Postface au texte : Les femmes face au phénomène Da'ech

Postface au texte : Les femmes face au phénomène Da'ech 940 401 La Rédaction
Postface par Pirouz Eftékhari

Pirouz Eftékhari, iranien, a travaillé pendant des années avec Paul Vieille, socio-anthropologue et iranologue, qui dirigeait la revue Peuples Méditerranéens. Il a traduit aussi les Discours de la révolution iranienne (Paul Vieille, Contemporanéité, 1995, 2 volumes). Il a enseigné pendant 20 ans la linguistique et la traduction à la Faculté des Lettres de l’Université de Coimbra. Chercheur en poésie persane, il a sorti deux articles sur le site <peuplesmonde.net> et prépare actuellement une recherche sur Chahrzâde et la civilité chez les poètes persans.

Chère Evelyne,

Voici un commentaire qui vaut ce qu’il vaut, de la part de quelqu’un qui vit dans l’isolement complet, au bout du monde, spectateur désolé mais attentif et inquiet du spectacle des horreurs qui nous paralysent:

1 – La situation des femmes est très bien décrite dans ton article, ici et là, à travers leurs actions et leurs résistances à l’hégémonie masculine et face aux violences inouïes d’aujourd’hui.

2 – Il faut rappeler ce qui arrive aux femmes iraniennes, que le régime clérical tente depuis trente-cinq ans à museler afin de museler toute la société.  Jusqu’à présent il n’a pas réussi. En effet, l’un des sens de la révolution iranienne de 1978-79, où les femmes ont participé grandement à côté des hommes, a été la dynamique des libertés citadines, que le développement urbain avait induites. Le rapport entre filles et garçons chez les classes moyennes et favorisées était devenu très libre dans les dernières années du chah; c’était la conséquence d’une occidentalisation forcenée de la société de consommation qui signifiait en finir avec la société traditionnelle. L’avantage du développement urbain a été la tentation du dépassement de l’«incommunication» entre femmes et hommes (comme l’avait remarqué Paul Vieille dans ses études de terrain dans les années 1960; cf. La féodalité et l’État en Iran, anthropos, 1975).

Les droits de fait s’étaient imposés dans la ville; les femmes revendiquaient de plus en plus leur égalité aux hommes. Après la révolution, elles ont beaucoup fait pour ne pas se laisser enfermer dans l’image de la femme traditionnelle/procréatrice et maîtresse de maison, l’image dans laquelle le nouveau régime de la république islamique (en fait, comme le disait Paul Vieille plus tard dans ses articles de Peuples Méditerranéens, «république théocratique») voulait les enfermer.

A partir de la guerre Iran-Irak, elles ont lutté âprement pour rester sur la scène, revendiquer l’accès aux espaces sociétaux (éducation supérieure, gymnase, piscines, réunions féminines, etc. Finalement, aujourd’hui 60% des étudiants sont les filles). Même les femmes des classes populaires et commerçantes, assez religieuses, ont participé à ce mouvement. Il ne faut pas oublier que 90% de la population iranienne (70 millions) est devenue citadine et a tout à fait renversé l’équation État-nation, comme le formulait Paul Vieille dans «L’irrépressible imaginaire» (Nº 70-71 de P.M.): dans les pays dits «islamiques», ce n’est plus la répression du «peuple arriéré» par l’«État progressiste» qui prévaut, c’est la contestation de l’«État arriéré» par le «peuple progressiste».

3- S’appuyant dès le début largement sur les pâsdârs-gardiens de la révolution venant des petites classes moyennes et des classes défavorisées en quête de la promotion sociale et au service du khomèynisme, la république théocratique a tenté de refouler les femmes à la maison, pour boucler la boucle, à savoir refermer à jamais la société d’incarcération «musulmane» sur elle-même (un effet de l’imaginaire clérical passéiste qui voudrait en fait renforcer sa mainmise). Alors que les femmes iraniennes se sont  montrées combatives; actuellement même devant leurs maris; elles n’acceptent plus l’autorité masculine (le taux de divorce est devenu très «anormal», pour ainsi dire). Pas plus tard qu’il y a quatre jours, une très jeune femme iranienne, très belle d’ailleurs, a été condamnée à un an de prison pour avoir protesté contre l’empêchement des femmes d’assister aux spectacles sportifs (elle a entamé d’ailleurs tout de suite une grève de la faim). Je souhaite vivement qu’il ne lui arrive rien de plus grave, ce qui est souvent le cas pour les femmes qui tombent dans les mains des geôliers. La semaine dernière, à Ispahan, les hommes du régime ont attaqué pour la énième fois les femmes en leur versant de l’acide dans la rue, ce qui a causé des morts et des horreurs. C’est bien sûr pour semer la terreur dans la population, qui n’a pas manqué pas de faire des manifestations dans les grandes villes. L’un de leurs mots d’ordre dénonçait «le comportement dâéchien» des forces de la répression.

4- Là où pour l’instant est épargné par les guerres et les violences atroces, prévaut un «calme» avant la tempête. Mais ce n’est qu’apparent, dans la mesure où les occultations veulent persuader par «Madame la Marquise, tout va bien».

En fait, les réalités dures de la vie sont cachées des yeux du monde et les médias occidentaux font tout pour camoufler nos malheurs. Les malheurs que connaît l’Iran, par exemple. D’ailleurs, dès l’apparition du Da’ech les iraniens ont été unanimes à dire qu’ils n’en avaient pas peur parce qu’ils connaissent depuis des années les pratiques à la Da’ech en Iran. «On ne veut pas de Dâèche, on en a un!». Comme me le dit ma femme, Ladan Taghian Eftékhari, il existe un sourd génocide dans notre pays. En effet, depuis le coup d’Etat contre Banisadr en 1981, la machine d’inquisition ne s’est jamais arrêtée; aujourd’hui pour couper les bras de Rouhâni (dont l’opposition aux fondamentalistes reste sans portée) et surtout pour neutraliser tout mouvement social qui surgirait comme en 2009 contre le système établi, la répression et les exécutions se sont accélérées. Le front dur du régime est aux abois. Depuis la prise du pouvoir des pro-cléricaux en 1979, des dizaines de milliers d’arrestations et d’exécutions; des répressions sanglantes tentent de refouler les contestations; les tortures les plus dures et le viol des prisonniers (femmes ou hommes) sont courants.

Dans la gestion du pays, les plus grandes catastrophes qui aient pu arriver: des pillages qui feraient suicider tout Pharaon de jalousie: des centaines de milliards de dollars disparaissent par an (le dernier scandale du circuit du blanchiment a mis sérieusement en danger même Erdogan et son fils en Turquie; des centaines de milliards de dollars se sont envolés); la situation économique est devenue chaotique, l’inflation oscille entre 25 et 40%. Le chômage des jeunes frôle les 45%; la spéculation foncière comme principale activité économique des rentiers  a rendu la cherté du logement et l’endettement des banques plus qu’insupportables et a induit des catastrophes écologiques irréparables: assèchement des réserves d’eau parce que puisée trop abusivement par les urbanisations désordonnées; assèchement du lac d’Oroumiè et d’autres lacs, voire les rivières sont en train de sécher, par exemple à Ispahan; Téhéran (plus de 20 millions d’habitants) est menacé par un manque d’eau éminent; le déboisement est systématique (même actuellement des arbres des parcs publics!); la pollution de l’air tue quotidiennement vers 2000 personnes seulement à Téhéran; ce pays pétrolier doit importer de l’essence, et les importateurs mafieux-militaires y ajoutent à raison de plus de 10% des produits plus que nocifs pour engraisser leurs gains.

La petite industrie iranienne s’est tout à fait effondrée à la suite des contrats pétroliers avec la Chine qui en échange fait déverser ses produits de mauvaises qualités en Iran ; l’Inde lui vend du riz empoisonné en cyanure, irrigué par des eaux polluées ; la Russie, le patron non officiel de l’Iran, est sur le point d’obtenir du gaz iranien pour le revendre plus cher ailleurs, etc., etc., etc.  Le seuil de l’âge des drogués (quelques millions en Iran) est arrivé aux enfants de sept ans. En Iran, une dose d’héroïne coûte moins cher qu’un paquet de cigarettes. Et l’enfer des femmes est encore plus atroce.

La prostitution même des hommes fait rage. Certains marient sont eux-mêmes proxénètes de leur femme. Tant la misère est grande. Ce qui rappelle le cas des femmes irakiennes, dont tu parles. C’est très inquiétant et ce n’est pas seulement du «débridement», comme le dirait Paul Vieille (tu l’as relaté dans ton intervention à l’occasion du colloque en hommage à lui).

5- Pourquoi les médias occidentaux ne parlent jamais des cléricaux iraniens métamorphosés en un régime de militaires-mafieux, conséquence des désastres de la guerre Iran-Irak où ont péri plus d’un million d’hommes? Le général Petraeus a qualifié lui-même le régime iranien actuel comme «le meilleur allié des Etats-Unis»! Pendant les trente dernières années, au nom de l’ «exportation de la révolution», ce régime a semé le chaos et le fondamentalisme en Irak, en Afghanistan, au Liban, en Palestine, actuellement en Syrie, en Afrique (Mozambique et d’autres pays des côtes africains qui abritent les pirates de mer) et même à Haïti où il n’y pas de communauté musulmane! Quotidiennement 100 morts ou davantage en Irak qui a été le théâtre des exercices dâé-chiens… Oui, vraiment des chiens enragés au service de la stratégie de division !

6- Le nombre des membres des organisations de répression en Iran dépasse un million. Imagine-toi un instant le budget que cela implique!

Il existe en Iran des dizaines de ports clandestins par lesquels les mafieux-militaires font toutes sortes de trafics, drogue, marchandises non déclarées et même trafic de jeunes filles ou de garçons destinés aux pays du golfe. Dâèche ne ressemble donc qu’aux ampoules infectieuses des microbes qui depuis longtemps rongent le corps du mouvement social global, dans ce sens que la révolution iranienne a été effectivement le premier grand pas de ce mouvement il y a trente-cinq ans… et détourné par la domination.

7 – Plus d’un chercheur affirme que les pays par lesquels l’islam a passé, ont été marqués par le renforcement du système patriarcal et du pouvoir/religieux. Le pouvoir islamique a renforcé, parfois par syncrétisme (après l’État/Église sassanide avant l’islam, devenu le principal modèle de celui-ci) les valeurs patriarcales, machistes et féodales,  renforçant surtout l’infériorité des esclaves de la terre, les paysans, et les inégalités infligées aux femmes. Cependant, dès le lendemain de l’islam, comme tu le sais, un vaste front de résistance culturelle se manifesta aussi bien en Arabie qu’en Iran, occupé par les arabes musulmans, pour revendiquer l’égalité que promettait l’islam. La poésie et les arts, moyen de dissidence, ont créé des chefs d’œuvre partout dans les pays dits «islamiques».

Dans le rejet de l’infériorité des femmes, le lyrisme arabo-persan en est la plus belle cristallisation, il a travaillé pendant des siècles le pouvoir/religieux par la revendication du statut égalitaire des individus; ce mouvement a plus tard largement inspiré la poésie courtoise médiévale et au sujet duquel les orientalistes ont gardé un silence quasi-ecclésiastique. Justement, l’attitude des orientalistes révèle bien les intentions du colonialisme: les orientalistes, pour la plupart, ont toujours refoulé les cultures des pays dits «musulmans» dans l’essence religieuse, nous ont réduits à l’Autre absolu pendu aux paroles du Coran. Et pourtant, combien de mouvements sociaux nos pays ont connus, combien d’hommes et de femmes inventèrent génération après génération, dans le mélange syncrétique caractéristique des cultures méditerranéennes, la culture, les aspirations et le désir, que l’instance de réglementation du pouvoir/religieux a toujours voulu encadrés, sinon étouffés! Les mouvements féministes actuelles dont tu fais l’état dans ton article s’inscrivent donc autant dans la civilisation méditerranéenne que dans les mouvements du global (la revue Peuples Méditerranéens que dirigeait feu Paul Vieille a sorti pendant vingt ans des centaines d’articles des meilleurs socio-anthropologues à ce sujet).

8- Mais je dois ajouter que les femmes, par nature et par nécessité de faire reconnaître leur statut et leur présence, se montrent plus courageuses que les hommes qui ont perdu un peu leur élan, devant les impasses idéologiques, politiques et sociales actuelles. Le chemin de la culture reste cependant ouvert dans un monde global, ce chemin que la domination veut à tout prix fermer pour nous réduire au néant.

La destruction culturelle accélérée dans la mort de la communauté traditionnelle (ses réseaux culturels, religieux, de solidarité et d’identité, aussi bien à la campagne que dans les villes), nous pousse dans les pays dominés à chercher des voies de rénovation culturelle. Et ce sont les femmes qui sont sans doute les plus courageuses. Il suffit de les entendre chanter, parler entre elles et dire les quatre vérités du monde misérable que les mâles gèrent. Ton article m’en convainc davantage.

9-Cependant, le seul jeu d’intelligence anthropologique/féministe ne me paraît  malheureusement plus suffisant face au chaos surtout dans les zones pétrolières. Il me semble qu’il faut se pencher davantage sur notre mauvais sort, sinon le sort fatal que la domination nous réserve; nous devons réfléchir davantage sur ses plans destructeurs et les dénoncer plus fréquemment, en discuter plus fréquemment entre nous ; bien évidemment plus à la manière d’un anti-impérialisme devenu consommation, facilité ou hégémonisme. Il est curieux qu’en même temps que l’effondrement des États dits socialistes, l’anti-impérialisme s’est décoloré et les intellectuels se sont désengagés. Ils ne pensaient donc qu’en termes du pouvoir ! Les temps d’un tiers-mondisme aveugle ont révolu mais la situation de dépendance du tiers monde s’est empirée.

10- Les sociétés dominées méditerranéennes sont actuellement sous le feu destructeur de l’empire américain et des puissances occidentales qui, dans leur imaginaire malade, poursuivent les anciennes pratiques colonialistes. Mais c’est surtout les Etats-Unis qui exercent une politique hégémonique plus que démentielle pour s’accaparer des ressources énergétiques du monde et de renforcer une puissance perdue. Et cela à travers un banditisme sans précédent.

C’est vraiment le cas de dire: le banditisme, stade supérieur de l’impérialisme! Ils exercent la politique de la terre brûlée dans nos pays, pour gagner la bataille du nouveau désordre mondial.

Je crois que le régime américain, qui procède d’ailleurs par faiblesse, est très sensible à l’opinion publique américaine et mondiale et reculerait si de plus en plus de voix et de réflexions s’élevaient contre ses crimes.

Ne pas oublier qu’il y a un vrai État dans l’État aux États-Unis, une CIA active derrière la CIA officielle.

Qui a fourni, à travers le système de banques monté par la CIA active, 10 milliards de dollars à Ben Laden pour monter l’organisation d’Al Qaida et le terrorisme mondial? Qui a fait de la lutte contre le terrorisme, le moyen de la justification de la policification du monde, afin de tout contrôler; mais comment on peut tout contrôler?! Il s’agit surtout de mesure de répression; les citoyens sont méprisés même dans leur corps. Exemple: les contrôles dans les aéroports. Après le cirque du terrorisme liquide, peut-être bientôt pour «lutter contre le terrorisme», au lieu de l’ancien spectacle des sondes spatiales, l’imaginaire malade du pouvoir fera enfoncer des sondes par le nez dans l’estomac des passagers (la pratique habituelle à Guantanamo pour alimenter de force les détenus qui font grève de la faim) ! Nous connaissons l’état actuel de la persécution/peur du terrorisme/écrasement de la vie sous forme du Da’ech!

Comment comprendre que la CIA ouvre deux de ses principaux bureaux au Yémen, et surtout en Arabie Saoudite? Foyers justement d’interventions pour semer le chaos: d’abord soi-disant pour sauver la Syrie par les subventions saoudiennes et la menace du châtiment du peuple syrien par des bombardements pour démanteler les terroristes (en bonne partie alimentés par le régime iranien), et finalement la subvention des destructions contre les «forces du Mal» par les saoudiens, la guerre américaine par des drones, etc.

Ne pas oublier que l’extrême-droite américaine veut nettoyer le monde par le feu des violences, et bien sûr en même temps s’accaparer de toutes les ressources qui se raréfient. Une fois que les Etats-Unis ne sont plus la première puissance économique, ils font prévaloir leur puissance militaire.

L’Etat de face/la machine politico-administrative, ne produit que des discours et des manœuvres diplomatiques. Alors que les américains des classes populaires et moyennes, des gens très agréables individuellement, encore que parfois profondément déboussolés, comme tu l’illustres à travers tes contes de Femmes de crépuscule, sont eux-mêmes très endettés, en proie à des difficultés de survie, pillés par les sangsues qui ont monté la machine des «subprimes»… et qui continuent toujours à en profiter.

Comment se fait-il que la bourse américaine ne cesse de s’épanouir? depuis 2008, le Nasdaq a quadruplé, alors que la récession emporte le monde. Comme le disait Paul Vieille dans une de ses leçons aux Etats-Unis, ceux-ci absorbent les richesses du monde via l’Europe.

En même temps, les militants actifs contre les pratiques du régime américain sont beaucoup plus nombreux aux Etats-Unis. Voilà donc encore une fois par nécessité et leur conscience face aux démons qui les dirigent.

Il faut suivre ce qu’un américain comme Robert Parry a écrit et écrit toujours sur le vrai système de son pays et la corruption de ses dirigeants: de l’organisation mondiale de la drogue à partir du règne de Bush-père à l’occupation de l’Afghanistan, pendant laquelle ce pays est devenu le premier pays producteur de l’opium, avec l’aval et le contrôle des américains eux-mêmes ; de l’affaire des otages américains en Iran (montée par la CIA et les pro-cléricaux iraniens pour comploter contre la révolution) à l’Irangate pendant les huit ans de la guerre Iran-Irak, une guerre que les américains ont fait déclencher pour donner une leçon cuisante aux peuples qui osent se révolter et ainsi convertir une revendication révolutionnaire en un des régimes les plus fascistes.

C’est depuis des années, en effet, que les iraniens doivent supporter le Dâèche chez eux. Qu’est-ce celui-ci? Comment surgit-il soudain comme champignon vénéneux du fond des égouts? D’où vient toute cette armée de terroristes et qu’est-ce qui la motive (tu y réponds un peu), comment les recrutés s’organisent, jusqu’où va leur imaginaire criminel? Comment disposent-ils des fonds pour continuer? Cette organisation ne semble-t-elle pas être alimentée par le blanchiment de la drogue (le deuxième commerce du monde)? Pas plus tard qu’hier, dans une lettre à Khâménè’i, Obama lui demande de ne pas financer le Da’ech.

Snowden a rappelé que le Da’ech a été la réalisation d’un vieux projet de Etats-Unis-Angleterre-Israel, appelé la «ruche des guêpes» pour ramasser tous les criminels, mercenaires, aventuriers et mécontents au Moyen Orient et en faire une armée et un État. Justement un «État islamique» qui incarne le Mal contre lequel la domination des Etats-Unis d’Israel justifiera désormais son imaginaire malade et leur machine militaro-industrielle articulée au pouvoir.

Parfois je pense que l’État américain est comme un petit enfant schizophrène qui a besoin sans cesse d’un jouet maléfique qu’il fabrique lui-même pour ensuite l’écraser, le déchirer en lambeaux (la complicité des Noriega et des Saddam Hussein, hommes de main devenus objets de la persécution étasunienne a été explicitée dans Dismantling America par l’ancien agent de la CIA Oswald Le Winter (qui s’exila), à l’occasion de l’affaire plus que suspecte du 11 septembre 2001).

D’ailleurs tu peux remarquer que Da’ech agit dans une mise en scène spectaculaire de ses crimes (que les médias occidentaux amplifient pour faire oublier qu’il faut se poser des questions pertinentes à son sujet), qu’il est légèrement et trop lentement combattu par les drones américaines, tout doucement, après une longue hésitation et certainement après les contestations sourdes de l’opinion publique, qui comprend très bien ce genre de manœuvres louches. Erdogan reproche aux Etats-Unis de ne droner  que Koubané ; il sait que cela veut dire l’entrée en scène héroïque des kurdes; tout porte à croire que la domination veut mettre en scène une nouvelle tragédie de guerres interminables et amplifier celle d’Israël contre la Palestine.

Tu vois donc que l’imaginaire malade de la domination a besoin sans cesse de déclencher des conflits, des violences de plus en plus atroces et des chaos incontrôlables, pour ensuite venir se présenter comme le gendarme du monde, comme l’agent d’une paix jamais atteinte…

Tu sais que depuis quelques années de nouvelles cartes de la division des pays pétroliers circulent sur l’internet. Regarde ce qui arrive à l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie, la Lybie. Y a-t-il une guerre civile ou plutôt une guerre contre les civiles ? Le Liban et la Jordanie courent les premiers un danger imminent d’éclatement après l’afflux des réfugiés syriens. A qui le tour plus tard?

Malgré les guerres technologiques «propres» d’aujourd’hui avec des drones, les saletés belliqueuses de nos jours sont incomparables aux malheurs qui arrivaient aux peuples dans le passé. La gravité écologique de ces guerres, vu les moyens de destruction massifs créés par le premier commerce du monde, est inouïe. Le blanchiment des drogues s’intègre de plus en plus dans les circuits financiers, voire les trafiquants entrent directement dans la gestion des affaires des pays. Notre cher Paul Vieille qui a démonté la machine de domination mondiale articulée aux intérêts des firmes transnationales et à la spéculation financière (P.M. Nº 35-36, 1986), que dirait-il aujourd’hui? Il a beaucoup réfléchi jusqu’à sa mort, en 2010, sur la résistance des peuples face aux fondamentalismes et contre les États pilleurs/relais de la domination.  Da’ech  n’est-il pas le rejeton d’un monstre? Ce monstre est né lui-même, après la guerre de Vietnam, des déshumanités et des destructions pendant ces dernières décennies, causées par les Napalms et les bombes radioactives versés sur les  méditerranéens. N’est-ce pas pour mettre au joug les peuples en colère, pour faire reculer le monde dans les obscurantismes très lointains ?

Il y a 35 ans, en ces temps-là où l’islam était l’espoir des peuples, on n’était pas encore au stade de l’instrumentalisation/institutionnalisation maladive de l’islamisme et du terrorisme par les Etats-Unis. Malheureusement, devant la nouvelle donne, les efforts socio-anthropologiques ne paraissent plus suffisants. Ils sont bien sûr plus que nécessaires, puisqu’ils ne sont même pas bien connus de la majorité des «intellectuels», eux-mêmes d’ailleurs de plus en plus désengagés en Occident.

Je me souviens qu’en 1971, si un nez était cassé à Karachi, nous faisions des manifestations à Paris. Aujourd’hui, il faut aller voir en France les couloirs des facs bien nettoyés de toute trace de subversion…

Il me semble qu’il faut mettre un peu plus d’effort pour affronter/dénoncer les semeurs du chaos qui sont en train de tout paralyser, de jeter l’humanité entière dans l’abîme. Que faire avec des réflexions certes nécessaires devant la maison qui brûle? Il faut aussi chercher et désigner clairement les incendiaires et le répéter tant que toutes les victimes n’en ont pas pris conscience.

Tenter de comprendre qu’aussi bien dans la révolution iranienne qu’au «printemps arabe», en Tunisie, en Lybie, en Égypte, en Algérie, au Yémen, aux Émirats, dès que le mouvement social s’amplifie et met en danger le système mondial multipolaire (israélo-étasunien, russe, chinois), il y a tout de suite les islamistes qui surgissent, les fondamentalistes qui avancent, les coups d’Etat qui s’imposent, les exécutions et le chaos qui prennent de l’ampleur… pour faire brûler le peuple au petit feu ou aux grandes flammes. Qui les promeut et les téléguide? Faut-il rappeler que le démantèlement de la Lybie de Kadhafi, lui-même homme de main des vieux colonialistes, a été une «leçon» destinée aux peuples révolutionnaires du printemps arabe?

Il faut aussi jeter un regard critique sur tous ceux qui se sont laissé emporter par l’effervescence de l’islam révolutionnaire et ont promu sans condition les cléricaux. Paul Vieille a au moins bien analysé la religiosité populaire face à la religiosité savante (cf. Nº 5, 8 et 16 de P.M.).

En un mot, je crois qu’il faut se mettre davantage à faire des études socio-anthropologiques de l’imaginaire profondément malade des dominants de ce monde qui condamnent le tiers monde, le quart monde et le quinte monde (victimes des guerres dites civiles et des déséquilibres du climat) à rester dans le sphère de la sous-humanité. Études à amplifier, d’autant plus que, comme le dirait Paul Vieille, les «intellectuels organiques du peuple» tentent d’agir, et surtout grâce à l’internet, comme c’est le cas dans le printemps arabe et en Iran, actuellement. Il faut condamner fémininement, poétiquement, scientifiquement les maîtres fous du monde et leurs hommes de main criminels, qui font d’ailleurs tout, comme tu le dis, pour maintenir en place le vieux patriarcat moribond.

Je crois que des femmes/hommes à chaque fois plus beaux surgissent dans un monde malheureusement trop laid. J’ai été très ému devant le geste de la jeune pakistanaise prix Nobel de la paix, qui a décidé de consacrer ses 50 mille dollars à la fondation des écoles au Gaza. On ne voit pas tellement ce genre de générosité chez les hommes qui emportent des prix.

Du fin fond de mon village perdu, le 5 novembre 2014

Pirouz Eftékhari

La Rédaction

Madaniya - Civique et citoyen. Madaniya s'honore de la responsabilité d'abriter au sein de sa rédaction des opposants démocratiques en exil, des rechercheurs, des écrivains, des philosophes en provenance d'Afrique, des pays du golfe, du Moyen-Orient, et d'Amérique latine, dont la contribution se fera, pour ceux qui le souhaitent, sous le sceau de l'anonymat, par le biais de pseudonyme.

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