Le califat dans les imaginaires de l'Islam sunnite 1/2

Le califat dans les imaginaires de l'Islam sunnite 1/2 938 440 Roger Naba'a

En 30 ans, deux califes assassinés, quatre guerres civiles scellent l’éclatement de l’Islam en trois islams : Sunnite, Chiite, Kharijite.

Note de la rédaction www.madaniya.info

Le califat est une notion exclusivement sunnite. Contrairement aux analyses des islamologues et autres islamophilistes, le califat universel n’existe pas. Le califat n’est pas universel, mais une notion exclusivement sunnite, et l’on ne comprendra rien au califat si on le décontextualise, c’est-à-dire si on en dé-sunnise l’histoire.

Retour sur cette séquence historique, sanglante que constitue le califat, «la plus grande source de discorde au sein de la Umma», selon l’expression du théologien Al Ashari.

Trois ans (2014-2017 : Telle aura été la durée du magistère du Calife Ibrahim, alias Abou Bakr Al Baghdadi, le plus court dans l’histoire du califat islamique.

Salué par la foultitude des djihadologues en herbe comme l’aube d’une nouvelle renaissance pan islamique, entraînant rupture du partage du Moyen orient selon le schéma Sykes Picot, le 5e califat de l’histoire musulmane est apparu au vu de sa pratique et de ses résultats comme l’expression d’une pathologie passéiste, d’une nostalgie de grandeur révolue.

Un délai ultra court au regard de l’histoire, mais qui aura opéré un bouleversement majeur des données de la guerre de Syrie et d’Irak. Parallèlement au travail de sape de la coalition occidentale en appui aux opérations au sol de ses supplétifs kurdes, la reconquête de l’Irak sur injonction de l’Ayatollah Ali Hussayni Al Sistani a mis en relief la contribution majeure des milices chiites irakiennes «Al Hached Al Chaabi» (La mobilisation Populaire) et des ses parrains iraniens dans la défaite de l’hydre djihadiste sunnite. A tout le moins en Irak.

Pour aller plus loin sur le thème

Fin de la note de la rédaction

1 – Le califat, la plus grande source de discorde

Beyrouth, mars-juillet 2017. La chute de Mossoul, capitale de L’État Islamique, en juin 2017, trois ans après la proclamation du califat, remet en mémoire la problématique du califat en terre d’Islam. À se référer à son histoire (1), le califat est, ainsi que l’a soutenu al-Ach’arī (2) en son temps, « a plus grande source de discorde au sein de la umma (…) Jamais principe religieux n’a fait couler tant de sang en islam».

Une histoire effectivement sanglante. En l’espace d’une trentaine d’années, entre 632, date de la mort du Prophète, et 661 l’assassinat de ‘Ali, sous ce califat dit Bien Guidé (al-kulafā’ ar-rāchidun), la umma islāmiyya fut ravagée par une suite de fitan (plur. de fitna(3)) – dont la plus traumatisante prit le nom de «al-fitna al-kubra»(4) – toutes ordonnées par la succession du Prophète.

Le Prophète mort, le choix d’Abu Bakr (r. 632-634) pour lui succéder ne se fit pas sans que sa nomination à la tête de la umma ne soulevât des tempêtes en son sein.

Il dut même affronter une sédition (632-633) qui, se généralisant rapidement (Bahreïn, Nadjd, Yamāma, Yémen, Hadramawt, ‘Umān), embrasa une grande partie des tribus arabes du monde islamique de l’époque et risqua de mettre la umma en pièces.

2- Les guerres d’apostasie : Hurub Ar-Ridda

Tout en proclamant haut et fort qu’elles ne reniaient pas l’islam et qu’elles continueraient à le pratiquer, les tribus arabes qui avaient été du vivant du Prophète sous domination médinoise, entrèrent en rébellion à sa mort, dénièrent reconnaître les représentants du «pouvoir central» de Médine -alors la capitale de ce qui n’était pas encore un empire-, refusèrent de continuer à payer l’impôt et, plus grave, maint de leur dirigeants s’érigèrent en successeur, en khalīfa, voire certains en prophète.

Baptisée du nom de hurub ar-ridda, cette première fitna remettant en question le Pouvoir central, ie le califat de Abu Bakr, fut à l’évidence de nature politique plutôt que religieuse comme on a voulu le faire croire en les dénommant hurub «ar-ridda», qui veut dire guerres «d’apostasie».

Si, les guerres de ridda matées, le califat de ‘Umar (r. 634-644) se passa sans fitna qui remît en question l’unité et l’unicité de la umma(5), la catastrophe survint vingt-cinq ans après la mort du Prophète, sous le califat de ‘Uthman (r. 644-656), pour se reconduire, s’amplifiant, tout au long du califat de ‘Ali (r. 656-661)… et même au-delà.

Après une période de fortes tensions induites par le gouvernement de ‘Uthmān jugé inique et parentiste, il fut assassiné chez lui, à Médine, en 656. Comme le diront les chroniqueurs, le meurtre de ‘Uthman aura été «al-bāb al-maftūh lil-fitna» [La porte ouverte à la «discorde et la guerre civile»]. Et effectivement, de cet assassinat, en soi déjà une crise, se foisonna une suite dérèglée de fitan plus graves les unes que les autres et toujours ordonnée à la succession du Prophète.

À la mort de ‘Uthman, les Médinois choisirent de prêter allégeance (bay’a) à ‘Ali dans l’urgence, traduisant leur désarroi quant à la possible décomposition de la umma. Mais cette élection ne satisfit pas tout le monde : notamment ‘Aycha, veuve du Prophète, et deux de ses Compagnons, az-Zubayr et Tālha qui avait, lui, des prétentions au califat ; notamment aussi Mu’āwiya, alors gouverneur de Damas et proche cousin de ‘Uthman, qui refusa la bay’a tant que ‘Ali, accusé d’être leur complice, n’aura pas vengé ‘Uthman en arrêtant ses assassins; notamment enfin des khārijites ou khawārij, qui, eux, se révoltèrent mais en un sens totalement différent. On y reviendra.

3- La bataille du Chameau (656) et la bataille de çiffin (657), dont l’enjeu est la succession du prophète

Cette suite réglée de crises devait s’engendrer en une suite réglée de trois batailles sanglantes et d’un assassinat dont l’enjeu était encore et toujours commandé par la succession du Prophète.

La première d’entre elles, fut la Bataille du Chameau (656) qui mit aux prises ‘Ali contre ‘Aycha et ses alliés, les deux Compagnons du Prophète.

Après Hurub ar-ridda, la Bataille du Chameau fut la seconde des grandes batailles qui opposa les armes à la main, les premiers musulmans entre eux.

Certes, ‘Ali en sortit vainqueur, mais la contestation de son califat ne prit pas fin pour autant, car dans la même foulée, se coulant l’une dans l’autre, l’année suivante s’accomplit en Syrie la troisième grande bataille des musulmans entre eux, celle de Çiffīn (657) qui opposa ‘Ali à Mu’āwiya.

4- La sortie des Kharijites et la bataille de Nahrawān (658-659)

Enfin, dans la coulée de cette bataille, une autre fitna, encore plus grave quoique d’un autre genre, opposa ‘Ali à certains de ses partisans. En effet, face au risque de perdre la bataille de Çiffīn, dont son armée était en passe d’être défaite, Mu’āwiya ordonna à ses hommes de brandir des Corans au bout de leur lance afin de réclamer un arbitrage humain. Après hésitation, ‘Ali finit par accepter l’arbitrage humain. Son acceptation eut deux suites majeures. Par rapport à son ennemi, l’arbitrage lui ayant été favorable, Mu’āwiya légitima sa désobéissance à ‘Ali et se fit proclamer calife en 660, avec pour capitale Damas. Deux califes désormais, régnaient sur la umma, Mu’āwiya à Damas en Syrie, ‘Ali à Kūfa en Iraq où il s’était replié avec ses partisans.

Seconde suite majeure. Qu ‘Ali eût accepté l’arbitrage humain est précisément ce que refusèrent certains de ses partisans qui se révoltèrent contre lui, car, pour eux, il est impossible de sceller le sort d’une bataille par l’arbitrage humain, puisque «Lā hukma illā li-Allāh»/«Lā hukma illā-lillāh» [Il n’y a d’arbitrage/de jugement que de celui de Dieu].

Ils décidèrent donc de «sortir» -(kharaja d’où leur nom : khārijites/khawārij, les «sortants»)(6)- des rangs de ‘Ali. Les considérant comme «sortis» de la umma, ‘Ali déclencha la quatrième des grandes batailles de ce califat «Bien Guidé», la terrible Bataille de Nahrawān (658-659) qui se conclut au profit de ‘Ali par une non moins terrible répression contre les khārijites, on a parlé de massacre. Et ce fut un khārijite qui lui asséna, en 661, le coup de poignard qui lui sera fatal.

Avec l’assassinat d‘Ali prit fin le mal nommé califat Bien Guidé qui fut à l’évidence des faits un «califat fitnique».

5- En 30 ans, deux califes assassinés, quatre guerres civiles scellent l’éclatement de l’Islam en trois islams : Sunnite, Chiite, Kharijite

En l’espace de seulement trente ans, pour raison de succession, deux califes auront été assassinés, quatre guerres civiles auront ensanglanté la umma, deux califes en guerre auront régné ensemble, et enfin mais surtout, le terme de ce califat aura définitivement scellé l’éclatement de l’Islam en trois islams :

l’islam sunnite, l’islam chiite et l’islam khārijite.

En l’espace de trente ans, ce califat des Premiers temps aura été vécu en contradiction frontale avec tout ce que les musulmans en attendaient ; de son fait les musulmans – qui ne s’attendaient pas que l’horizon islamique fût inaccessible, que les temps post prophétiques fussent si conflictuels, si profondément traversés par la fitna, ni si en contradiction avec les idéaux de l’islam ; les musulmans donc firent l’expérience de l’impossible unité de la umma.

Et pourtant !

6 -Le hiatus entre une réalité sanglante et la représentation mythifiée du Califat

Deux siècles après ces tragiques événements, à partir du VIIIe siècle bien que le fond de l’air en eût été plein depuis les grondements de la fitna, la fiction des Khulafā’ Rāshidūn -comme un pressentiment vers la fin du califat dit Bien Guidé, comme une présomption sous les Omeyyades et enfin comme une conviction partagée par la «umma sunnite» avec et depuis les Abbassides- s’imposa à tous, si ce n’est comme un «fait» en tout cas comme une «vérité»; et pour près de douze siècles, du VIIIe à nos jours, le califat dit Bien Guidé a représenté – et représenterait toujours (?) – pour la majorité des peuples musulmans sunnites, la vérité par excellence de l’«État islamique».

Comment expliquer ce(t) hiatus entre une réalité sanglante sans cesse avérée et sa représentation mythifiée ?

Comment expliquer que le Califat de paix et d’unité fantasmé en âge d’or, ait pu naitre d’une période califale (7) faite de discordes, de troubles, d’assassinats, de massacres et de guerres civiles, à répétition ?

Comment ce qui a existé, un califat fitnique, «malheureux (8)», a-t-il donné naissance à ce qui n’exista jamais et dont les musulmans n’avaient nulle expérience, le «califat « Heureux »(9)» dit des Bien Guidés ?

Le paradoxe intrigue ! Quand bien même l’on serait réduit à des explications conjecturales, tentons quand même l’aventure de nous l’expliquer ! Aventure que bien d’autres avant ont tentée.

Mais il me semble qu’au regard de ce que j’ai lu sur cette question – et Dieu sait la masse de ce que je n’ai pas lu -, il me semble que l’hypothèse retenue régulièrement repose, explicitement ou implicitement, sur l’opposition «réalité vs imaginaire/irréalité», en l’occurrence, la «réalité» fitnique du califat vs la «vérité imaginaire» d’un Califat Bien Guidé perçu comme promesse, celui-ci ne venant pas prendre la place de celui-là, s’y substituer pour l’effacer de la «mémoire de ces lieux», mais pour le chevaucher actant ainsi une bien étrange valse entre le «fait» de l’histoire et la «vérité» de la promesse. Mais une promesse ne peut se comprendre si l’on omet de prendre en compte celui qui fait confiance à la parole donnée, car quel sens aurait une promesse si elle n’avait pas un bénéficiaire qui croit à sa possible réalisation ?

À l’opposition radicale retenue par cette lecture «réaliste», le libre jeu de l’imaginaire en cette circonstance me semble avoir été beaucoup plus subtil et plus complexe dès lors que cette opposition vue autrement ou sous un autre angle, pourrait n’être que la forme sensible d’autres oppositions qui en constitueraient comme son imaginaire premier ?

«C’est précisément l’avantage d’une action symbolique que, agissant par elle-même, elle peut recevoir de multiples interprétations et dire à chacun, selon son point de vue, une chose nouvelle.» Johann Gottfried Herder, Sämtliche Werke, vol. 20, cité par Barbara Stollberg-Rilinger, «La communication symbolique à l’époque pré-moderne. Concepts, thèses, perspectives de recherche», Trivium [En ligne], 2 | 2008, mis en ligne le 24 octobre 2008, http://trivium.revues.org/1152 «Le symbole exprime ce qui ne peut être dit que par lui.» André Malraux.

Pour essayer de cerner l’imaginaire dont il est question, le mieux serait de revenir à l’horizon d’attente des musulmans de ce temps-là tel qu’il transparait dans la nostalgie du temps prophétique où elle s’origine.

Et effectivement, il me semble, que c’est que de là, du moment de son irruption et non d’elle-même que la fiction du Califat Bien Guidé tire son sens et sa force : de son inscription dans le contexte fitnique d’alors. C’est bien pour cela, je crois, qu’elle ne s’est pas construite pour «produire» une «autre réalité», une sorte de «contre-réalité» qui aurait falsifié les faits passés ; mais par le détour du contrepoint, il s’agissait de s’«inventer» une «vérité» autre que celle charriée par la «réalité fitnique».

7 – On ne succède pas au prophète

Or donc la fitna s’étant confondue dans l’imagerie musulmane à un effondrement, elle s’est engendrée en une crise «des signes». Bien qu’éprouvée et reconnue au plan des faits et de l’histoire, cette crise des signes est demeurée néanmoins «invisible» sur un autre plan, car la reconnaître menaçait et menace toujours d’ébranler les fondations d’une Loi fondamentale vécue comme sacrée : ce qui est reconnu c’est la crise de la succession califale qui donna lieu au califat fitnique ; mais ce qui est méconnu c’est l’impossibilité (de fait/de droit ?) d’une telle succession : on ne succède pas au Prophète.

Qu’elle soit méconnue, signifie que cette crise relève de l’indicible, de l’irreprésentable et dès lors du méconnaissable.

Non reconnue, elle demeure suspendue, sans lieu propre dans la compréhension de la totalité de ce qui se passe : on ne tient pas compte de ce qui s’est passé et on continue de fonctionner comme la succession prophétique était possible ; on continue d’agir et de penser comme si le ciel, le soleil, les éléments et les hommes n’avaient pas changé d’ordre, de mouvement et de puissance et ne sont pas différents de ce qu’ils étaient autrefois.

Notes

1- Tous les éléments qui suivent ont fait l’objet d’une narration historique issue de la tradition sunnite de l’époque ‘abbasside et transmise par les chroniqueurs des VIIIe-IXe siècles – soit quelque deux siècles après l’avènement des faits. Cette narration chrono-graphique constitue le canon historique chez les sunnites. Quand bien même les faits ne pourraient être avérés «scientifiquement», il reste que c’est cette narration, autant dans sa forme que dans son contenu, qui a marqué et marque toujours les esprits et c’est en elle que se fournit le matériel de l’imaginaire des Musulmans sunnites.
Les chiites, par contre, attachés au principe «généalogique» de transmission du pouvoir: ‘Ali, cousin et gendre du Prophète, époux de sa fille Fātima et père de ses deux petits-fils, Hasan et Husayn, et donc «le plus « proche » de ses Compagnons», aurait dû en toute légitimité «généalogique» lui succéder comme premier calife de l’islam; ce qui ne fut pas le cas. Aussi dénieront-ils toute légitimité aux califes, bien guidés ou pas, qui se succéderont. Rompant d’ailleurs radicalement avec le sunnisme, ils ont substitué l’Imamat au Califat.
Quant aux kharijites, eux, ils refusent le principe que le calife soit désigné parmi les membres de la famille du prophète ou parmi les Arabes appartenant à la tribu qurayshite.
Aussi tout mon propos sera-t-il consacré à la fiction sunnite des Califes Bien Guidés.
2- (874-936). Éminent théologien du IIIe/H-IXe).
3- Passons sur ses origines qui ne servent pas ici. Le mot de fitna désigne, historiquement, la sécession qui se manifesta au sein de la umma sous les califats de ‘Uthmān/‘Ali et donna lieu à une suite de guerres civiles et de batailles rangées. Cf. Supra. Relevant de la mémoire collective, douloureusement vécue dans le silence, nulle commémoration ne vient la rappeler au souvenir des siens, fitna désigne depuis ces événements délétères, désaccords, discordes ou divisions au sein de la umma porteurs de guerre civile.
4- «La Grande Épreuve» ou «La Grande Discorde». Elle prend fin cinq ans plus tard, en 661 avec l’assassinat de ‘Ali et le califat de Mu’āwiya, mais qui dut affronter une agitation chiite, des émeutes kharijites et une opposition doctrinale sunnite. Si stricto sensu, la Grande discorde prit fin en 661, elle ne prit fin «officiellement» que pour se reconduire intensément sur une période assez longue qui s’est étalée sur quelque soixante ans, puis pour labourer toute l’histoire du califat islamique. Dénommée «al-Kubra» (La Grande), parce qu’il y en a eu beaucoup, beaucoup d’autres mais de moindre ampleur en tout cas dans l’imaginaire des musulmans. Prenant donc fin sans réussir à s’évacuer de l’histoire, la fitna serait consubstantielle à l’histoire de l’islam post prophétique ; et parmi ces fitan/s qui ont reconduit la «Kubra», deux, en raison des conséquences qu’elles ont eu sur le cours des évènements, mériteraient qu’on s’y intéresse : 1) le «martyr» de Husayn, fils de ‘Ali, lors de la Bataille de Karbala (680), qui donnera naissance au chiisme ; 2) la fitna de ‘Abdallah b. az-Zubayr (681-693) qui, refusant la bay’a au calife Yazid Ier, intronisé par Mu’āwiya son père, s’autoproclama Calife (681) fort de sa légitimité parentale avec Abu Bakr dont il est le petit-fils. L’instabilité du califat omeyyade à ses débuts aidant, b. az-Zubayr réussit à gouverner le Hijāz dix ans durant, de 683 à 693. Recevant de nombreuses allégeances, il étendit son califat jusqu’à Basra en Iraq. Ce n’est qu’en 693, que le Calife de ‘Abdel Malik put redresser la situation, son armée s’empara de La Mecque où ‘Abdallâh fut tué. Suite grave, certes! Ça semble devenir la règle puisque, pour la seconde fois de sa courte carrière, une soixantaine d’années, la umma impuissante assistait à l’existence de deux califats : 1) Mu’āwiya / ‘Ali ; 2) Yazid Ier & ‘Abdel Malik / ‘Abdallah b. az-Zubayr. Décidément cette séquence postprophétique fut bien «malheureuse»/Cf. Note 7.
Ceci étant, la demeure de l’islam connut, entre 656 et 813, une autre séquence fitnique: pas moins de quatre guerres civiles, des dizaines de révoltes, des assassinats de succession califale comme, entre autres exemples, celui d’al-Amīn (fils de Hārūn ar-Rachīd) tué durant sa tentative de fuite de Bagdad, sa capitale assiégée par son frère al-Ma’mūn, établi calife en 833.
5- Certes, le calife ‘Umar fut assassiné, mais son meurtre ne relève pas de la politique et encore moins de la succession du Prophète ; aussi cet assassinat ne concerne-t-il pas mon propos.
6- Les Khawārij (« les sortants ») doivent leur nom bien mieux qu’à une épithète générique exprimant l’idée qu’ils étaient « sortis » de la communauté des Croyants (la umma), ainsi qu’on l’a interprété plus tard, à une époque assez reculée, au fait qu’un grand nombre de partisans de ‘Ali, sortirent (kharaja) en cachette de Kūfa où ‘Ali et ses partisans s’étaient retirés, pour rejoindre le camp d’Ibn Wahb (le chef des khawārij). Mais la légende a des droits sur les faits que l’histoire n’a pas toujours. Cf. « K̲h̲ārid̲j̲ites », Encyclopedie de l’islam.
7- Califat s’écrira avec une majuscule quand il réfère au Califat idéal, imaginaire, utopique…, objet de discours et de récits plutôt que de la réalité ; et avec une minuscule quand il réfère à la réalité historique d’un califat.
8- Cf. Note suivante.
9- Comme Aristote l’avait noté, il est des énoncés – comme la demande, la prière, le souhait, le vœu, le conseil, l’ordre, Etc. – qui se présentent comme des énoncés qui n’ont pas de valeur de vérité. Il serait absurde qu’à l’exclamation : «Je souhaite qu’il vienne!», il soit répondu : «C’est vrai/C’est faux». Néanmoins, si ces énoncés n’ont pas de valeur de vérité, ils ont une «valeur de réalisation» : la demande, la prière, le souhait, le vœu, … peuvent être exaucés ou pas, le conseil suivi ou pas, l’ordre obéi ou pas. Aux valeurs «Vrai/Faux», Wittgenstein substitue pour ce genre d’énoncés les valeurs «Heureux/Malheureux»: «Heureux» quand l’énoncé est réalisé selon le souhait, le vœu… et «Malheureux» dans le cas contraire.
Évidemment le califat n’est pas un énoncé. Néanmoins il nous a semblé suggestif d’emprunter à Wittgenstein ses appellations d’Heureux et de Malheureux (en en détournant quelque peu le sens), puisque le califat réel (les califes qui se sont succédé tout au long de l’histoire de l’Empire islamique) se sont «mal réalisés/ d’où notre appellation de «califat malheureux» ; et que le Califat idéal – qui correspond à une Idée du Califat, avec un «I», comme pour suggérer qu’elle aurait à la manière des Idées de Platon à se réaliser -, Idée dont la vocation est de précisément «éponger» le califat fitnique.

Pour le lecteur arabophone, le texte de l’intellectuel égyptien Ala’ Al Aswani sur ce même thème

Roger Naba'a

Roger Naba’a, philosophe et universitaire libanais. Concepteur et l’un des fondateurs de la Revue d’Études palestiniennes qu’il a dirigée de 1981 à 1984, il est également membre du comité éditorial de la « Revue des peuples méditerranéens ». Roger Naba’a est co-auteur avec René Naba du livre "Liban, Chronique d‘un pays en sursis" - Editions du Cygne 2008.

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