Centenaire des accords Sykes-Picot: Du renouvellement de la question d'Orient

Centenaire des accords Sykes-Picot: Du renouvellement de la question d'Orient 938 440 Roger Naba'a
Du renouvellement de la Question d’Orient

«Il n’y a rien au monde de plus difficile à exécuter, ni de moins assuré de succès, ni de plus dangereux à administrer que le fait (…) d’introduire un nouveau système de choses (…).» Machiavel, Le Prince, Livre VII.

Le Proche/Moyen-Orient est coutumier des crises, certes, mais il vit depuis le tournant des années 1970/1980 une crise d’un genre nouveau dans la mesure où elle s’inscrit dans une reconfiguration, l’un dans l’autre, régionale et mondiale qualitativement différente de celle qui avait configuré la région et le monde aux lendemains des deux Guerres mondiales et l’exécution de l’Empire ottoman.

La crise ne date évidemment pas des révoltes arabes de 2011 qui n’en ont donné qu’une des plus spectaculaires «mise en évènement». On peut en déceler les premières traces au tournant de la décennie 1970, me semble-il. C’est en 1973 qu’on pourrait en repérer le premier indice -bien que resté longtemps méconnu-, lorsque les régimes arabes de l’époque, tous sunnites (ou d’«idéologie sunnite» comme la Syrie baathiste des Assad), signaient avec la Guerre d’octobre 1973 la dernière de leur guerre contre Israël et, dans la foulée, la faillite de leur hégémonie régionale, clef de voûte du système sykespicotien.

On peut en collationner les traces essaimées depuis les années 75 par les crises d’État à répétition qui ont emporté, avec les révoltes arabes de 2011, les États-Nations (sic) sykespicotiens de la post-colonisation (Libye, Syrie, Irak, Yémen), pendant que les autres (Bahreïn, Egypte, Tunisie, Jordanie, Liban) représentent des lieux de trouble où se manifeste l’impuissance de l’État-Nation à exercer sa souveraineté.

Les chiites et les Kurdes, les grands absents des accords Sykes-Picot.

En filigrane de cette faillite, on pourrait repérer un autre de ces indices, lorsque, en 1979, la révolution khomeyniste triomphante, lança la montée en puissance de l’Iran chiite à l’assaut de l’Orient sykespicotien et qu’il y émergea, comme acteur chiite qui en avait été exclu ab origine; Indice souligné en abyme par une autre émergence, celle des Kurdes, l’autre occulté du Grand partage sykespicotien…

Dans les interstices de cette dynamique nouvelle, on pourrait repérer un autre de ces indices: la proclamation califale de l’État islamique (2014) marquant ainsi la tentative des sunnites d’y faire retour, mais en ordre dispersé et antagonique puisque sous le sceau d’une profonde crise qui décime, dans son intimité, la pensée sunnite et plus particulièrement ses franges radicales, de tradition hanbalite (1).

Et enfin, dans l’écheveau de ces dynamiques multiples et contradictoires, le «facteur des facteurs», l’invasion étatsunienne de l’Irak en 2003, laquelle invasion devait saisir l’entièreté de la géopolitique du Pouvoir au Proche/Moyen-Orient, sa distribution et sa reconfiguration, et précipiter cette multitude de crises orientales dans une seule et même Crise.

La prolifération des indices en un laps de temps si court, même pas un demi-siècle, en indiquerait l’amplitude sans indiquer pourtant la trame qui les tisse. Car, de caractère systémique, la Crise s’est mutée en manière d’être caractéristique d’un système entré en régime de crise dans cet entre-deux qui va du «déjà mort» sykespicotien -mort, certes, mais toujours pas de sa belle mort- à «ce nouveau qui n’arrive toujours pas à advenir», ce qui pourrait expliquer de façon plausible ce chambardement – ou cette transfiguration aux dires de certains – qui échoit à la région. C’est bien pour cela d’ailleurs, que le titre de mon propos, s’intitule «le renouvellement» de la Question d’Orient plutôt que «recommencement»; dans «recommencement» on aura reconnu la répétition -comme ce fut le cas des crises régionales entre l’exécution de l’Empire et les années 1970/80- pendant que c’est l’idée de remplacement qui préside à «renouvellement» comme je pense être le cas de la Crise dont je parle.

Or donc, un Orient chasse l’autre. Et c’est comme si le ciel, le soleil, les éléments, les hommes avaient changé de mouvements, d’ordre et de puissance par rapport à ce qu’ils étaient.

Tout a changé, car «l’ordre… qui assigne aux choses différentes la place qui leur convient»(2) s’est effondré. Tout a changé! L’un dans l’autre, simultanément ou tout à la fois, le destin gépolitico-stratégique de la région; son centre de gravité qui s’est déplacé du Bassin Palestinien vers le Bassin du Golfe; la reconfiguration des «amis/ennemis» si brouillé que même Dieu ne reconnaitrait pas les siens; ses acteurs qui d’étatiques se trouvent désormais bousculés et submergés par une prolifération d’acteurs non-étatiques qui ont fait irruption sur les scènes et locales et régionale; la fluidité et la porosité des frontières remis en question, les règles du jeu et la nature des guerres et des conflits qui s’y déroulent. Tout! Vraiment tout. Comme il faudrait tout un ouvrage, et volumineux, pour venir à bout de ce «Tout» évoqué tout juste, je me contenterai, dans ce propos, de parler de la Crise elle-même, celle du système, qui me semble être l’indice des indices, c’est-à-dire celui de par lequel les autres indices font sens.

Le système Sykes-Picot en crise

Mais déchiffrer les mutations qui travaillent cet Orient second, prendre la mesure de ce qui s’y effondre ou advient, ne peut se faire, me semble-t-il, sans s’interroger sur ce que fut l’Orient ancien, sykespicotien, pour mieux s’interroger sur cet Orient second qui cherche à prendre sa place, dans un univers brouillé, d’autant qu’à la différence de la crise qui emporta l’Empire ottoman, celle qui se décline aujourd’hui, se décline dans un vide stratégique, pendant que le sort de la crise de l’Empire fut scellé par les Grandes puissances coloniales de l’époque (Royaume-Uni et France à l’issue de la Première Guerre mondiale), le nouvel Orient qui se fraie ne dispose d’aucune hégémonie extérieure susceptible de le contraindre à se stabiliser, ni d’aucune régionale pour l’heure capable de le faire.

Si donc c’est le tout du système sykespicotien qui est en crise, il est mis en crise cette fois-ci, non plus sur ses propres bases comme avant (exécution de l’Empire-1970/1980), quand il pouvait rebondir de ses crises pour se retrouver dans le système; mais sur des bases nouvelles, qui restent à définir et qui ne le seront qu’au terme de la démesurée lutte de pouvoir régionale/mondiale, faisant de sa reconfiguration l’un par excellence des champs de bataille directe ou par procuration des prochaines décennies.

La balkanisation du Monde arabe selon une vision britannique, un vague arabisme madré de hahémisme à la sauce sunnite

Pendant qu’elles exécutaient l’Empire ottoman, les Grandes puissances de l’époque, le Royaume-Uni surtout, se saisirent de ses Provinces arabes et les balkanisèrent.

Cela ne se fit pas à l’aveuglette mais selon une vue d’ensemble ordonnée, en maitre d’œuvre, par le Royaume-Uni: en externe, cette «vue britannique» fut ordonnée par la sécurité de la Route des Indes qui longeait, non loin, la Côte des Pirates; et en interne par un vague «arabisme» madré de hachémisme à la sauce sunnite. Car pour sécuriser la Côte des Pirates sur la Route des Indes, le Royaume-Uni a dû, dès le XVIIIe siècle, tisser des rapports assidus, continus et amicaux avec l’Empire ottoman et les roitelets de la Côte – tous sunnites et hachémites-arabistes- sécurisant sa Route en parfaite entente avec l’Empire comme maitre des lieux.

Aussi hérita-t-il tout naturellement des relais sunnites du Pouvoir de la Sublime Porte au moment de son exécution, les détournant à son profit et les réaménageant selon ses intérêts et la conjoncture c’est-à-dire des alliances et contre-alliances, des rapports de forces et de tous les ingrédients qui font une conjoncture.

Toujours est-il que le Royaume-Uni se retrouva à la tête d’un pouvoir sunnite qui s’étendait de l’Afrique (Egypte, Soudan) au Levant (au Liban où le Royaume-Uni a toujours joué, in fine, la carte sunnite), et évidemment au reste (Jordanie, Irak, Golfe), mais qui constituaient un «Arc britannique» plutôt qu’un «Arc sunnite». De tous les facteurs qui ont régi la «vue anglaise», le Grand partage et la transformation des Provinces arabes en États-Nations (sic), je retiendrai trois pour les besoins de mon propos:

  • La formation d’un ensemble flou (3) d’États-Nations arabes, qui n’avaient ni le pouvoir ni les moyens de l’être quand bien même dans un avenir lointain, car leur formation par les Grandes puissances, en faisaient, ab origine, des États géopolitiques (4) plutôt que des États nationaux. Quant à l’arabisme à la sauce britannique, il se trouva à «s’incarner» dans une Ligue des États arabes mort-née d’impuissance mais qui sacrifia quand même aux vœux unitaires des Arabes, mais surtout à la volonté franco-britannique de les fragmenter en États «indépendants» (sic), leur «indépendance» des uns des autres étant, à leurs yeux, plus précieuse que les États ainsi formés.
  • Le second trait retenu, c’est la domination sunnite sur l’Orient dès lors que tous ces États, du fait du bon vouloir britannique, étaient tenus par les Sunnites quand bien même ils seraient minoritaires comme en Irak ou au Bahreïn.

À ces facteurs endogènes s’est greffé en 1948 un facteur exogène, la création ex-nihilo de l’État d’Israël. Prenant la figure de l’«ennemi absolu» -du fait qu’il advenait aux autochtones de l’«ailleurs» du Monde d’ici-, il devait à ce titre reconfigurer la géopolitique guerrière de l’Orient de naguère, autour du foyer Palestinien, qui devint pour lors le centre de gravité de la politique régionale jusqu’au tournant des années 1970/1980 très précisément, avec pour conséquence de confiner le Bassin pétrolier du Golfe dans un rôle mineur.

Si cet Orient-là dans toute sa durée fut marqué par la montée en puissance de la qawmiyya ‘arabiyya, c’est bien, entre autres raisons, parce que la lutte contre Israël, surtout au sein du Bassin Palestinien, engendra une masse militante qui réussit à imaginairement subsumer, «l’espace d’un matin», ses particularismes en un sens identitaire partagé, une fraternité militante, la communion dans une même idéologie (quoique avec des distinguo) mais dont la finalité serait partout et toujours de renouer avec l’unité perdue.

Le tout coulé dans la rhétorique d’un discours qui trouvait auprès des Arabes une forte résonance. Aussi le conflit israélo-arabe occupa-t-il sans partage toute la scène de l’Orient ancien.

Non seulement la création de l’État d’Israël au cœur du Proche-Orient fut un puissant catalyseur du qawmi, non seulement en ennemi absolu il configura la géopolitique du Bassin Palestinien, mais cette configuration elle-même recoupait pour finir par s’y couler la géostratégie mondiale de l’époque qu’on pourrait faire aller de l’irruption orientale de l’URSS (~ 1955: Conférence de Bandoeng) à l’implosion de l’Empire soviétique (1990/91); géopolitique orientale et géostratégie mondiale toutes deux modelées selon une parfaite homologie qui désignaient, aux deux plans, les mêmes amis et les mêmes ennemis.

Les États du Bassin Palestinien (Egypte, Syrie, Irak, OLP/Liban) désignaient Israël comme ennemi géopolitique, les États-Unis comme ennemi géostratégique et l’URSS comme ami géostratégique; pendant que les États du Bassin du Golfe, s’ils désignaient Israël comme ennemi, c’était une simple désignation «verbale», du bout des lèvres, pendant qu’ils désignaient les États-Unis comme ami et comme ennemi l’URSS; ceux-là avaient tous, tous niveaux confondus, les mêmes amis et les mêmes ennemis que ceux-ci qui avaient tous, tous niveaux confondus, les mêmes amis et les mêmes ennemis. Heureuse époque où les choses étaient claires et les amis et les ennemis facilement reconnaissables!

Elle prit fin, mais pas encore de sa belle fin, lors de la Guerre d’Octobre 1973 qui marqua durablement la région. Deux traits remarquables de la fin de cette «époque heureuse» -qui continuent de toujours façonner la reconfiguration régionale- me semblent dignes d’intérêt.

D’une part la qawmiyya ‘arabiyya, comme «discours politique» des Sunnites -comme on le comprendra après-coup-, et discours sous couvert duquel les Sunnites (y compris les Alaouites de Damas qui, à l’époque dont je parle, «parlaient sunnite», c’est-à-dire qawmi), prirent le Pouvoir partout dans le Bassin Palestinien et alentour; la qawmiyya ‘arabiyya donc arrivait à son terme laissant derrière elle un vide que n’arriva pas à combler le wahhabisme pour le moins dans le Bassin Palestinien; l’autre trait retenu, c’est la Guerre du Pétrole qui, lancée dans la foulée de la Guerre d’Octobre 1973, déplaça le centre de gravité de l’Orient, du Bassin Palestinien vers le Bassin pétrolier du Golfe.

Ce changement de théâtre d’opérations qui se déplaçait des frontières de l’État d’Israël vers ses confins transforma également la nature de la guerre: le changement de théâtre d’opération, qui bascula du côté du Basin pétrolier du Golfe, eut pour effet de fluidifier l’ennemi de naguère, l’estompant sans l’annuler.

Que faire contre un ennemi lointain, aux confins de l’Orient: la guerre est irréaliste et irréalisable; il ne resta plus aux Arabes que de l’inscrire, désormais, dans les termes d’une stratégie déclarative et seulement. Aussi, de «guerre dénotative» qu’elle était jusqu’en 1973, certes est-elle toujours «guerre», mais «métaphorique», comme le fut, par exemple, la guerre économico-pétrolière conduite en 1973 par l’Arabie saoudite.

Conséquence géopolitique: la mort du discours qawmi et le déplacement du centre régional de gravité vers le Bassin pétrolier du Golfe sonnèrent le glas de la régionale hégémonie politique, idéologique et populaire du Bassin Palestinien qui orienta jusque-là la politique au Proche-Orient et idéologiquement tout l’Orient d’alors, les ordonnant à la Question palestinienne et à l’Unité arabe.

C’est la fin de toute une époque et le commencement d’une autre ou l’ennemi commun des Arabes, Israël, sans encore susciter des vocations de reconnaissance comme par la suite, n’occupera plus cette place unique d’ennemi qu’au plan discursif, voire politique et diplomatique mais plus jamais au plan militaire, sauf pour ceux qui refusaient de l’entendre ainsi et, refusant la métaphore, voulaient une guerre réelle, ceux-là même qui donneront naissance, par la suite, aux fameux acteurs non-étatiques (la Résistance palestinienne dès 1969, puis les Chiites: le Hezbollah du Liban, les milices chiites d’Irak et alentour, les Hûthis que les nouvelles lignes de fracture ont rapproché de l’Iran; tous bizarrement qualifiés de «terroristes».)

Mais rien ne fit pour refaire flamboyer le drapeau du Bassin Palestinien sur la région, l’épopée nassérienne était bien morte enterrant avec elle et la guerre conventionnelle des États arabes (sunnites) contre Israël et leur hégémonie.

Sykes-Picot subissait là, sa première forte secousse, dès lors que la ruine de la capacité hégémonique des Sunnites fit d l’Orient un espace vide de puissance. Et l’appel du vide, comme chacun sait, est une vieille habitude de l’Histoire et des Etats.

L’année 1979 initia une suite, à l’origine déréglée, de bouleversements systémiques de la scène orientale qui ont chambardé la stratégie des relations régionalo-internationales sans qu’elles trouvent à se stabiliser jusqu’à aujourd’hui; suite dérèglée certes, qui trouvera néanmoins à s’ordonner dans les dynamiques qui entamèrent toute la scène orientale selon des lignes de fracture – qui sont toujours aux fondements de la Crise.

L’Iran, à l’assaut du ciel oriental, seule puissance régionale dotée d’une «force de projection»

La première séquence de ces évènements systémiques fut la Révolution islamique de 1979, laquelle permit à une Puissance persane et chiite à tradition impériale et, pour le moins, à vocation de Grande puissance régionale, voire, unus inter pares, la seule, de se lancer à l’assaut du ciel oriental.

Passons sur les vicissitudes de sa politique étrangère, anecdotiques au regard de notre propos, il se trouve néanmoins que de 1979 à nos jours, l’Iran chiite, sacrifiant intelligemment à sa politique, a été la seule Puissance à avoir réussi à se doter des moyens de sa politique de Puissance -ce qui n’est le cas d’aucun État sunnite, sauf de la Turquie, dans l’absolu certes, mais il ne le semble pas en Orient-, moyens dont les plus importants me semblent au nombre de deux: la Wilâyat al-Faqîh5 et les acteurs non-étatiques (les Milices chiites armées), implantées dans toute sa zone d’influence.

Si le premier de ces moyens disposait l’Iran à se doter d’un Pouvoir central qui s’étend à/et s’exerce sur la majorité des Chiites disséminés à travers l’Orient -où il se présente et est largement perçu comme leur défenseur, entendre le défenseur des Chiites minoritaires dans les États sunnites, persécutés ici et là, marginalisés et laissés pour compte ailleurs.

Le second de ces moyens, l’irruption des acteurs non-étatiques, les Milices chiites, fit de l’Iran la seule puissance régionale dotée d’une «force de projection» à distance qui lui permet d’intervenir sur toutes les scènes régionales en crise de Pouvoir d’État (Liban, Syrie, Irak, Yémen Bahreïn), sans qu’il lui en coute en termes d’engagement militaire ou en rapports diplomatiques.

Aussi a-t-il réussi à faire entendre la voix chiite au travers de sa voix; l’un dans l’autre, c’est bien dans cette volonté de représenter les Chiites disséminés et la volonté de les réunir, pour ne pas dire les unifier, par-delà leurs différences (nationales, ethniques,…), que se justifie, au plan politique, la mise en place d’un Pouvoir centralisateur, la Wilâyet al-faqîh6 tombant juste à point?

Mais pour dure que fût son irruption sur la scène orientale, l’Iran ne comptait pas, je crois, chambouler l’architecture des États-Nationaux tel que léguée par le système sykespicotien; il voulait, comme pourraient le prouver ses discours mais aussi ses politiques au Liban, en Syrie avant les révoltes de 2011, en Irak ou au Yémen;

Il voulait alors «se glisser» dans ces États, s’y «faufiler», y créer des sphères d’influence, au prorata de la représentativité des Chiites qui y sont, voire un peu plus mais cette fois au prorata de la puissance régionale de l’Iran.

L’Iran un État pertubateur et non pourfendeur de l’ordre régional

Comme aurait pu dire l’amiral Castex, en termes de stratégie, l’Iran, serait «un perturbateur»(7) de ce système mourant plutôt que son pourfendeur; un perturbateur parce qu’il ne joue pas le jeu des Sunnites, dont le cadre de jeu a été établi par Sykes-Picot, lequel occulta les Chiites. Refusant de jouer son Grand Jeu oriental selon les règles jusque-là admises, l’Iran joua sa partition selon deux visées complémentaires: maintenir Sykes-Picot en l’état, et y prendre la part de pouvoir qui lui est dévolu (= dévolu aux Chiites).

Les choses changèrent après les «révoltes arabes» de 2011, quand la scène de l’Orient ancien fut irrémédiablement abolie, mais n’anticipons pas.

Cette première séquence non seulement confirma le déplacement du centre régional de gravité, mais en y introduisant l’acteur «chiite» en tant qu’acteur régional, elle y introduisait, de force, comme un retour du refoulé, un acteur non prévu à l’appel. Et ce qui devait arriver arriva: un bouleversement géopolitique de la scène orientale dans son entièreté. Un autre coin, de taille celui-là, s’enfonça dans l’ordre sykespicotien. Egalement bouleversé sera désormais la désignation de l’ennemi, lequel glisse du seul Israël vers un flou de désignation qui empêche de le révéler encore explicitement.

Car l’Iran, chiite et persane, en raison de son irruption sur une scène qui lui était jusque-là interdite, fut d’emblée perçu par son environnement géopolitique immédiat comme une menace tout à la fois diffuse, une épée de Damoclès en quelque sorte: menace-t-il leur existence par la subversion chiite de leur population qui oscille entre 10 et 30 dans toute la Péninsule mais ailleurs qu’au Bahreïn où ils constituent une forte majorité, ou encore en Irak, au Liban, au Yémen?

Menace diffuse, certes, mais explicite aussi par la poussée milicienne des acteurs non-étatiques (à cette époque, tous chiites) dans les terres du Proche-Orient (Syrie, Liban, Irak), chasse-gardée des Sunnites depuis les Omeyyades, aux commencements de l’Empire islamique.

Rejet et méfiance mutuels tracèrent les premiers pas d’un «état de guerre» comme dit Hobbes (8), fait de peur et de cette insécurité généralisée qu’induit la volonté réciproque d’en découdre, c’est une «intention de guerre» plutôt que la guerre proprement dite, certes, mais dès cette époque les signes avant-coureurs d’une guerre ouverte pour l’hégémonie de la région se dessinaient silencieusement.

La suite des évènements systémiques de cette première séquence (1980-88/Guerre Irak-Iran qui mit un terme provisoire à la montée en puissance de l’Iran; 1990/Invasion du Koweït par l’Irak et 1991/Contre-offensive étatsunienne de libération (sic) du Koweït; dans la foulée, irruption des Kurdes sur une large plage de la scène orientale; 1993-95/Accords d’Oslo et rétrécissement comme peau de chagrin de la question palestinienne qui de question systémique et politiquement centrale se retrouva réduite aux dimensions d’une des scènes du système, l’israélo-palestinienne, aux effets circonscrits à cette scène.

D’ailleurs, pour signifier la «disgrâce» de la Question palestinienne, on est passé du conflit «israélo-arabe» au conflit «israélo-palestinien»); or donc cette suite d’évènements systémiques qui a eu, pour l’essentiel, le Bassin du Golfe pour théâtre, n’a fait que confirmer, et tendanciellement et conjoncturellement, le déclassement du Bassin Palestinien et, par glissement métonymique, du conflit israélo-palestinien lui-même.

La seconde séquence commença en 2001-2003, lors de l’attaque «terroriste» du siècle (2001/Ben Laden) et les invasions par les États-Unis, sous prétexte de «Guerre contre le terrorisme», de l’Afghanistan et de l’Irak entre 2001 et 2003. Aux effets dévastateurs de la première séquence s’ajoutèrent, les amplifiant à leur paroxysme, les effets encore plus dévastateurs de cette seconde qui abîma le système qui ne s’en est plus remis.

Si l’Iran ne fut de ce système qu’un «perturbateur», il reviendra aux États-Unis, dans l’Irak conquis, d’en être le pourfendeur, si on l’entend dans son sens vieilli et littéraire, de ce qui contient l’idée d’abattre sans quartier, de «celui qui fend complètement, qui tue».

Avec l’invasion de l’Irak, Les États-Unis s’emparaient d’une forte sunnite de la région, à l’épicentre du Proche et du Moyen orient

En envahissant l’Irak, les États-Unis non seulement prenaient une place forte sunnite de la région, mais s’installaient à l’épicentre et de l’Orient. C’est que l’Irak a/avait ce privilège unique et singulier d’être à la charnière des deux Orients, et le seul de simultanément appartenir aux deux. Politiquement, de par son idéologie baathiste, son engagement qawmi, son socialisme, sa laïcité, du fait enfin qu’il se rangeait dans le camp des ennemis Israël qui était le camp mondial de l’URSS, il relevait du Proche-Orient, c’est-à-dire du Bassin Palestinien; mais en raison de son pétrole il relevait du Moyen-Orient, c’est-à-dire du Bassin pétrolier du Golfe. D’où son importance stratégique.

En le conquérant, les États-Unis conquéraient une pièce maitresse pour leur Grand Moyen-Orient, pensant qu’à l’occasion de ce désastre provoqué, ils pourraient se régionaliser sans s’orientaliser: s’impliquer directement dans les affaires de l’Irak en faire un allié sûr et obligé et l’intégrer dans un système impérial d’alliance mondiale et de domination régionale.

En fait ce fut une «stratégie de désastre»! C’est au cours de leur traversée sanglante que commença la descente aux enfers de l’Irak qui se retrouva converti en champ de ruines:

En interne, un pays pétrolier exsangue, sans État, sans les Appareils d’État (notamment sécuritaire: armée, services de sécurité,… tous dissolus par décret Bremer/ien) et pourtant nécessaires au maintien de l’ordre, de la stabilité et de la sécurité dans un pays en proie à un chaos généralisé, au pillage à grande échelle et où ses sociétés vivent soit en «état de guerre» soit se livrent carrément la guerre.

Toujours en interne mais cette fois-ci d’un interne qui déborde sur l’externe puisque le changement d’identité de l’Irak (d’État sunnite à État chiite) changeait l’ordre et les règles du Grand jeu sykespicotien lui-même, au détriment des Sunnites qui prirent la chose comme une défaite. Kaput l’ordre sykespicotien qui n’a pas sombré du fait de la proclamation de l’État califal (sic) et transfrontalier d’al-Baghdâdi, mais bel et bien par l’invasion étatsunienne: les bouleversements qu’elle entraina entamèrent définitivement l’ancien ordre géopolitique, de bout en bout de l’Orient.

Enchâssée comme une poupée russe dans le désastre étatsunien, la troisième séquence prit fin selon deux modes antagoniques: le premier, selon un mode géopolitique dès lors que l’élimination, par les États-Unis, des deux leaders sunnites (l’afghan et l’irakien) capables de tenir tête à l’Iran chiite créa comme un appel de vide auquel l’Iran, déjà prête, s’empressa de répondre. Se saisissant de cette opportunité que lui offrait l’Histoire à travers la politique étatsunienne, elle se lança dans sa seconde montée en puissance régionale; montée facilitée par le fait que l’Irak, désormais État chiite, lui ouvrait une voie royale d’accès à l’Orient, mais cette fois étatique et non plus seulement milicienne.

Le Sunnisme au Pouvoir dans la Péninsule ressentit ce renversement de l’ordre étatique comme une perte irréparable qui ne fit qu’alimenter son ressentiment (séculaire, voire millénaire, notamment de la part des salafistes) à l’encontre des Chiites, et tout particulièrement de l’Iran chiite et persan; le second selon le mode du djihâd qui connut sous l’occupation et de son fait, un essor remarquable, mais surtout, les jihadistes s’aguerrissant, s’émancipèrent, tuèrent le «Père» (Ben Laden) et formèrent la seconde génération de jihadistes… qui donnera les milices sunnites de l’organisation de l’État islamique quelque dix ans plus tard (2003-2013/14).

Ainsi, la contre-offensive sunnite pour faire revenir le refoulé en refoulant l’ennemi, ne vint pas, dans un premier temps, des États sunnites de la Péninsule qui ne surent, durant toute une période, comment réagir et réagissaient en cacophonie; pendant que cette riposte vint de la part des jihadistes de la seconde génération, qui lui donnèrent un tour milicien, sanglant et sauvage.

La riposte sunnite avec le Roi salmane

Ce n’est qu’avec l’arrivée au Pouvoir du roi Salmane (janvier 2015) que la riposte des États sunnites trouva à s’organiser et à s’unifier (et encore!) sous la direction de l’Arabie saoudite, mais là, nous sommes dans la séquence suivante.

Les révoltes arabes de 2011 qui éclatèrent comme un tonnerre dans un ciel apparemment serein, initièrent la quatrième séquence qui emporta dans son sillage l’ensemble des États géopolitiques, ces États sans Nations que Sykes-Picot avait imposés comme cadres territoriaux à des populations qui partageaient entre eux une séculaire mémoire conflictuelle. Tirant les conséquences de tous ces bouleversements, Abou Bakr al-Baghdâdi proclama le califat islamique. Ce qu’on n’avait pas compris au tout début des révoltes arabes, appelées à l’époque «Printemps des peuples» qui s’avéra par la suite n’être qu’un «hiver islamiste», ce qu’on n’avait donc pas compris c’est qu’une révolte en cachait une autre. Et quand la première vague, moderniste et sykespicotienne, crut pouvoir se lancer à l’assaut du ciel aux cris de slogans qui résonnaient fort bien avec les récits émancipateurs (ou Grands récits si chers aux Occidentaux: d’où l’accueil enthousiaste, voire parfois délirant, qu’ils trouvèrent auprès des publics occidentalisés) mais ne correspondaient pas à l’attente de ses destinataires autochtones, les masses islamisées; la vague moderniste s’essouffla et son combat cessa faute de combattants pour céder la place à une seconde révolte dont la grammaire est aux antipodes de celle des Grands récits.

Le mur de la peur brisé et le modernisme épuisé, les islamistes jihadistes lui succédèrent «naturellement» (9) comme qui dirait, pour se lancer à leur tour à l’assaut du ciel.

Une guerre de da‘wât (pluriel de da‘wa).

Du «Printemps des peuples» à «l’hiver islamique»!

Quand bien même elle serait dévalorisante, la métaphore dit bien ce qu’elle dit; et ce qu’elle dit c’est que les règles du jeu et la nature des guerres et conflits ont changé en Orient et ont changé l’Orient.

Pendant que guerres et conflits se déclinaient dans l’Orient ancien dans les termes des idéologies modernes (anticolonialisme, anti-impérialisme, nationalisme arabe, État-Nation, Unité arabe, Peuple révolutionnaire, progressistes, réactionnaires, Etc.), ils se déclinent maintenant en termes d’islam lesquels constituent désormais la grammaire du Grand jeu d’Orient transformé en champ clos qui opposent entre elles quatre da‘wât sunnites en «état de guerre»: une «étatique», la da‘wa wahhabiyya et les trois autres non-étatiques, celle des Frères Musulmans maintenant réduite au silence et qui en tout cas avaient renoncé au djihadisme guerrier, celle «califale» (sic) de Baghdâdi (2014) et celle d’al-Qa‘ida qui n’y ont pas renoncé.

Déchirement des Sunnites en proie à des dissensions internes de grande ampleur qui interdit pour l’heure tout discours rassembleur ouvrant une voie royale aux discours de fitna, comme ceux des da‘wât; crise de l’intimité de la pensée sunnite dont le signe le plus parlant se loge dans ce fait que toutes ces da‘wât en état guerre sont issues du hanbalisme, toutes n’en étant que des avatars.

Si ces da‘wât sunnites s’opposent les unes aux autres et se font la guerre en s’entraidant à l’occasion, elles s’opposent toutes et font la guerre, en ordre dispersé et souvent contradictoire, à la da‘wa chiite de l’Iran et de ses alliées. L’enjeu final étant la reconfiguration de l’Orient de manière qu’elle assure et garantit l’hégémonie, dans la conjoncture actuelle voulue sans partage, de l’une des da‘wa.

Ce n’est que récemment, en février 2016, que le discours de la politique mondiale a pris acte de la fin de l’Ordre sykespicotien, quand, en écho à la déclaration de John Kerry, Secrétaire d’État, qui estimait le 27 février que «le non-respect de l’accord de cessation des hostilités aurait des conséquences, dont la fin de l’unité de la Syrie», répondait en écho, le 29, Sergueï Riabkov, vice-ministre russe des Affaires étrangères: «la Syrie pourrait devenir un État fédéral si ce système fonctionne dans le pays».

Il est incontestable que dans la période actuelle ou les États de la région, engagés dans une politique de puissance marquée au fer par une logique exclusive de confrontation dont l’enjeu géopolitique est la ghalaba régionale -ou hégémonie, si l’on veut, mais ce n’est pas tout à fait la même chose-, et l’enjeu géostratégique, accéder au statut de seul acteur mondial de la région, dans le concert des Nations c’est-à-dire aux yeux des Grandes puissances, il est impossible en la conjecture actuelle qui semble s’inscrire dans la durée, que les acteurs [étatiques/non-étatiques; sunnites/chiites/Persan/kurdes] en lutte puissent coexister ou entamer une impossible négociation.

Le sort de la région semble scellé par la guerre et suspendu à l’évolution du rapport des forces.

Non seulement pour des raisons intrinsèques à toute «période intermédiaire» ou de «transition» politique dont l’incertitude constitue bel et bien la marque, mais aussi parce l’entièreté de l’Orient, «de l’Océan au Golfe» (Mina-l muhît il-al-Khalije, comme on disait à l’époque héroïque), est pris dans les affres d’une logique de puissance unique, celle du «unus inter pares», de «l’unique en son genre».

Roger Nab‘aa, Beyrouth-mars 2016.

Pour aller plus loin à propos de Roger Naba’a

www.madaniya.info et le blog partenaire www.renenaba.com

Sa production pour le compte de la Revue «Peules du Monde» du Philosophe Paul Vieille:

Encadré I : L’Orient/Proche, Moyen, Extrême

Concepts géopolitiques par excellence, à caractère européocentrique, Proche, Moyen et Extrême-Orient sont des appellations dont à peu près le sens varie en fonction de celui qui l’utilise.

Si l’Orient dans son Extrême, comprend les États musulmans d’Asie (et n’appartient donc pas à mon propos), par Proche-Orient, j’entendrai par contre l’ensemble des États configurés par la géopolitique du conflit israélo/arabe, à savoir le Bassin Palestinien, avec une idéologie laïque au Pouvoir (le qawmi/nationalisme arabe): Israël/Palestine, Egypte, Syrie, Liban, et à l’arrière-plan l’Irak ; par Moyen-Orient, l’ensemble des États configurés par la géopolitique du pétrole, à savoir le Bassin du Golfe (ou le Bassin pétrolier du Golfe), avec une idéologie religieuse au Pouvoir : l’Iran chiite ainsi que les États arabes sunnites de la Péninsule et du Golfe (royaumes, sultanats, émirats, républiques… confondus), et à l’arrière-plan l’Irak. Pour les besoins de mon propos, je distinguerai le Proche du Moyen-Orient, mais il m’arrivera aussi, l’élégance de la rédaction le voulant, de parler simplement de l’Orient indiquant le Proche ou le Moyen, mais jamais l’Extrême.

Comme je le mentionne dans le corps de l’article, l’Irak appartient (appartenait?) à ces deux ensembles flous.

Encadre II: Da‘wa

Dans son sens courant, ad-da‘wa (l’appel) signifie prédication et se traduit comme «appel à l’islam». Comme tel, ce peut être le fait de tout musulman d’appeler de non-musulmans à embrasser l’islam. Au fil des temps, certains d’entre eux, les prédicateurs (dâ‘ia/du‘ât) ont consacré leur vie à prêcher la bonne parole islamique.

Mais da‘wa s’entend aussi autrement, comme dans les expressions «la da‘wa prophétique; la da‘wa al-‘abasiyya; la da‘wa al-fatimiyya; da‘wat al-Huseyn, Etc.», que l’on retrouve sous la plume des historiens arabislamiques. Certes, c’est toujours un appel à l’islam, mais d’un autre genre puisqu’il ne s’agit plus de conversion, mais de faire triompher une cause (celle de l’islam, évidemment), en brandissant l’étendard de la révolte contre une dynastie parce qu’elle aurait dévié dans un islam fâsiq (perverti). Dès lors qu’il s’agit de prise du Pouvoir, cette da‘wa-la devait souscrire à certaines conditions:

  • C’est toujours un des ahl al-bayt (au sens large, jusqu’au tribal) qui la lance (Abou Bakr al-Baghdâdi n’a-t-il pas fait éditer un opuscule prouvant son ascendance quraychite, la tribu du Prophète).

C’est un mouvement à base populaire -bien qu’encadré par les partisans et conduite par une direction- qui se mobilise pour faire triompher la cause du lanceur de la da‘wa qui se confond avec la cause de l’islam.

Elle comprend enfin une sorte de non-dit: l’issue doit en être heureuse, sanctionnée par la victoire, c’est-à-dire la conquête du Pouvoir, pour passer l’éponge sur le temps de la fitna/rupture qu’elle a suscité et prouver par-là que l’Unité de la Umma est sauve puisque retrouvée; et si la da‘wa venait à échouer, elle serait vouée aux gémonies de la fitna et condamnée à l’oubli «officiel». La da‘wa, l’abbaside (qu’on a appelé Révolution abbasside, ce qui n’a pas de sens), la fatimide, Etc., souscrivent en gros à ce protocole que l’on peut induire de la Muqaddima d’Ibn Khaldûn.

Comme telle, et bien qu’elle comprenne une appréciable mobilisation populaire, da’wa n’est pas, ne peut et ne doit pas etre confondue avec «révolution» au sens que lui a donné la Modernité occidentale; pour une raison à tout le moins: en dernière analyse, une da’wa ne cherche qu’à corriger ou rectifier le tir -l’exercice du Pouvoir, la pratique de l’islam- mais elle n’a jamais cherché à le «révolutionner», ou jamais il n’a été question d’une sortie de l’islam pour proposer un autre régime de pouvoir, un autre discours, une autre «idéologie».

Ainsi la «Révolution islamique» de Khomeyni, si elle peut être perçue comme une révolution parce qu’elle a réussi à changer le régime politique en place, il reste que c’est une da‘wa plutôt qu’une révolution au sens moderne du mot: après tout, elle ne cherchait pas à «inventer» un régime politique nouveau, inédit, mais tout simplement à restaurer le régime islamique vieux de l’époque du Prophète ou peu s’en faut.

Notes
  1. Al-imām Ahmad Ibn Hanbal (780-855/ère chrétienne) est un théologien jurisconsulte et traditionaliste musulman, fondateur de l’une des quatre grandes écoles juridiques (maZhab/maZâheb) sunnites, connue sous le nom de «hanbalite». Pour notre propos, on retiendra que le hanbalisme passe pour être le socle du traditionalisme le plus conservateur, le plus rigide et le plus dogmatique de l’islam sunnite. S’en réclame toute une suite de dogmatiques aussi rigides que leur maitre comme Ibn Taymiyya (1263-1300/1304), Muhammad ben Abdelwahhab (1703-1792) qui a donné le Wahhabisme qui se retrouve pour l’essentiel en Arabie saoudite et alentour, ce qui ne fut pas anodin dans l’irruption déferlante des mouvements takfiristes.
  2. Saint Augustin, La Cité de Dieu, L. XIII.
  3. «L’ensemble flou est une fonction qui définit le degré d’appartenance d’un élément à un ensemble (valeur d’appartenance)», les dictionnaires.
  4. Par États géopolitiques j’entends cette espèce d’États-postcoloniaux nés de par une volonté «externe», de par les besoins géopolitiques des Grandes puissances, plutôt que des besoins «internes». Ainsi, dans le cas de Sykes-Picot, le découpage territorial qui devait donner les États-Nations, ne correspondait nullement, ni ne correspond toujours, au «découpage» des populations concernées/découpées.
  5. Sujet controversé auprès des doctes chiites, loin de moi de discuter de cette question au plan théologique ou historique. Ignorant en la matière, je ne me le permettrai pas. Mon approche est politique, elle répond à la volonté iranienne de «rassembler» les Chiites disséminés dans la région, en une «entité politique» dont le centre serait Téhéran. La Wilâyet al-faqîh, par-delà la théologie, a donc ainsi un usage proprement politique: créer un centralisme pour contrer les effets de la dissémination. C’est donc sous la bannière de la Wilâyet al-faqîh que l’Iran a politiquement réussi à se poser aux yeux des Chiites, comme leur «guide» et seul «guide et protecteur», en toute autorité (centralisée).Qu’est-ce que la Wilâyet al-faqîh? Dans le chiisme duodécimain, ce sont les Imam/s -héritiers et successeurs de Husayn le martyr, qui ont à charge le destin de la Communauté. Le douzième d’entre eux s’est occulté en 874 et il ne reviendra qu’à la fin des temps. En son absence, le plus habilité à assurer les pouvoirs spirituels et temporels est le faqîh; l’Ayatollah (= signe de Dieu) le plus savant, sera élu au tire de Wâli al Faqîh et prendra à sa charge de «guider et protéger» la Communauté chiite. Le Wâli al-faqîh, comme «lieutenant» de «l’Imam occulté», jouit de pouvoirs très étendus, voire extrêmes, puisqu’il a pouvoir sur le spirituel (religion, mode de penser et de croyance…) et le temporel (politique, mode de vie…). Cette théorie a été incorporée dans la Constitution.
  6. Évitons le vocabulaire trompeur de la psychologique. Il s’agit, dans mon propos de «logique de situation» où ne pas tenir tel rang ou occuper telle place revient à les perdre au profit d’autrui. Cf. Machiavel.
  7. Le «perturbateur» c’est, selon Castex, «celui qui cesse de jouer, dans le cadre d’un jeu établi, la partie selon les règles jusque-là admises». Raoul Castex, Théories stratégiques, …, cité par G. Challiand, in Esprit, avril 1981, «Du militaire, du stratégique et du politique. Entretien avec G. Challiand et Cl. Lefort».
  8. L’état de guerre n’est pas la guerre… mais y ressemble beaucoup dit Hobbes (Léviathan). Contrairement à la guerre qui est de l’ordre de l’évènement, l’état de guerre n’est pas un évènement mais un état caractérisé par une menace permanente de violence, de conflit, de guerre. L’état de guerre, c’est cette menace permanente.
  9. J’ai beau être naïf, je ne le serai pas au point de croire qu’il n’y eût pas des interventions de toutes sortes qui ont favorisé l’essor et l’épanouissement des courants jihadistes et leur irruption tonitruante. Mais posons-nous la question de savoir si un tel essor, un tel épanouissement et une telle irruption, même favorisés par des interventions diverses, eussent été possibles ou probables sans la déliquescence d’un Ordre séculaire?

Roger Naba'a

Roger Naba’a, philosophe et universitaire libanais. Concepteur et l’un des fondateurs de la Revue d’Études palestiniennes qu’il a dirigée de 1981 à 1984, il est également membre du comité éditorial de la « Revue des peuples méditerranéens ». Roger Naba’a est co-auteur avec René Naba du livre "Liban, Chronique d‘un pays en sursis" - Editions du Cygne 2008.

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