Dae'ch : sous les balles, une nouvelle stratégie …

Dae'ch : sous les balles, une nouvelle stratégie … 938 400 Jean François Fechino

Le 29 juin coïncide avec la commémoration du 1er anniversaire de la proclamation du califat d’Ibrahim, premier jour du mois de Ramadan 2014.

Retour sur ce phénomène avec Jean François Fechino,
Directeur de l’Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l’Homme Genève.

Da’ech acronyme arabe bien pratique pour désigner un groupe terroriste qui s’est magnifiquement autoproclamé « État Islamique »…  et envisagerait de fonder un Califat entre l’Irak et la Syrie, ad minima.

Dae’ch reste à la Une de la presse internationale à travers ses victoires, ses conquêtes et ses exécutions monstrueuses. Mais sur place, le pseudo Etat Islamique s’organise ou tente de s’organiser. Malheureusement, seuls, quelques faibles et inaudibles témoignages arrivent au compte goutte. Dae’ch attire toute une série de jeunes gens et jeunes filles qui, s’ils ne rêvent de gloire, de sang et d’aventures, se trouvent devant une réalité bien différente, une fois toutes les chicanes, pour atteindre la Syrie ou l’Irak, déjouées.

Recrutement tout azimut… mais sous contrôle

En moins deux ans, Dae’ch a eu un effet catalytique sur des esprits plutôt faibles avec un recrutement aux marges de notre Société, souvent largement inspiré d’un système sectaire. « Les, mal dans leur tête, dans leur peau et dans leur âme » étaient accueillis les bras ouverts. Encouragés à rejoindre ses rangs, Dae’ch n’était pas très regardant sur le parcours ni sur le CV. Cela les a obligé à gérer ces jeunes recrues selon un système communautariste car nombreux sont ceux qui ne parlent et ne comprennent pas l’arabe.

L’afflux, il a fallu aussi organiser un tri afin de vérifier qu’il n’y avait pas d’infiltration. Cette tâche, très technique a été confiée à d’anciens officiers de Saddam Hussein. Des officiers formés à l’école du KGB et qui ont toujours su appliquer les méthodes soviétiques pour interroger avec efficacité leurs prisonniers jusqu’à briser leur personnalité, les transformer en ombres.

Cette seconde phase de recrutement, qui reste toujours d’actualité, a été rendue nécessaire par une affluence importante des jeunes occidentaux mais aussi Russes, Canadiens et Arabes qui voulaient venir combattre à leurs côtés. Elle a eu comme effet de transformer des garçons souvent fragilisés par la vie sociale chez eux, en des monstres à quoi et à qui rien ne semblait faire peur. Si on ajoute quelques doses de drogues (captagon), vous vous retrouvez sur le champ de bataille avec de véritables zombies que rien ne semble atteindre et capables des pires exactions envers les populations civiles locales.

Cette terreur, même si elle fait le bonheur de la stratégie des dirigeants de Dae’ch, reste parfaitement adaptée au court terme. Or, Dae’ch n’est pas un groupuscule de terroristes qui se bat puis s’en retourne. Dae’ch a l’intention de créer un Etat, un Califat, ils ont besoin après la phase de conquête et d’épuration ethnique et religieuse, de mettre en place un nouveau système administratif, civil et religieux. Et là, les combattants étrangers, utilisés pour la conquête, ne peuvent plus leur servir.

Le ras le bol des occupants…

les populations irakiennes qui sortent à peine d’une longue occupation par les troupes américaines, avaient pu espérer voir la fin de cette occupation lors du retrait des GI, même si derrière eux, ils laissaient alors le chaos s’installer.

Avec l’arrivée de Dae’ch, les Irakiens découvrent qu’eux aussi ont recours aux étrangers… Malheureusement, ils constatent aussi que ce sont eux qui commettent les pires violences, souvent gratuites, alors et naturellement, ils en viennent à rejeter Dae’ch, assimilé –de facto– à un nouvel occupant tortionnaire… Ce qui ne fait pas du tout les affaires des dirigeants de Dae’ch qui ont besoin d’une image positive pour implanter leur nouveau régime.

Seulement voilà, comment exfiltrer des combattants dont on ne veut plus ? Il est vrai que quelques combattants étrangers ont déjà tenté de rentrer chez eux. Certains pour des raisons futiles, d’autres parce que le régime auquel on les soumet leur est insupportable, certains par lassitude de la situation de guerre. Peu importe le prétexte -ou non- le retour reste de plus en plus aléatoire. Ce n’est pas sans réjouir les états occidentaux qui voudraient bien éviter de voir revenir sur leurs sols des garçons aguerris, l’âme chargée d’actes criminels et toujours susceptibles de venir exercer sur leur sol des attentats. Alors on est en droit de s’interroger sur cette fidélité à toute épreuve qu’ils vouent à Dae’ch et ses dirigeants, à moins que – comme le rapportent quelques rares témoins, ils ne soient éliminés sur place, par Dae’ch lui-même ?

On ne quitte pas Dae’ch , c’est Dae’ch qui vous tue !

Quitter Dae’ch est donc considéré comme un acte de désertion et puni en conséquence. Les quelques uns qui l’on tenté, en réalité très peu, l’on chèrement payé de leur vie. Les autres sont des rescapés, au sens propre du terme. Les responsables de Dae’ch n’ont-ils pas fait exécuter, devant leurs camarades, plusieurs dizaines de « déserteurs » à Raqqa, il y a trois mois. Dans quelques cas, des déserteurs ont même servi de « bombes humaines », avec un bourreau chargé de télécommander l’explosion.

Dernièrement, et avec une grande hypocrisie et un certain cynisme, Dae’ch aurait même organisé ses propres filières d’exfiltration groupée. Pour ceux qui présentent quelques faiblesse à Raqqa, Ramadi, Mossoul, s’ils tentent de se renseigner sur la façon de rentrer chez eux, ils peuvent tomber sur des oreilles compatissantes qui leur proposent de leur faire suivre une filière d’extraction… qui se termine dans la courette d’une maison avec une balle dans la nuque…

Il ne peut-être question, pour l’organisation, que des services de renseignements étrangers puissent obtenir la moindre information sur le système que les dirigeants sont en train de mettre en place.

Changements stratégiques majeurs… la délation

Si au début de la création de Dae’ch, l’organisation a rameuté à elle les âmes d’une « soldatesque » errante, revenant d’Afghanistan ou d’Irak ou même de Tchétchénie, et en manque de nouveaux combats, cette manne a été bien utile. Mais au fur et à mesure de l’avancée des conquêtes, ces combattants étrangers se sont révélés plus encombrants qu’utiles. Aujourd’hui, c’est Dae’ch lui-même qui se trouve dans l’embarras avec des éléments incontrôlables, peu fiables, peu aguerris et surtout exigeants et indisciplinés. Alors, au moment où il devient urgent de transformer les conquêtes en occupation avant de passer à l’étape de l’administration, Dae’ch a besoin de faire du tri. Et quel tri !

Les objectifs militaires n’ont pas encore tous été atteints. Mais les responsables savent qu’ils ne peuvent confier la gestion des territoires à des combattants étrangers, obligés d’être surveillés et doublés avec des interprètes locaux qui ne parlent pas nécessairement l’anglais ou le français…

Dae’ch vient d’entamer une seconde phase dans ses recrutements pour s’attacher des esprits plus techniques, plus pratiques, plus organisationnels qui sont susceptibles de l’aider dans ses tâches administratives et organisationnelles.

L’organisation semble vouloir réitérer l’opération qui lui a si bien réussie jusque là, faire venir des étrangers avant toute chose, quitte à s’en débarrasser ultérieurement. Ce changement de recrutement est long et délicat, on ne recrute pas pas à un poste administratif comme on recrute un combattant, surtout que les dits combattants ne sont pas toujours d’une grande culture ni administrative ni organisationnelle. En France, en Belgique, au Canada, en Grande-Bretagne, recruter pour le Djihad rapporte toujours plus que recruter pour des postes d’administration.

Alors, Dae’ch ne semble pas hésiter à sacrifier quelques branches déclarées « pas ou peu intéressantes » en dénonçant (anonymement, cela va s’en dire) quelques filières de recrutement sur le point d’expédier du menu fretin, de nouveaux futurs combattants qui coûteraient cher à l’organisation s’ils arrivaient sur place. Da’ech, à distance, gère les entrées et sélectionne les candidats remettant aux polices étrangères ceux qui sont considérés comme peu intéressants. C’est ainsi que dernièrement les polices de différents pays ont-elles pu démanteler des filières de recrutements de Djihadistes.

Cette technique est encore plus dangereuse pour l’Occident, même si, pour l’instant, rien ne semble indiquer que Dae’ch souhaite porter la terreur hors du Proche-Orient. Avec cette stratégie d’écrémage, Dae’ch encombre les tribunaux, sature les prisons, inonde les médias de sa problématique présence mais surtout laisse sur le carreau occidental quelques centaines de garçons frustrés dont la colère ne pourra que croître à l’égard des systèmes pour lesquels ils se sont engagés dans la voie du nouveau gourou. Se considérant d’ores et déjà comme des « appelés de Dieu » appartenant à la « tribu élue », comment pourraient-ils admettre avoir été abandonnés et trahis par les maîtres de la tribu, eux-mêmes !

Stratégie suprême, volontaire ou opportuniste, de la part de Dae’ch qui sait parfaitement bien jouer avec les nerfs et les médias occidentaux et qui souhaite apporter un semblant de paix civile dans les zones conquises en éliminant les trublions, les incontrôlables étrangers tout en agitant le spectre de la menace réelle ou supposée d’un terrorisme larvé, si difficilement décelable, voire incontrôlable dans nos villes et capitales, et sans bouger de chez eux, bien abrités par les murailles de Raqqa…

Jean François Fechino

Jean-François FECHINO est le directeur de l’Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l’Homme, une ONG genevoise ayant un statut EcoSoc. Consultant international spécialisé dans l'évaluation des dégâts gouvernementaux causés par les armements à base d'uranium appauvri. Expert en “remédiation des terrains post-conflits” et en “nouveaux armements” auprès des Nations Unies, il a signé différents rapports sur des zones de conflits comme l’Afghanistan, l’Irak ou Gaza. Sensibilisé depuis de nombreuses années aux problématiques de la Responsabilité Sociétale des Entreprises, tout en développant une activité de conseil il est largement investi dans le monde associatif. Aujourd’hui, il partage son expertise, ses expériences avec l’équipe de l’IIPJHR. L’Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l’Homme (IIPJHR) est une ONG de droit genevois disposant du statut EcoSoc. L’Institut développe une réflexion en matière d’anticipation aux atteintes des Droits de l’Homme dans trois domaines : Les nouvelles crises: Actuellement celle liée aux départs de combattants étrangers pour le djihad (impact sur les familles, moyens de recrutements, gestion de la problématique liée au retour, déradicalisation...). Les nouvelles technologies: L’Institut travaille sur la problématique des données personnelles, notamment sur la question de leurs utilisations mercantiles ou à des fins de surveillance et sur la question de la protection des utilisateurs ainsi que l’évolution de la législation qu’elle soit internationale ou nationales.. Les nouveaux armements. L’Institut s’est également saisi du dossier relatif aux drones à usage sécuritaire (dérivé des programmes militaires) dont plusieurs programmes sont en cours d’élaboration et d’adoption par de nombreux pays.. L’Institut organise des conférences sur ces thématiques en marge des sessions du Conseil des Droits de l’Homme des Nations-Unies à Genève et des ateliers dans ses locaux. Les équipes de l’Institut développent aussi ces différentes thématiques au travers de déclarations écrites et orales destinées aux membres du Conseil des Droits de l’Homme. L’IIPJHR est également Observateur International des processus électoraux et participe à de nombreuses missions et rapports afin d’ aider les gouvernements, les partis politiques et les citoyens à accéder à une vie plus démocratique.

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Un commentaire
  • C’est tout à fait et sans vouloir me vanter, l’analyse que j’ai faite depuis déjà un certain temps. Tant en ce qui concerne ceux qui souhaitent abandonner le combat et regagner leur pénates et qui s’en voient définitivement empêchés de la manière la plus radicale : il ne s’agit pas qu’ils aillent raconter aux autorités des pays dont ils sont issus, ce qu’ils ont fait, sous les ordres de qui, qui les a instruits, emmenés, armés etc…..;
    Qu’en ce qui concerne une alliance qui semblerait à priori contre nature entre Daech et les autorisés occidentales dans le repérage et partant, la dénonciation des filières de recrutement. Il suffit d’apprendre que à la frontière turque, un jeune ou moins jeune du reste, a été refoulé et renvoyé vers les autorités de son pays. Cela ferait sourire si les abominations n’avaient pas déjà eu lieu.
    Enfin, il est évident que cette organisation qui a fait appel à des individus fragiles mentalement, psychologiquement, en rupture ou pas avec leur famille, les autorités diverses et variées afin de leur faire commettre les plus abjectes des crimes, ne pouvaient pas s’embarrasser de cette population pour réaliser son objectif d’un état transnational, avec une administration, des institutions.
    Ces pauvres bougres auront été à la fois de la « chair à canon », des assassins psychopathes de la pire espèce qui soit et au final…… des victimes de leur maître. Effrayant !

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