De La nucléarisation de l’Asie

De La nucléarisation de l’Asie 2048 1391 René Naba

Texte de l’intervention de l’auteur à un colloque organisé à Genève le 25 Octobre 2022 par le Centre International de Lutte contre le Terrorisme (CILT), dont l’auteur en est le vice président.

René Naba est l’auteur  de deux ouvrages sur l’Asie «Le Pakistan face au défi du monde post occidental et de l’Eurasie» Golias 2018, premier ouvrage en langue française sur la mutation stratégique du Pakistan; et un ouvrage bilingue en français et en anglais “De la Nucléarisation de l’Asie” Golias Octobre 2022.

https://www.madaniya.info/2019/04/08/le-pakistan-face-au-defi-du-monde-post-occidental-et-de-l-eurasie/


Prologue: Des enseignements de la guerre d’Ukraine

La Guerre d’Ukraine a apporté la preuve qu’un pays qui ne possède pas la bombe atomique est passible d’une invasion. La leçon a valu pour l’Irak, la Libye et la Syrie. Elle vaut pour la Corée du Nord et l’Iran……… et l’Ukraine.

Cette règle a souffert toutefois de deux exceptions: l’Afrique du Sud et L’Ukraine d’une certaine façon par une démonstration a contrario.

-L’Afrique du Sud a volontairement détruit son arsenal nucléaire, le plaçant dans une position unique d’être le seul état au Monde à avoir développé ses propres armes nucléaires et d’y avoir volontairement renoncé.

Disposant de grandes réserves d’uranium, l’Afrique du Sud a commencé à développer son programme nucléaire, en 1974, en pleine guerre d’indépendance des anciennes colonies portugaises d’Afrique alors que l’URSS faisait une percée remarquée en Afrique et que Cuba venait de dépêcher plusieurs milliers de combattants cubains pour aider les révolutionnaires angolais.

-L’Ukraine, qui était dotée de quinze réacteurs nucléaires, ne dispose plus d’armes de destruction massive. Héritant de l’Union soviétique d’un vaste stock d’ogives, l’Ukraine était devenue, paradoxalement, la 3ème puissance nucléaire mondiale en termes d’ogives. Le 16 juillet 1990, le Conseil Suprême de l’Ukraine a adopté la «Déclaration de Souveraineté de l’État d’Ukraine» qui engage le pays à «ne pas produire, ni stocker, ni faire usage d’armes nucléaires». Le désarmement nucléaire de l’Ukraine a été financé par les États Unis dans le cadre du «Cooperation Threat Reduction Program», qui y a consacré 500 millions de dollars.

Autre enseignement, la Guerre d’Ukraine a apporté une fois de plus, la preuve que l’Occident détient le rôle prescripteur de définir «l’ennemi», «le mal», quand bien même les États-Unis demeurent l’unique puissance au Monde à avoir utilisé la bombe atomique, à deux reprises, à Hiroshima et Nagasaki, en Août 1945, contre le Japon et fait un usage abondant de l’arme chimique au Vietnam avec «l’agent orange».


1 – L’Asie, le continent qui comporte la plus forte concentration nucléaire.

L’Asie est le continent qui compte la plus forte concentration nucléaire avec cinq puissances atomiques: Chine, Inde, Pakistan, Corée du nord, avec la Russie dans le prolongement de l’Eurasie. et l’Iran, une puissance du seuil nucléaire. Dont deux pays communistes (Chine, Corée du Nord) et un post communiste apparenté stratégiquement, la Russie, contre trois puissances nucléaires pour l’Otan: un pour le continent américain, (les États Unis), un pour l’Union Européenne (la France) et un pour l’ancien empire britannique (le Royaume Uni).

Mieux: Au classement des six premières puissances économiques mondiales, l’Asie occupe 3 places: la Chine (première place), le Japon (3ème place) et l’Inde (6 me place), marquant ainsi la primauté du continent asiatique sur les autres continents, sans compter son poids démographique, la moitié de l’humanité.

Pis, dans un invraisemblable renversement de tendance, l’Allemagne et le Japon, les deux grands vaincus de la II me Guerre mondiale (1939-1945) se retrouvent en 3me et 4me rang des puissances mondiales, devançant leurs anciens vainqueurs, -le Royaume Uni et la France-, alors que les États Unis, fermes soutiens de la Chine Nationaliste du Maréchal Tchang Kai Check, réfugié à Taïwan, s’incline devant la Chine communiste de Mao.

Plus explicitement, la Chine et l’Inde supplantent le Royaume Uni et la France, deux membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU, dont leur superficie cumulée et leur importance démographique équivalent tout au plus à une province de ces deux États continents que constituent l’Union Indienne ou  la Chine. Un tel palmarès a conduit bon nombre d’analystes à conclure que l’Asie, continent colonisé par l’Occident jusqu’à la moitié du XX me siècle est en passe de supplanter ses anciens colonisateurs dans l’ordre de la hiérarchie mondiale, à moins que le comportement singulier de la Corée du Nord, la rivalité indo chinoise, d’une part, et indo pakistanaise, d’autre part, ne conduise à un embrasement qui réduirait un tel acquis à néant

Vus de Chine, les États Unis (superficie: 9,834 millions km², population: 328,2 millions) sont une île entre deux océans (Atlantique / pacifique) contre un pays dont la superficie: 9,597 millions km² et la population 1.398 milliards de personn s, qui se vit comme «l’Empire du Milieu».

Indice patent de la promotion de l’Asie au premier rang des continents au XXIème siècle est la propulsion d’une personnalité d’origine indienne, Rushi Shunak au poste de premier ministre britannique, 75 ans après l’indépendance de l’Inde.

Mais si les puissances nucléaires occidentales sont en état de convergence stratégique au sein d’une même alliance militaire, l’OTAN, il n’en est pas de même en Asie, où les mastodontes atomiques sont en état, sinon de confrontation à tout le moins en état de rivalité exacerbée. L’Inde est ainsi à la fois en état de rivalité avec la Chine et en état de confrontation larvée avec le Pakistan.


2- Le comportement singulier de la Corée du Nord.

Coincée entre le Japon et la Corée du sud, deux importantes plateformes militaires américaines en Asie, la Corée du Nord s’est dotée de l’arme atomique  afin de se prémunir contre toute menace de ses deux voisins, membres de l’OTASE, le volet asiatique de l’OTAN.

La Corée du Nord s’est lancée dans une programme de surarmement du pays dans la foulée de la partition de la péninsule coréenne, consécutive à la guerre de Corée, dans la décennie 1950.

Un programme qui ne souffrait pas la moindre ambiguïté quant à son objectif final dont le nom de code était «Fortification Totale», qui bénéficiera d’ailleurs d’une assistance aussi bien du bloc communiste que des États Unis. Un programme œcuménique en somme.

Soutenu au départ par l’Union soviétique, relayé ensuite par la Chine, la Corée du Nord a bénéficié en outre de l’assistance des États Unis, en 1064, dans le cadre de l’accord «Agreed Framework», qui facilitait la fourniture de deux unités à eau légère en contrepartie de la renonciation de la Corée du Nord à sa programme nucléaire.

Les ouvertures américaines ont tourné court par suite du refus de la Corée du Nord de cesser sa coopération stratégique avec les pays du tiers monde contestataire à l’hégémonie occidentale: l’Iran et la Syrie, dans le domaine balistique:  La Libye et le Pakistan dans le domaine nucléaire.

La Corée du Nord a prêté assistance au Pakistan dans le domaine nucléaire en dépit du fait que le «pays des purs» était un allié stratégique  des États Unis. La contradiction est apparente. Fidèle à sa dualité légendaire, la marque de fabrique de sa diplomatie, le Pakistan, en la matière, facilitait l’acquisition de devises étrangères par Pyongyang pour ses transactions internationales.

L’arsenal nord coréen était estimé, début 2019, à 20 à 30 armes nucléaires en plus d’un stock de matières fissiles pour 30 à 60 armes nucléaires supplémentaires. Cet arsenal est complété d’une quantité importante d’armes chimiques et biologiques. En 2003, la Corée du Nord s’est retirée du Traité sur la Non-Prolifération des Armes Nucléaires (TNP). Depuis 2006, le pays a mené six essais nucléaires à des niveaux de compétence de plus en plus élevés, entraînant des sanctions internationales à l’initiative des États Unis.

Si les États-Unis pratiquent une politique de «pression maximale» contre l’Iran en vue de la faire fléchir, allant même jusqu’à dénoncer unilatéralement le traité international sur le nucléaire iranien, Washington a opté pour la négociation avec la Corée du Nord. La raison en est bien simple. Pyongyang est adossé stratégiquement et idéologiquement à la Chine.

De surcroît, la transaction bute sur un obstacle majeur. La Corée du Nord pose comme condition à sa dénucléarisation, le retrait américain de Corée du Sud, dans un premier temps, et si possible, du Japon, dans un second temps, afin d’écarter toute menace contre son régime communiste. L’exigence nord-coréenne se heurte à l’intransigeance américaine.

Au-delà de cette guérilla diplomatique, la question qui se pose est de connaître le degré de pertinence de la stratégie américaine. Est-il en effet concevable que la Corée du Nord renonce à sa police d’assurance tout risque que constitue son arsenal atomique face à un environnement aussi hostile?


3- Inde versus Pakistan

L’Inde: (1,7 milliards d’habitants), a accédé en 2018 au rang de cinquième  puissance économique mondiale, supplantant le Royaume Uni (6me), son ancien colonisateur, et la France (7me), à la tête des deux grands empires coloniaux mondiaux pendant cinq siècles. Plus explicitement, Royaume Uni et France, deux membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU, dont leur superficie cumulée et leur importance démographique équivalent tout au plus à une province de cet état continent que constitue l’Union Indienne.

Membre du BRICS, l’Inde est en outre l’alliée de substitution du Pakistan auprès des États Unis, du fait du virage occidental opéré par New Delhi à la suite du dynamitage des Bouddhas de Bâmiyân en mars 2001 par les Talibans.

Bon nombre d’observateurs inclinent à penser que l’Inde s’est livrée à son coup de force au Cachemire, en 2021, avec les encouragements des États-Unis en représailles à l’alignement du Pakistan sur la Chine dans le projet OBOR et la passivité d’Islamabad dans les négociations entre les États Unis et les Talibans de Doha visant à favoriser le retrait américain de l’Afghanistan en prévision de la campagne pour la réélection du président Donald Trump, en novembre 2020.

De fait, la révocation unilatérale par l’Inde du statut du Cachemire n’a pas soulevé, loin s’en faut, de protestations internationales en ce que d’un point de vue comparatif entre les deux autres protagonistes du conflit du Cachemire, la balance penche nettement du côté de l’Inde en raison d’un quadruple handicap dont pâtit «le pays des purs» face à son rival: géostratégique, historique, politique handicap en terme d’image.

Unique puissance nucléaire de l’ensemble musulman, certes, le Pakistan pâtit de son infériorité face aux deux états continents d’Asie, -la Chine et l’Inde-, tant du point de vue de la puissance militaire, que de la puissance économique, que de la superficie de son territoire que de sa démographie.

Auréolé de la philosophie de la «non-violence» initiée par le guide spirituel de l’Inde et le père de son indépendance, Mohandas Karamchand Gandhi, tombeur de l’empire britannique des Indes, l’Inde est de surcroît membre fondateur du «mouvement des non-alignés», le mouvement phare du tiers monde moteur de l’indépendance des peuples colonisés dans la décennie 1960-1970.

En contrechamps, le Pakistan, longtemps «body guard» de la dynastie wahhabite, était, lui, membre de plein droit du réseau d’alliance du camp atlantiste au sein du RCD (Regional Cooperation and Development), l’organisation qui a succédé au Pacte de Bagdad, alias CENTO, (Central Treaty), le traité central groupant les pays musulmans non arabes (Pakistan, Turquie et Iran) et faisant office de maillon intermédiaire entre l‘OTAN (Europe-Océan Atlantique) et l’OTASE (Asie-Pacifique) et leur point d’appui à leurs guerres coloniales (Vietnam, Afrique etc).

Enfin handicap politique: Démocratie versus dictature.

L’Inde, qui se targue d’être la plus grande démocratie au monde, a constamment été gouvernée par des civils, s’offrant même le luxe de propulser, à deux reprises, à la magistrature suprême un musulman, le premier Zakir Hussein, en 1969, vice-chancelier de l’Université musulmane d’Aligarh, mort en cours de mandat; Le second Abdul Kalam, en 2002, un scientifique, qui plus est fer de lance du programme balistique indien et surnommé à ce titre l’Homme-Missile.

En contre champs, le Pakistan a été gouverné par des dictatures militaires (Ayoub Khan, Pervez Musharraf), dont le magistère a été entrecoupé par des civils, essentiellement le clan Bhutto, Zulficar Ali Bhutto et sa fille Benazir Bhutto.

Certes les deux pays ont été le théâtre de sanglants règlements de compte au sein de la classe dirigeante. En Inde, des membres éminents du clan Gandhi: Ghandi lui-même ainsi qu’Indira Gandhi, la fille du Pandit Nehru, qui avait succédé à son père au poste de premier ministre.

Mais les deux personnalités ont été tuées par des coreligionnaires dans un règlement de compte politique.

4 – Le double standard de l’Occident face au Pakistan et à l’Iran

Le Pakistan et l’Iran sont deux puissances musulmanes d’Asie, l’une, le Pakistan est sunnite, une puissance nucléaire de plein exercice, l’autre, l’Iran est chiite, une puissance du seuil nucléaire.

Mais le comportement de l’Occident à l’égard de ces deux pays d’Asie révèle son discours disjonctif. Il en est de même de la Corée du Nord.

Un discours disjonctif est un discours frappé du sceau de la duplicité en ce qu’il prône la promotion des valeurs universelles pour la protection d’intérêts matériels; un discours en apparence universel mais à tonalité morale variable, adaptable en fonction des intérêts particuliers des États et des dirigeants.

Le principe de la non prolifération nucléaire est un exemple type du discours disjonctif dont le Pakistan en a été le principal bénéficiaire.

A- Le Pakistan

Première République au Monde, le Pakistan a bénéficié de l’engouement de l’Occident à sa naissance, allant jusqu’à lui prêter son concours à son accession à la technologie nucléaire.

L’ambivalence américaine à l’égard du Pakistan paraît être le mode opératoire de la stratégie des États-Unis envers son principal partenaire de la guerre anti-soviétique d’Afghanistan.

Cette ambivalence s’est matérialisée par le comportement du duo américano pakistanais à l’égard d’Oussama Ben Laden, le fondateur d’Al Qaida, un mouvement porté sur les fonts baptismaux par Washington et Islamabad, lequel avait trouvé refuge au Pakistan, dans un quartier résidentiel du Haut commandement de l’armée, mais assassiné par un raid américain au Pakistan à l’insu du plein gré d’Islamabad.

Il en a été de même du nucléaire pakistanais et de la diabolisation du père de la bombe atomique pakistanaise Abdul Qadeer Khan.

Ce savant atomique pakistanais a été diabolisé par la presse occidentale, accusé d’être le plus grand trafiquant international de matériel nucléaire à destination de «l’axe du mal», selon la terminologie du président néo conservateur George Bush jr: Corée du Nord, Libye, Irak, Iran. Mais le père de la bombe atomique ne paraît pas être le canard boiteux que la presse occidentale a voulu en faire.

Né en 1936 à Bhopal (Inde), passé à la postérité pour avoir été le théâtre d’une catastrophe écologique de la firme chimique Union Carbide, Abdul Qadeer Khan rejoint le Pakistan à l’accession de ce pays à l’indépendance en 1948.

Au terme d’études universitaires dans le domaine scientifique, il effectue un stage dans un laboratoire anglo germano-néerlandais «Nederland UCN» chargé de construire des centrifugeuses. La légende avance qu’au terme de son stage Abdul Qadeer Khan emporte avec lui les plans des centrifugeuses pour en faire bénéficier son pays dans le domaine atomique.

A l’épreuve des faits, cette légende n’a pas résisté à l’analyse. Un ressortissant d’un pays musulman du tiers monde opérant dans un laboratoire de pointe d’un pays membre de l’OTAN ne saurait échapper à la double surveillance de l’Otan et des États Unis, particulièrement à l’apogée de la guerre froide soviéto-américaine, ni non plus aux services de renseignements des trois pays associés au sein du consortium: Le Royaume Uni, l’Allemagne et les Pays Bas.

Ce qui paraît plus vraisemblable est le fait que les États Unis ont sans doute fermé l’œil sur ce transfert de technologie nord sud, particulièrement en direction du Pakistan, à l’époque un pivot de la coalition musulmane pro occidentale, notamment durant la guerre anti soviétique d’Afghanistan (1980-1990), donnant ainsi la possibilité au Pakistan d’accéder à l’arme atomique «à l’insu du plein gré des États Unis».

Pour faire bonne mesure, le Congrès américain a même été jusqu’à accusé le Pakistan de modifier des missiles anti navires AGM-84 Harpoon, livrées par les États-Unis durant la décennie 1980, pour supporter des charges nucléaires de faible puissance. Durant la décennie 1990, le réseau Khan, directement issu des Khan Research Laboratories, un outil entièrement créé et administré par le savant, avait la sulfureuse réputation de monnayer son savoir-faire au plus offrant. Il aurait notamment vendu des plans d’armes nucléaires compactes, parfaitement adaptées aux moyens de lancement iraniens.

Le savant d’ailleurs avait lui-même reconnu avoir livré les secrets de sa bombe à la Corée du Nord, à la Libye ou encore à l’Iran, l’homme avait dû «confesser» ses fautes à la télévision publique pakistanaise.

En fait, cette mise en scène paraissait surtout destinée à calmer la colère des États-Unis. Elle avait choqué les Pakistanais, qui y avaient vu l’humiliation d’un héros national en ce que «le père de la bombe atomique pakistanaise» a été l’homme qui «a donné aux Pakistanais un sens de l’honneur, de la sécurité, dans une grande réussite scientifique».

Assigné à résidence à son domicile d’Islamabad à partir de 2004, Abdul Qadeer Khan a depuis lors retrouvé sa liberté et tout son prestige. Celui dont il avait joui auprès des Pakistanais, lorsqu’il avait fait de son pays, en 1998, la première nation islamique dotée de l’arme nucléaire.

Depuis son placement en résidence surveillée, les États-Unis n’ont eu de cesse de réclamer l’audition du savant, considérant sans doute qu’il pourrait compléter leurs informations sur l’état réel d’avancement du programme nucléaire iranien. Mais les présidents Pakistanais, tant Asif Ali Zardari que son prédécesseur, le général Pervez Musharraf, se sont toujours fermement opposés à l’audition de Khan par des services de renseignements étrangers.

Ce qui fait dire à certains que la fuite de la technologie nucléaire pakistanaise était en réalité organisée par l’Etat lui-même. Une hypothèse systématiquement démentie par les hauts dignitaires de l’armée.

B– L’Iran: Un cas d’école

La deuxième République islamique, l’Iran, elle, n’a pas bénéficié des mêmes faveurs, bien au contraire.

L’Iran a accédé au rang de «puissance du seuil nucléaire» contre la volonté des Occidentaux et hors leur technologie.

Cet exploit technologique, hautement stratégique, a été atteint en dépit d’un embargo de quarante ans doublé d’une guerre de près de dix ans imposée à l’Iran par Irak interposé, et d’une «guerre de substitution» à la Syrie, le maillon intermédiaire de l’axe de résistance à l’hégémonie israélo-américaine dans la zone. Il a de ce fait suscité l’admiration de larges fractions de l’opinion de l’hémisphère sud en ce qu’il apporte la preuve éclatante que la technologie de pointe n’est pas incompatible avec l’Islam dès lors qu’elle est soutenue par une volonté d’indépendance.

Par extension pour tout pays du tiers monde, musulman ou non, de pouvoir se doter de la technologie de pointe, hors imprimatur occidentale. Dans une zone de soumission à l’ordre israélo américain, le cas iranien est devenu de ce fait un cas d’école, une référence en la matière, et, l’Iran, depuis lors, est devenu le point de mire d’Israël, sa bête noire, dans la foulée de la destruction de l’Irak, en 2003 et de la destruction de la Syrie, dix ans plus tard.

Dans une zone de soumission à l’ordre israélo-américain, le cas iranien est devenu de ce fait un cas d’école.

De surcroît, le basculement de l’Iran, l’ancien super gendarme américain dans le Golfe, dans le camp hostile au camp atlantiste sous l’égide de l’Imam Ruhollah Khomeiny (1979) et son rapprochement stratégique avec les pays latino-américains, contestataires de l’ordre américain (Cuba, Venezuela, Bolivie, Brésil, Chili) a achevé de criminaliser tant l’Iran que le Hezbollah que les Chiites d’une manière potentielle.

Les impératifs stratégiques sont des faits incontournables qu’il importe de ne jamais occulter: L’idée même de «révolution islamique», surtout lorsqu’elle est le fait d’un pays chiite, l’Iran, porte en elle les germes de dépérissement des pétromonarchies de son environnement.

Surtout s’il s’agit d’une révolution populaire, et non d’un coup d’état militaire, surtout si cette révolution islamique est d’essence chiite, et qu’elle constitue de ce fait une menace de bouleversement révolutionnaire pour le camp sunnite; surtout enfin si elle fonctionne selon le principe de l’élection alors que les pétromonarchies fonctionnent selon le principe de la transmission héréditaire du pouvoir.

C- L’Iran, une menace pour le Monde arabe?

La révolution khomeyniste avait le triple tort d’être une révolution, c’est à dire un bouleversement radical de l’ordre établi par la violence, une révolution dans une zone monarchique et pétrolière, une révolution chiite, à proximité du sanctuaire de l’Islam sunnite le plus rigoriste, le wahhabisme, l’allié privilégié de l’alliance atlantique.

Elle s’est affirmée en dépit des entraves occidentales, alors que, paradoxalement, les principaux pivots de l’Occident dans le tiers monde étaient éliminés sans que l’alliance atlantique ne lève le plus petit doigt.

A commencer par le Chah d’Iran, l’ancien gendarme du Golfe, en passant par Ferdinand Marcos (Philippines), Manuel Noriega (Panama), le sous-traitant narcotique de la CIA, Augusto Pinochet (Chili), Joseph Désiré Mobutu, l’ancien agent de la CIA propulsé à la tête de la République du Congo sur les cadavres du chef charismatique du pays Patrice Lumumba, Hosni Moubarak (Égypte), Zine El Abidine Ben Ali (Tunisie), à Saddam Hussein, l’exécuteur des basses œuvres américaines face à l’Iran pour le compte des pétromonarchies, pendu haut et court, le jour de la fête d’Al Adha.

Depuis la découverte de la cache d’Oussama Ben Laden, dans un périmètre de haute sécurité de l’armée pakistanaise, une lourde suspicion pèse sur le Pakistan désormais pointé du doigt.

La destruction de la Syrie, de la Libye, du Yémen, auparavant le démantèlement du Soudan, de même que la mise à l’index de la Turquie, pourtant unique pays musulman membre de l’Otan, de surcroît membre fondateur de l’alliance atlantique et allié stratégique d’Israël dans la zone, ont retenti comme autant de messages codés adressés au Pakistan par ses anciens tuteurs au point que le souffle du boulet a dû fortement frôler les nuques des fauteurs de guerre pakistanais.

Le terrorisme islamique à tout crin, à tout vent, s’il a considérablement affaibli les contestataires à l’ordre hégémonique israélo-américain dans la zone pétrolifère du Moyen Orient, n’a pas pour autant épargné ses tuteurs.

La destruction des Bouddhas de Bamiyan par les Talibans a conduit l’Inde, par crainte de l’irrédentisme islamique, a opéré un renversement d’alliance en faveur d’Israël et le djihadisme éradicateur en Syrie a favorisé le retour de la Russie dans ce pays du champ de bataille contre Israël, en en faisant un grand décideur régional au même titre que l’Iran chiite.

5 – Route de la soie versus corridor Nord Sud

Dans une stratégie de revers, l’Inde a conclu des alliances avec deux pays  rivaux du Pakistan: l’Arabie saoudite et l’Iran, les deux chefs de file du Monde musulman.

A – Arabie Saoudite: Une raffinerie géante en Inde doublée d’un complexe pétrochimique.

Parmi les grands projets saoudiens prévus en Inde  figure la construction d’une raffinerie géante d’une capacité de raffinage de 1,2 millions de barils par jour, soit l’équivalent de la production quotidienne de la Norvège.

En connexion avec un complexe pétrochimique dont le coût d’investissement s’élèverait à 70 milliards de dollars, la raffinerie géante devrait être édifiée dans la province du Maharashtra (Ouest de l’Inde), d’une capacité de 600.000 barils par jour, en vue de pourvoir aux besoins énergétiques de l’Inde.

Au delà des considérations tenant à la rentabilité économique du projet dans un marché de près de 1,7 milliards de consommateurs et à la réduction des coûts, l’investissement saoudo abou dhabien en Inde paraît destiné, d’une part, à compenser, dans l’ordre subliminal, la destruction des Bouddhas de Bamyane par les Talibans protégés des Saoudiens et à faire pièce à l’investissement de la Chine au Pakistan, dans le port de Gwadar, de l’ordre de 50 milliards de dollars en vue d’en faire le terminal pétrolier chinois en Asie dans le cadre du projet OBOR. Les deux pays sont convenus en outre de délivrer des visas touristiques communs, de même que des formalités de douanes communes.

B- Iran ou le corridor Nord Sud

Le corridor Nord-Sud prévoit le raccordement des ports indiens, notamment celui de Mumbai (Inde) sur l’Océan Indien, aux ports iraniens, notamment de Chabahar sur le golfe persique. Une liaison maritime prolongée, sur la terre ferme, par une ligne de chemin de fer Iran Russie menant à Saint-Pétersbourg, via l’Azerbaïdjan, avec des ramifications vers l’Asie de l’Est, Le Moyen Orient et l’Europe à travers les pays partenaires au projet: Arménie, Biélorussie, Ukraine, Bulgarie, Kazakhstan, Kirghizie, Tadjikistan, Sultanat d’Oman, Syrie et Turquie.

Le volume des échanges entre l’Iran et l’Inde devrait tripler à la faveur de ce projet passant de 9 milliards à 30 milliards de dollars par an. Le corridor Nord Sud devrait faire contrepoint au projet chinois de la Route de la Soie. Le projet chinois emprunte en effet le port iranien de Bandar Abbas pour son trafic avec le Pakistan.

C- Iran-Chine: La transaction du siècle de l’ordre de 400 milliards de dollars.

Parallèlement à sa coopération avec l’Inde, l’Iran a scellé un partenariat avec la Chine en concluant un partenariat stratégique matérialisé par une transaction de 400 milliards de dollars, dans une démarche à double objectif visant d’une part, à neutraliser le courroux chinois face à la coopération irano indienne, et, d’autre part, à contourner l’embargo américain qui frappe la République Islamique depuis 40 ans.

Sur une période de 25 ans, la Chine pourrait investir la somme vertigineuse de 400 milliards de dollars: 280 milliards à destination des industries pétrolières et gazières et 120 milliards pour les transports et la technologie. En contrepartie, l’Iran lui vendrait ses barils de pétrole à bas prix. La signature de l’accord est prévue en 2021.

6 – La France se distingue particulièrement dans cette affaire

Un des grands pollueurs nucléaire de la planète, l’équipementier du régime d’apartheid d’Afrique du Sud et d’Israël, l’associé de l’Iran impérial dans le consortium Eurodif, la France a été constamment en pointe dans le combat pour la dénucléarisation de l’Iran.

L’argumentaire occidental gagnerait donc en crédit si la même rigueur juridique était observée à l’égard de tous les autres protagonistes du dossier nucléaire, au point que la Chine et la Russie, les principaux alliés de l’Iran, se sont dotées d’une structure de contestation du leadership occidental à travers l’organisation de coopération dite «le groupe de Shanghai», pour en faire une OPEP nucléaire regroupant les anciens chefs de file du camp marxiste (Chine et Russie), ainsi que les Républiques musulmanes d’Asie centrale, avec l’Iran en tant qu’observateur.

L’Iran est membre observateur du Groupe de Shanghai, le groupement des cinq pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) qui se propose de favoriser une ère multipolaire dans les relations internationales, en opposition frontale avec l’unilatéralisme occidental.

Conclusion

Le retour des Talibans au pouvoir en Afghanistan va conférer une profondeur stratégique au Pakistan à l’effet de compenser quelque peu l’exiguïté de son territoire face à l’Inde.

Mais le spectaculaire chassé croisé opéré dans la décennie 2010 avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump (États-Unis) et d’Imrane Khan (Pakistan), de même que le renversement d’alliance qui s’est ensuivi a placé l’Inde et le Pakistan en situation de dissuasion mutuelle absolue avec un Pakistan adossé à la Chine et l’Inde, soutenue par les États Unis.

L’EAU, source potentielle de conflit entre la Chine et l’Inde

En superposition au conflit Inde Pakistan se greffe un nouveau conflit potentiel Chine Inde à propos de l’Eau.

Les plans de Pékin pour un super barrage ont conduit New Delhi à réfléchir à la construction d’un projet concurrent sur un fleuve nommé Brahmapoutre en Inde et Yarlung Zangbo en Chine

Les analystes avertissent qu’une telle course pourrait devenir incontrôlable, avec des répercussions non seulement pour les deux mais aussi pour le Bangladesh, que le fleuve traverse également. En retenant les limons, les barrages favorisent la submersion des deltas, déjà fragilisés par l’élévation des mers.

Au plus fort d’une confrontation frontalière interminable de sept mois entre leurs troupes et d’un découplage économique, les liens effilochés entre l’Inde et la Chine ont maintenant un nouveau point de tension: l’eau.

Ce nouveau conflit est alimenté par un mélange de méfiance mutuelle, de manque de transparence et d’une intense rivalité autour de l’un des plus grands fleuves du monde, le Brahmapoutre en Inde et le Yarlung Zangbo en Chine.

Cette configuration devrait conduire les protagonistes de ce grand jeu à la plus grande circonspection, en ce que la moindre étincelle pourrait dégénérer en une catastrophe infiniment plus calamiteuse que la plus grave des pandémies et les conséquences désastreuses à la puissance 20, à l’effet de réduire à néant les efforts de l’Asie, continent colonisé dans sa totalité au XIX me siècle, en vue de se hisser au premier rang des continents, qui plus est  dans le groupe de tête des grandes puissances industrielles. En somme, la revanche des grands empires terrestres asiatiques sur leurs anciens colonisateurs occidentaux.

L’Eurasie –qui regroupe 93 pays, représente la plus grande masse continentale qui va de l’Atlantique (Détroit de Gibraltar), au Pacifique (Japon), en passant par l’Océan Indien (Sri Lanka). Cet hyper continent compte 5,5 milliards d’individus – les 2/3 des producteurs et des consommateurs de la planète.

Ce super continent est d’ores et déjà la pomme de discorde dont la domination et l’exploitation constitue l’enjeu de la prochaine Grande Guerre Mondiale – la Troisième, que les puissances impérialistes entendent se disputer âprement à l’aide d’armes conventionnelles – pour lesquelles ces 93 pays (pauvres pour plusieurs) consacrent des centaines de milliards de dollars chaque année – et aussi d’armes chimiques, bactériologiques, virologiques, météorologiques, nucléaires et thermonucléaires…

Comme le démontre les guerres engagées aux deux extrémités (Ukraine-Taïwan) et au centre (Iran-Syrie-Yémen-Irak-Cachemire) de cet hémisphère… Songeons au Pakistan, incapable de secourir sa population des inondations mais gaspillant des milliards en armement.

L’histoire retiendra que les «grandes démocraties occidentales», par leur alliance avec les forces les plus obscurantistes de la planète, par l’instrumentalisation de l’Islam à des fins politiques, auront nourri la forme la plus pernicieuse de la «dialectique du maître et de l’esclave» en ce que les maîtres occidentaux sont devenus les mercenaires de leurs propres esclaves.

Illustration

Photo prise en 1971, une explosion nucléaire dans l’atoll de Mururoa © AFP Photo


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René Naba

Journaliste-écrivain, ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de l'AFP, puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, responsable de l'information, membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme et de l'Association d'amitié euro-arabe. Auteur de "L'Arabie saoudite, un royaume des ténèbres" (Golias), "Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l'imaginaire français" (Harmattan), "Hariri, de père en fils, hommes d'affaires, premiers ministres (Harmattan), "Les révolutions arabes et la malédiction de Camp David" (Bachari), "Média et Démocratie, la captation de l'imaginaire un enjeu du XXIme siècle (Golias). Depuis 2013, il est membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme (SIHR), dont le siège est à Genève et de l'Association d'amitié euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l'Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l'Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève. Editorialiste Radio Galère 88.4 FM Marseille Emissions Harragas, tous les jeudis 16-16H30, émission briseuse de tabous. Depuis le 1er septembre 2014, il est Directeur du site Madaniya.

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