier 2015

Dans « Un monde plus sûr, notre affaire a tous », le groupe de personnalités de haut niveau, rassemblé par Kofi Annan, ont fait la liste des progrès du droit international à réaliser (texte déposé en novembre 2004).

Al Qaeda y apparaît en pleine croissance, le conflit israélo-palestinien est à peine cité en termes voilés par allusion à  « la cessation des occupations ». Par contre deux priorités sont affirmées : la dé marginalisation des femmes dans le monde musulman, et la promotion des libertés publiques dans ce même monde

La prévention du terrorisme réclame de « meilleurs instruments de coopération mondiale contre le terrorisme, dans un cadre respectueux des libertés civiles et des DH, portant sur le maintien de l’ordre, l’échange de renseignements SI POSSIBLE, et (…) le  renforcement de la capacité des états défaillants ».

En 2004, ils font appel aux États membres qui n’ont pas encore ratifié les 12 conventions internationales contre le terrorisme et les huit recommandations de l’OCDE sur le financement du terrorisme. Certains états restent en dehors de ces conventions, ou les ratifient sans les mettre en œuvre dans le droit interne. La création du Comité des Nations Unies contre le terrorisme est destinée à combler les lacunes des états dans cette lutte, mais dispose de trop peu de moyens, déjà en 2004

Déjà à ce moment, des abus apparaissent : le comité ONU des sanctions contre Al-Qaïda et les talibans devrait, disent les hautes personnalités invitées, mettre en place une procédure plus sérieuse d’examen des cas de particuliers et d’institutions qui estiment avoir été anormalement et injustement maintenus sur ces listes de personnes ou entités à surveiller

C’est précisément l’objet de l’initiative du GNRD, et en particulier de la Convention internationale proposée ici.

Les moyens de l’Onu sont si limités que la plupart des États qui cherchent à améliorer leurs capacités opérationnelles en matière de lutte anti-terroriste se retrouvent très vite limités dans une démarche bilatérale, dont on connaît les éléments de déséquilibre des forces, et les dominants absolus. Il s’impose évidement de renforcer les moyens de l’ONU et de sa direction du comité contre le terrorisme mais cela n’est pas suffisant pour en faire un mécanisme multilatéral

Il n’y a donc toujours aucune définition commune du terrorisme adoptée au niveau de l’ONU, et les efforts pour y parvenir sont très tièdes, pour une raison évidente : ils imposent de clarifier l’analyse sur la zone du conflit israélo-palestinien, ce qui ne pourra jamais se réaliser devant le Conseil de sécurité, et même si une telle définition était adoptée en Assemblée Générale, elle devrait l’être par vote qui éloignerait l’unanimité, avec ceci de particulier que les usa se retrouveraient isolés sur ce thème, perspective de paralysie ultérieure.

Et pourtant : le cadre normatif du droit international qui entoure en fait l’usage de la force par les États membres, doit être complété par un cadre de même autorité visant l’usage de la force par des forces irrégulières, ne représentant aucun état.

Que doit comporter un instrument global, qui donnera une définition du terrorisme ?

– « reprendre les actes visés dans les 12 conventions et déclarer qu’ils relèvent du terrorisme et sont un crime au nom du droit international, et rappeler l’interdiction du terrorisme en cas de conflit armé.

– « qualifier de terrorisme tout acte commis dans l’intention de causer la mort ou des blessures graves a des civils non combattants, avec pour objectif d’intimider une population, ou contraindre un gouvernement, ou une organisation internationale à accomplir un acte ou à s’abstenir de le faire ».

Nous verrons au point 4 l’effet encore attendu des drames vécus à Paris le 7 janvier 2015, qui ont réveillé les consciences endormies petit à petit à New York et dans les principaux cénacles multilatéraux. Endormis : est-ce possible après le 11 septembre 2001 ? OUI, car le thème de l’anti-terrorisme fut très rapidement suivi de multiples erreurs qui  handicapent encore aujourd’hui la scène internationale et ont créé une méfiance à son plus haut niveau depuis la guerre 1939-1945 entre les acteurs principaux de cette scène internationale.

3- Les grandes erreurs qui font régresser le droit international et le paralyse

– L’absence de respect des résolutions de l’ONU sur la Palestine est la substance de base de la méfiance internationale non-occidentale

– La décision de la guerre en Irak en 2003 contre l’avis de la France, et des autres membres du Conseil de sécurité, ainsi que la gestion ultérieure du conflit

– La gestion des résolutions sur la Libye puis sur la Syrie

Je voudrais vous rappeler une anecdote qui semble oubliée de tous aujourd’hui, et que m’a rappelée Mr Colin Powell, mon voisin lors des cérémonies d’intronisation de M. Viktor Youchenko comme président de l’Ukraine, il y a quelques années.

Le 11 septembre crée un choc énorme de toutes les opinions publiques. M. Powell est à ce moment le State Secretary et publie un appel à la collaboration anti-terroriste, aux renforcements des pratiques de collaboration au niveau mondial et… ajoute un paragraphe sur le fait qu’il faut aboutir à la paix en Israël/Palestine. M. Sharon prend l’avion immédiatement pour Washington, avec un seul objectif : faire dire l’inverse au Président Bush et mettre tous les palestiniens dans le même « sac » comme il le  dit au départ de son voyage sans fioritures, donc dans le  groupe des terroriste mondiaux.

Il s’agit de définir la « war on terror » de manière complète et de s’assurer en même temps que ces actes ne vont pas devenir une raison de chercher la paix en Palestine. Pour lui, il faut donc que TOUS les palestiniens en fasse partie. Exit donc Colin Powell et son texte dont on n’entendra plus parler, qui ne sera plus  jamais cité au niveau international, montrant ainsi la contradiction pourtant évidente, entre un homme intelligent, déjà épuisé à ce moment-là par les tactiques israéliennes (comme l’est sans doute John  Kerry en ce moment) de refuser la paix, et George W Bush qui, lui, sur ce sujet, n’a aucun état d’âme.

– Pour la mise sur pied d’un allié musulman : le jeu trouble d’Israël

Car la naissance de la « war on terror » en 2001 s’est faite aux côtés privilégiés de l’état israélien. Et c’est  encore le cas aujourd’hui, lorsqu’on comprend la technique qui pousse Benyamin Netanyahou à s’imposer à Paris, comme il tente de façon inacceptable de s’imposer au Congrès américain. C’est ce privilège qu’il faut combattre, au nom de l’efficacité de la lutte anti-terroriste.

Pour empêcher ce privilège -qui a rendu inefficace le droit international et qui porte donc une énorme responsabilité en terme de sécurité mondiale-, il faut élever, structurer, construire un allié musulman, capable d’être un interlocuteur complet dans cette lutte anti-terroriste, capable de mener cette lutte par l’information, l’échange de ces informations, par la capacité opérationnelle d’agir et capable finalement aussi d’obtenir par son existence  de forcer  un accord de paix conforme aux résolutions de l’ONU et donc de restaurer enfin la justice dans le droit international. Un tel allié musulman doit être un interlocuteur reconnu des services européens, et si possible américain et canadien. Le chemin est long et nous l’entamons aujourd’hui.

Le GNRD, par cette initiative, tente une première approche destinée à créer un mécanisme anti-terroriste  multilatéral, respectueux des États dans toute leur diversité mondiale, et apte à restaurer un équilibre essentiel à la réussite de ce droit international.

4- L’Europe peut-elle être un modèle réduit efficace dans la lutte anti-terroriste ?

C’est ici que l’effet du 7 janvier 2015  à Paris est efficace. Ma réponse est positive. Et c’est bien la raison de notre présence ici à Genève. Après un conseil européen informel de ce 12 février à Bruxelles, ou la volonté de collaborer a été répétée dans toutes les langues de  l’Union.

L’Europe veut enfin une vraie compréhension de ce qui se passe sur son territoire, chez elle. Ce n’est pas tant le choc avec le monde musulman externe qui l’intéresse (elle continue à avoir des comportements très serviles sur la Syrie, par exemple), mais bien son monde interne, proprement européen. Certes ceci touche peu la Pologne, ou la Lituanie. Mais la volonté est désormais partagée. La « Stratégie de sécurité Intérieure 2010-2014 » de 2005 était bien insuffisante, même si elle a permis les décisions cadre puis les directives sur la lutte contre le terrorisme, le blanchiment, les armes à feu, le mandat d’arrêt européen, le mandat européen d’obtention de preuves, le renforcement d’Eurojust et d’Europol, bien inefficace encore, et  Frontex… sans commentaires.

Anne-Marie Lizin

Anne-Marie Lizin fut une personnalité politique belge. 32e Présidente du Sénat de juillet 2004 à juillet 2007 (elle fut la première femme à devenir Présidente du Sénat), Bourgmestre de la Ville de Huy de 1983 au 23 mars 2009. Elle fut l'auteur de propositions de lois concernant l’énergie nucléaire, les milices privées, la sécurité des personnes ainsi qu'en matière de droit des étrangers. Auteure de la loi pénalisant la violence entre conjoints. Membre de la commission d'enquête sur le génocide du Rwanda. Membre de la commission d'enquête sur le trafic d'êtres humains (chambre 1995). Elle était, depuis 2003, professeur à l’Institut d'études politiques de Paris où elle enseigne le fonctionnement des organisations internationales

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