Du drone, de la guerre contre le terrorisme et de la démocratie

Du drone, de la guerre contre le terrorisme et de la démocratie 938 400 Jean François Fechino

par Jean François Fechino, Président de l’Institut pour la Paix, la Justice et les Droits.

www.madaniya.info s’honore d’accueillir au sein de sa famille de contributeurs, Jean François Fechino, Président de l’Institut pour la Paix, la Justice et les Droits, dont la première contribution portera sur l’un des sujets les plus mystérieux et controversés de la polémologie contemporaine : Les drones.

Propos liminaires de la rédaction de www.madaniya.info

Un drone (de l’anglais « faux-bourdon »), également appelé UAV (pour Unmanned Aerial Vehicle), ou encore RPAS (Remotely Piloted Aircraft Systems). Il s’agit d’un aéronef sans personne à bord, télécommandé ou autonome, qui peut éventuellement emporter une charge utile, destinée à des missions (surveillance, renseignement, exploration, combat, transport). Les drones ont d’abord été utilisés au profit des forces armées ou de sécurité (police, douane), mais ont aussi des applications civiles (Cinéma, agriculture, environnement).

Le grand essor des drones date de la Guerre de Corée (décennie 1950) et de la Guerre du Viêt Nam (1965-1975). À cette époque de la guerre froide, le drone a été développé de façon confidentielle par les Etats Unis d’Amérique comme un moyen de supériorité stratégique et de rupture capacitaire devant permettre la surveillance et l’intervention militaire chez l’ennemi sans encourir les risques humains que l’opinion ne supportait pas. Dans la décennie 1990, la doctrine de la guerre « zéro mort » conduit à développer les projets de drones armés à travers le monde, mais la toute première utilisation de ceux-ci a lieu durant la guerre Irak-Iran (1979-1989).

Depuis la décennie 2000, l’usage de la drone se généralise à tous les conflits (Kosovo, Tchad), la traque des Talibans au Pakistan, de même que contre la piraterie maritime en 2009, dans le secteur Golfe d’Aden-Océan Indien.

Les États-Unis disposent depuis la décennie 1990 de la plus grande flotte de drones en service. Leur nombre et leurs rôles vont croissant, complétant ou remplaçant les avions pilotés qui ont vu leur nombre décroître depuis la décennie 1980 à la suite de l’explosion des coûts des appareils modernes et plus performants. En Janvier 2010, l’inventaire est de 6 819 drones de tout type, dont environ 200 appareils de haute altitude HALE (Predator, Reaper, Global Hawk), et les états-majors réclament 800 drones à haute altitude pour l’avenir.

L’US Navy consacrera par exemple un budget à ces drones de 2 milliards de dollars pour la période 2013-2015, budget qui pourrait monter à 7 milliards en 2020.

Amnesty International a accusé les États-Unis d’utiliser, sous le couvert de la CIA, les drones de façon totalement clandestine pour faire des exécutions extra-judiciaires au niveau international, un acte considéré comme une violation du Droit international et ne permet pas aux victimes, très souvent innocentes (dix fois plus de victimes qu’avec les avions conventionnels), de pouvoir réclamer des indemnités aux États-Unis.
À cela s’ajoute également le fait que ces drones tuent aveuglément toute personne tentant de porter secours aux victimes.
En juin 2013, le FBI a reconnu utiliser des drones de surveillance sur le territoire américain. Dianne Feinstein, présidente de la commission du renseignement au Sénat, a estimé le 18 juin 2013 que « la plus grande menace sur la vie privée des Américains était les drones.»

Ci joint le texte de l’intervention de Jean François Fechino, Président de l’Institut pour la Paix, la Justice et les Droits au colloque « Balancing Counter-Terrorism and Human Rights : Challenges and Opportunities », organisé par Global Network For Rights And Developpment (GNRD), tenu à Genève les 16-17 Février 2015.

Les drones, une réponse au terrorisme, lourde de conséquences

Genève,16. 02.15- Depuis quelques mois, l’Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits (Genève) suit de très près le dossier des drones. C’est même un dossier stratégique auquel l’Institut s’intéresse pour anticiper sur les usages des drones dans la sécurité publique. Des techniques inspirées par les drones militaires.

I- Une traque sécurisée mais contre productive

La traque des terroristes qui, très courageusement trouvent leurs meilleurs refuges au milieu des populations civiles, reste essentielle pour les autorités des pays occidentaux.

Si, en moyenne il faut au moins 50 personnes pour suivre l’activité d’un apprenti djihadiste, la traque pour neutraliser et capturer un terroriste professionnel, sur son propre terrain, reste très problématique pour tous les services de sécurité.

Et cette problématique est encore accentuée par la rigueur budgétaire imposée aux administrations, doublée par l’accroissement de la responsabilité humaine engagée vis à vis des citoyens qui ne veulent plus de morts sur des terrains d’opérations lointains, sans compter le respect des règles, des relations internationales et de la diplomatie.

Voilà pourquoi, le drone est devenu depuis quelques années la réponse facile à cette quadrature infernale.

Cependant, il n’existe que très peu d’information sur les programmes « d’assassinats ciblés » et encore moins de bilan. Pourtant, ce n’est ni faute d’avoir essayé, ni d’avoir interrogé les plus hauts responsables de ces programmes ou de mise en œuvre des dits programmes. Mais invariablement, les réponses obtenues, les bribes de réponses, restent vagues, imprécises et les engagements à plus de transparences incertains. Certains responsables américains, eux-mêmes, ont du mal à obtenir les informations.

Ainsi, le sénateur républicain Lindsey Graham, vétéran de la guerre du Golfe, supporter inconditionnel de l’usage de ces engins a du aller chercher des fourchettes de chiffres auprès d’ONG qui tentent de recouper les informations issues de la presse locale, avant de déclarer en février 2013, que les drones devaient être responsables de la mort de « 4700 personnes » et d’ajouter : « Parfois on frappe des personnes innocentes, ce que je déteste, mais nous sommes en guerre, et nous avons tué plusieurs hauts responsables d’Al-Qaida (1).»

Des faits qui sont très alarmants d’autant que pour ce qui concerne le nombre de civils touchés lors de ces « assassinats ciblés » reste lui aussi approximatif, entre 556 et 1128 selon l’ONG américaine Bureau of Investigative Journalism. Et même le rapporteur spécial des Nations Unies, Ben Emmerson, qui a investigué sur ce sujet n’a pas obtenus plus de précisions (2).

Cerise sur le gâteau, le responsable des programmes de drones américain a été nommé à la tête de la CIA qui a la haute main sur cette arme de guerre. Bien que le président démocrate Obama est promis de jouer la transparence, aujourd’hui il n’en est rien et tous les mardi, le bureau ovale approuve la black list soumise par la CIA pour actions d’éliminations…

Alors même que le drone est devenu le « nouveau bras armé d’une justice aussi lointaine qu’aveugle », il s’est transformé en une arme à double tranchant qui recrute de nouveaux terroristes, fait monter le sentiment du nationalisme et donne des idées de vengeance. Pakistan, Afghanistan, Yémen, Soudan – pour ne parler que de ces quelques exemples – l’emploi de drones programmé pour éliminer des terroristes est généralement contre productif du point de vue de la lutte antiterrorisme.

L’utilisation du drone, en tant que « tueur à gage » du XXI me siècle pose de nombreuses questions aussi bien aux défenseurs des droits de l’Homme, qu’aux diplomates, aux Institutions internationales et aux hommes de loi.

Les seuls qui ne semblent pas prêts à s’interroger sur leur usage sont certains gouvernants qui les utilisent massivement. Ici, nous passerons outre sur les questions de survol de territoires amis ou ennemis sans informations ni autorisations. Nous allons nous concentrer, quelques instants sur les conséquences de l’usage des drones et envisager ce qui pourrait advenir demain.

La première réflexion et question qui vient à l’esprit de tout être humain qui parle des drones est : à quoi peuvent bien servir ces engins ? Ces engins, de plus en plus sophistiqués, dotés de matériels pour des missions multiples et qui commencent à coûter presque aussi cher qu’un avion à réaction classique, sont utilisés sur tous les théâtres d’opérations actuels.

Surveiller, photographier, scruter, analyser, porter des charges voire en délivrer… que de missions diverses et variées et quelque fois même des missions « tout en un ». Quant aux risques ? Ils sont quasi nuls. Pas de pilotes, pas d’équipage, quasiment pas de trace radar avec une autonomie de plus en plus importante… De vrais jouets grandeur nature, pilotable depuis l’autre côté de la terre ! Bref, préférée des mamans de soldats qui savent que leurs fils sagement à la caserne, au pays. Oui, mais voilà, chaque médaille a son revers.

II- Bavures, dommages collatéraux et confusions

Ces engins parce que de plus en plus sophistiqués et qu’ils sont pilotés depuis des centaines voir des milliers de kilomètres, n’ont pas toujours l’exactitude et la précision de tir qu’un pilote de chasse pourrait avoir. Alors il y a des bavures, des dommages collatéraux, des confusions.

Bien sûr, il n’y a pas que les drones qui font des bavures, provoquent des dommages collatéraux ou font des confusions. Toutes les dernières interventions militaires sont truffées de ce genre d’erreurs autant humaines que techniques.

Mais ici, les drones étant souvent utilisés en dehors des théâtres d’opérations « officiellement déclarés comme des zones de guerre », les proportions de ces errances ont des conséquences catastrophiques. Les populations civiles, premières victimes des erreurs ne peuvent réclamer aucune justice. Les blessés, les handicapés à vie ne peuvent demander aucune réparation. Les familles des morts aucune indemnité. Bref, le choc passé, les pleurs ravalés, la colère ne fait pas place à la raison ou au fatalisme et c’est généralement vers ceux qui sont les cibles des drones que ces hommes, femmes et enfants se tournent et au lieu d’avoir éliminé un dangereux terroriste (ou supputé tel), le drone a créé deux, six, dix et quelque fois même plus, nouveaux adeptes des groupes terroristes.

III- Belle prouesse technique !…. Mais foultitude des passe-droits

Comment peut-on imaginer éradiquer la haine et le terrorisme qui en découle en créant soi-même de la haine et en jetant dans les bras des terroristes de nouvelles recrues ?
Pire… Cette radicalisation est d’autant plus compréhensible que bien souvent ses assassinats sont commandités par des systèmes administratifs dont les accusations n’ont jamais été examinées par la justice, ni les intéressés appelés à se défendre…

Et si l’administration s’était trompée ? Ces types d’organisations ont déjà montré, et à plusieurs reprises qu’elles étaient faillibles !

Alors, comment expliquer comment faire comprendre aux populations locales que les drones viennent exercer une action de « justice » alors même que cette « justice » est absente du processus décisionnel… Aussi, cela ne doit-il étonner personne que les « justiciables » puissent avoir des gestes de colère, résistent et finissent par rejoindre, faute d’être entendus, les rangs des organisations terroristes.

Derrière les drones et leurs tirs, il n’y a pas des juges, ni des policiers qui les pilotent ou assistent les tirs, contrôlent les images. Ce sont des militaires et des services secrets… pour l’instant.

Car, en effet, l’évolution technique mais aussi financière poussent les administrations vers l’externalisation des opérations du type « drones » qui vont évoluer vers une autonomisation et automatisation encore plus forte de leurs activités.

IV- Six drones et un homme !

Les drones après avoir envahis les cieux militaires, vont aussi devenir des outils de la sécurité publique, dans nos villes, lors des manifestations de masse, voire sur les routes et les autoroutes.

Bien entendu, se seront des drones plus petits, moins chers mais tout aussi efficaces. Dotés de moyens de pilotage automatiques et d’une grande autonomie. Ils disposeront de bibliothèques de gestes, de visages et pourront, en temps réel comparer une scène qu’ils filmeront ou photographieront avec les bibliothèques transportées ou consultées à distance et exécuteront des programmes préétablis comme marqué avec un paintball un individu au comportement douteux. À la police de venir le contrôler ultérieurement et agir en fonction de l’infraction. Ils seront munis des photographies, preuves de l’acte ou de la préméditation… Et rien n’empêchera que la balle de paintball soit remplacée par une vraie balle de fusil…

Cette « démocratisation » du drone, à caractère sécuritaire est déjà présentée par les industriels comme un gain en coût, et un renforcement de la sécurité publique et d’utilisation ! Et quand l’on sait que ce sont les salaires des fonctionnaires qui coûtent souvent le plus cher, nombreuses seront les tentations d’externaliser cette fonction sécuritaires. Déjà de nombreuses villes qui ont implanté des caméras de vidéosurveillance, sous-traitent ce service à des sociétés privées… On imagine avec les drones !

Vous pensez que je vous parle d’un futur presque lointain ?

Non. Ce n’est pas de la science fiction. Ces drones autonomes et automatisés dans leurs vols et missions existent et sont déjà vendus. Les polices et les responsables des services de sécurité commencent à les acheter.

L’armée américaine, pas plus tard que la semaine dernière (semaine du 10 -17 février 2015) a eu droit a des démonstrations spectaculaires et envisagerait de réaliser de gros achats… Et, la technologie aidant, elle envisage même de laisser à la surveillance d’un seul homme le « contrôle » de six drones en même temps, effectuant une même mission ou disposant de programmes pour des missions dans une même zone.

La lutte contre le terrorisme prend des formes de plus en plus détournées et chaque pas sur ces chemins de traverse nous éloigne de plus en plus des systèmes démocratiques et d’une justice équitable. Chacun est conscient que les terroristes utilisent leurs forces et exploitent nos faiblesses dont celles nos systèmes étatiques pour tenter de faire triompher leurs idées. Mais est-ce là une raison pour se comporter comme des dictatures les plus outrancières ? Devons-nous continuer à nourrir les cercles vicieux de la violence, du tout sécuritaire ? Au profit de qui ? Des marchands de solutions et des groupes terroristes ? Voilà pourquoi nous avons besoin, aujourd’hui, d’une autre forme de lutte contre le terrorisme qui respecte les droits de l’Homme autant que les valeurs que nous défendons.

Notes

Jean François Fechino

Jean-François FECHINO est le directeur de l’Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l’Homme, une ONG genevoise ayant un statut EcoSoc. Consultant international spécialisé dans l'évaluation des dégâts gouvernementaux causés par les armements à base d'uranium appauvri. Expert en “remédiation des terrains post-conflits” et en “nouveaux armements” auprès des Nations Unies, il a signé différents rapports sur des zones de conflits comme l’Afghanistan, l’Irak ou Gaza. Sensibilisé depuis de nombreuses années aux problématiques de la Responsabilité Sociétale des Entreprises, tout en développant une activité de conseil il est largement investi dans le monde associatif. Aujourd’hui, il partage son expertise, ses expériences avec l’équipe de l’IIPJHR. L’Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l’Homme (IIPJHR) est une ONG de droit genevois disposant du statut EcoSoc. L’Institut développe une réflexion en matière d’anticipation aux atteintes des Droits de l’Homme dans trois domaines : Les nouvelles crises: Actuellement celle liée aux départs de combattants étrangers pour le djihad (impact sur les familles, moyens de recrutements, gestion de la problématique liée au retour, déradicalisation...). Les nouvelles technologies: L’Institut travaille sur la problématique des données personnelles, notamment sur la question de leurs utilisations mercantiles ou à des fins de surveillance et sur la question de la protection des utilisateurs ainsi que l’évolution de la législation qu’elle soit internationale ou nationales.. Les nouveaux armements. L’Institut s’est également saisi du dossier relatif aux drones à usage sécuritaire (dérivé des programmes militaires) dont plusieurs programmes sont en cours d’élaboration et d’adoption par de nombreux pays.. L’Institut organise des conférences sur ces thématiques en marge des sessions du Conseil des Droits de l’Homme des Nations-Unies à Genève et des ateliers dans ses locaux. Les équipes de l’Institut développent aussi ces différentes thématiques au travers de déclarations écrites et orales destinées aux membres du Conseil des Droits de l’Homme. L’IIPJHR est également Observateur International des processus électoraux et participe à de nombreuses missions et rapports afin d’ aider les gouvernements, les partis politiques et les citoyens à accéder à une vie plus démocratique.

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2 commentaires
  • Pour aller plus loin, cf à ce propos le robot insecte ou l’e-papillon
    Le site al-Majd (La gloire), un site proche du mouvement palestinien Hamas, rapporte qu’Israël utilise des drones de la taille d’un insecte pour surveiller les Palestiniens à Gaza.
    L’e-papillon, ou techno papillon, à l’instar des drones et des ballons de surveillance déployés par Israël au-dessus de Gaza, est opéré et contrôlé via un système GPS qui a été trouvé à l’intérieur du dispositif. Selon al-Majd, le Hamas a réussi à démonter le papillon-espion et y a trouvé des photos des soldats capturés dans la carte-mémoire. Le papillon-espion mesure la taille d’un oisillon auquel il ressemble de loin. Il peut pénétrer dans des maisons par de petits trous ou des portes et fenêtres ouvertes, toujours selon al-Majd.
    En 2009, la chaîne de télévision israélienne Channel 2 avait diffusé une vidéo d’un serpent robotisé doté d’une camera qui imite les actions d’un vrai serpent. Le robot-reptile a été développé par le Technion, l’institut israélien de technologie, pour des opérations de surveillance sur le champ de bataille.

  • Sur le même sujet , l’excellent ouvrage du philosophe Georges Chamayou, « La théorie du Drone », Editions La Fabrique
    sur ce lien : https://champpenal.revues.org/8709

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