France / Médias : La démocratie, ce tigre de papier

France / Médias : La démocratie, ce tigre de papier 1260 708 La Rédaction

Par Pierre Lagnel / Golias Hebdo  N 849 semaine du 23 au 20 janvier 2025. Avec l’aimable autorisation de https://www.golias-editions.fr/golias-hebdo/ pour la publication de ce dossier presse en trois volets :

  1. La démocratie,  ce tigre de papier
  2. Frontière, ce média fantôme
  3. Editorial: Apocalypse

1 er volet: La démocratie, ce tigre de papier.

  • Les milliardaires en France contrôlent 93% du tirage des quotidiens nationaux, 57% des audiences en radio (Basta, 27.12.24).
  • Les journaux devraient appartenir à leurs lecteurs et non pas aux plus riches.

En France, les milliardaires s’offrent la presse. Jamais, ils n’ont régné sur autant de richesses. Jamais, ils n’ont été aussi puissants. Jamais, ils ne se sont autant intéressés aux médias. Rares sont devenus les titres échappant à leur emprise.

Le cas de Vincent Bolloré est bien connu, mais l’emprise des puissants sur notre manière de voir le monde et de peser sur les délibérations politiques le dépasse largement.

Vincent Bolloré, Rodolphe Saadé, Xavier Niel, Daniel Křetínský, Martin Bouygues, la famille Dassault, Bernard Arnault ont tous deux points communs: ils font partie des hommes les plus riches du monde et ont tous acheté des médias en France, journaux, radios ou télés. La concentration de ce secteur s’accélère sous l’action directe d’une poignée de milliardaires.

Le palmarès le plus impressionnant est celui de Vincent Bolloré, qui en trois ans a mis la main sur les principales sociétés des groupes Lagardère, en particulier dans l’édition et les librairies de gare, sans oublier Le Journal du Dimanche et les radios d’Europe 1 et RFM. Le milliardaire catho-réac a aussi racheté les magazines de Prisma Media, une ancienne filiale du géant allemand Bertelsmann. Mais le coup de Bourse qui l’a propulsé dans le monde des médias est la prise de contrôle du groupe Canal+, qui compte aussi les chaînes CNews, C8. Bertelsmann, qui est contrôlé par la famille Mohn, est l’actionnaire principal du groupe M6 (M6, W9,RTL…).

Pour aller plus loin sur les médias Bolloré

Récemment, Rodolphe Saadé, héritier du géant du transport maritime CMA- CGM, s’est offert Altice Media qui regroupe BFM TV et le réseau de radio de RMC. Ce n’était que le premier pas. Il a ajouté à son portefeuille de médias le quotidien La Tribune, 10% du capital du groupe M6 et une partie du capital de Brut, une réussite dans le domaine des médias en ligne. En 2022, l’armateur a pris possession des quotidiens qui comptent dans la région de Marseille, où CMA-CGM a son siège, La Provence et Corse-Matin.

Après s’être installé au tour de table du quotidien Le Monde, l’homme d’affaires Xavier Niel est devenu, il y a cinq ans, l’actionnaire majoritaire du groupe Nice-Matin (Var-Matin, Monaco-Matin, Nice-Matin…). Celui dont la fortune est essentiellement provenue de la création de l’opérateur téléphonique Free s’est implanté dans la production télévisée, notamment à travers Mediawan qui, par exemple, fournit à France 5 les émissions «C dans l’air», «C à vous» et «C l’hebdo» (Basta, 27.12.24). Xavier Niel est le gendre de Bernard Arnault, première fortune française.

Le propriétaire du géant du luxe LVMH a mis la main sur Les Echos, Le Parisien et sur Paris Match. Il possède également Radio classique. Le pionnier de ce mariage de raison entre le monde des affaires et le monde des médias est Martin Bouygues, qui possède le puissant groupe audiovisuel TF1 (LCI, TF1, TMC, TFX). Au tour de table, le milliardaire tchèque Daniel Křetínský s’est fait une place. Il est le principal actionnaire de Elle, le tout nouveau propriétaire de l’hebdomadaire Marianne et le principal actionnaire de l’hebdomadaire très à droite Franc Tireur.

Le Gotha des médias

Au total, ces milliardaires contrôlent 93% du tirage des quotidiens nationaux,  57% des audiences en radio (Basta, 27.12.24). Le pluralisme en vigueur dans ces médias est restreint aux positions adoptées par les partis qui se succèdent au gouvernement, à l’exception de la galaxie Bolloré qui s’est spécialisée dans l’exposition des personnalités les plus obscures de l’extrême-droite.

A travers la relation hiérarchique existant au sein des entreprises de presse, mais aussi à travers les profils des professionnels embauchés, les journalistes évoluent dans un univers de pressions diffuses, qui parfois se font sans filtre.

Au printemps 2024, Rodolphe Saadé s’est séparé du directeur de la rédaction de La Provence, pour une Une jugée trop négative à l’égard du président Emmanuel Macron.

Autre exemple pour montrer l’exercice du pouvoir de ces magnats, la transformation de itélé en Cnews. Lorsque Vincent Bolloré achète le Groupe Canal+ en 2016, la rédaction de itélé se met en grève. Le tycoon breton refuse de négocier malgré un mois d’arrêt de travail. Au final, la rédaction est totalement renouvelée après le départ de 100 journalistes sur les 120 en poste initialement.

Enfin, il y a quelques mois, une note du comité exécutif de LVMH, propriété de Bernard Arnault, a interdit à ses cadres dirigeants de parler à une petite dizaine de supports de presse, comme Le Canard enchaîné et d’autres sites d’investigation.

Leurs points communs ? Vouloir enquêter sur les coulisses du secteur économique de la mode tout en étant immunisés contre les menaces de retrait de budgets publicitaires puisque ces organes de presse sont financés uniquement par leurs lecteurs.

Depuis les débuts de la presse, la propriété des médias est un enjeu, qu’ils soient gouvernementaux, aux mains d’un parti ou d’un homme d’affaires.

Pendant plus d’un siècle, il était clair dans l’opinion publique que la presse était un terrain d’affrontement idéologique où se déroulait la lutte des classes. C’est pourquoi tous les partis avaient leur propre quotidien, que l’on pense à L’Humanité du Parti communiste de Maurice Thorez au Populaire de Léon Blum.

Les titres de la bourgeoisie triomphante étaient regardés avec suspicion par de larges fractions des catégories populaires. Ce sont les militants anarcho-syndicalistes de la CGT — alors qu’elle venait de signer la Charte d’Amiens en 1906, peu après s’être rapprochée de la Fédération nationale des Bourses du Travail de Fernand Pelloutier –, qui ont peut- être le mieux résumé cette défiance: «Ramener chez soi un journal à la fin de sa journée de travail, c’est faire entrer un patron dans sa maison!»

Dans les années 1920 et 1930, la presse française s’abîme dans la corruption, sauf exceptions, et va participer à la fascisation de la société, jusqu’à se ranger du côté de Pétain et des envahisseurs après juin 1940.

Le patron de presse de l’époque qui illustre ce mouvement est François Coty, qui injectera ses profits réalisés dans la parfumerie dans le rachat de plusieurs titres, comme Le Figaro et le financement parallèle des mouvements fascistes comme l’Action française.

Plusieurs patrons de presse, et pas seulement à l’extrême-droite, avaient misé sur ces forces brunes afin de contenir les révoltes du prolétariat électrisé par les insurrections ouvrières qui ont traversé l’Europe au sortir de la Première Guerre mondiale – de l’Allemagne, à l’Italie, en passant par la Hongrie – dans le sillage de la révolution d’Octobre.

Cet appui des patrons de presse d’alors aux pires forces réactionnaires est un phénomène qui a touché tous les pays occidentaux. « Pendant des années,[Lord Rothermere, le propriétaire du Daily Mail de Londres] et les autres patrons de la presse aux États-Unis et au Royaume-Uni ont fait pression sur les dirigeants de leurs pays pour qu’ils ignorent la menace du fascisme», note Kathryn Olmsted, historienne à l’université de Californie dans son ouvrage The Newspaper Axis (2022):

«Les six magnats des médias les plus puissants des États-Unis et du Royaume-Uni—Rothermere, Lord Max Beaverbrook, William Randolph Hearst, Robert McCormick, Joseph et Cissy Patterson— ont tous écarté la menace fasciste.»

Ces cinq hommes d’affaires et cette femme possédaient les journaux les plus vendus, touchant jusqu’à 16 millions de Britanniques et 50 millions d’Américains à la fin des années 1930. «Leurs opinions xénophobes, nationalistes, impérialistes et antisémites ont rendu plus difficile le développement précoce de l’opposition aux nazis par les antifascistes au sein de ces gouvernements », juge encore l’historienne Kathryn Olmsted.

Un précédent plus que sinistre

Pendant ce temps, en France, les mouvements de résistance mènent la lutte et réfléchissent à la manière d’éviter qu’une fois en paix, le pays retrouve la trajectoire brune qui était la sienne avant-guerre. L’une des questions qui les animent est de comprendre les mécanismes qui ont amené à la défaite et à la collaboration.

Le diagnostic n’est pas tendre pour la presse et c’est pourquoi les résistants la réinventent. L’un des principes est qu’elle doit faire circuler les idées et pour cela doit être libre de toute ingérence des «féodalités financières». Mais, une fois la reconstruction passée et une fois que le modèle de démocraties sociales mis en place à la Libération entre en crise dans toute l’Europe, à partir des années 1970, le monde des affaires reprend l’offensive pour reprendre sa prédominance, y compris dans la presse.

Il suffit de penser à la montée d’un homme comme Robert Hersant, qui avait été condamné à dix ans d’indignité nationale pour collaboration, et qui se retrouve à la tête d’un empire de papier en reprenant Le Figaro.

Mais à mesure que les capitalistes reprennent les rênes du pays, le débat sur la propriété de la presse tombe dans les oubliettes. Il n’est plus porté que par de petits groupes de militants, souvent en lien avec des secteurs de l’université, autour de Pierre Bourdieu, que l’on pense à l’association Acrimed ou au mensuel Le Monde diplomatique.

Le danger de la concentration des médias a été signalé par un journaliste américain extrêmement respecté outre-Atlantique, Ben Bagdikian. Spielberg l’a immortalisé dans son film Pentagon papers, racontant le bras de fer entre les principaux journaux américains, New York Times et Washington Post en tête, et l’administration du Républicain Richard Nixon qui voulait empêcher la publication des documents internes du Département d’État, du Pentagone et de la Maison Blanche montrant que l’exécutif américain avait menti pendant 20 ans aux Américains au sujet de la guerre atroce livrée contre les Vietnamiens.

Un bras de fer dont la presse est sortie gagnante.

Bagdikian est l’un des journalistes impliqués dans cette affaire. Démocrate bon teint, très pondéré, a passé plusieurs décennies à étudier la réalité et les effets de la concentration des médias à travers une bonne dizaine d’éditions de son best-seller: The New media monopoly.

Plus la propriété des médias se concentre entre un nombre de mains plus restreint, plus le spectre des idées diffusées se rétrécit. «Les idées, les points de vue et les programmes proposés qui vont au-delà de ceux des centres de pouvoir établis sont le domaine des revues et magazines politiques à petit tirage de ce que l’on appelle, aux États-Unis, ‘‘la gauche’’. Il s’agit notamment de livres publiés par de petits éditeurs, d’essais progressistes sur Internet et de publications (…). Ils restent dans l’ombre des informations quotidiennes imprimées et radiodiffusées et renforcent ainsi le sentiment de désespoir de l’opinion publique», relève, très sombre, Ben Bagdikian.

Les informations publiées par la presse des milliardaires reflètent leurs intérêts et leurs visions du monde. Un mode de fonctionnement qui a été analysé outre-Atlantique, il y a déjà près de 40 ans par deux universitaires, Edward Herman et Noam Chomsky dans La Fabrication du consentement, sous-titré De la propagande médiatique en démocratie (Agone, trad, 2008).

«Cet ouvrage est construit autour de ce que nous appelons un ‘‘modèle de propagande’’, une construction analytique dont l’objet est de tenter de rendre compte du fonctionnement des médias américains à partir des structures institutionnelles de base et du système de relations dans lesquels ils opèrent», notent les deux auteurs, pour qui, même s’il arrive que des enquêtes indépendantes aient lieu, la règle générale est que «les médias, entre autres fonctions, jouent le rôle de serviteurs et de propagandistes des puissants groupes qui les contrôlent et les financent».

Les milliardaires qui possèdent les entreprises de presse sont en position de donner l’orientation des informations qui sortent de leurs médias. Les interventions directes pour infléchir le sens d’un article sont globalement rares, au niveau individuel, le principal outil est plutôt «la sélection d’un personnel politiquement aux normes», sans oublier «l’intériorisation par les rédacteurs et les journalistes des priorités et des critères définissant ce qu’est une information valable en conformité avec les politiques de l’establishment».

Pour Herman et Chomsky, ce que produisent les journalistes, «ce qu’ils considèrent comme de l’information digne d’intérêt», tout comme les présupposés sur lesquels ils se fondent «s’expliquent généralement très bien par le seul jeu des incitations, pressions et autres contraintes» qui apparaissent dans une analyse structurelle liant le fonctionnement des journalistes à celui des entreprises de presse.

Au niveau de l’entreprise de presse, les contraintes qui permettent le contrôle de la production d’information sont d’abord constituées par « la propriété et le contrôle directs des médias». Il faut y ajouter la dépendance financière à l’égard des annonceurs.

«Le modèle de propagande intègre aussi d’autres formes de pouvoir, comme la capacité d’organiser des campagnes de protestation contre le traitement d’une information par les médias », notent Herman et Chomsky. Il suffit de penser aux réactions violentes aux informations données par les opposants au massacre à Gaza pour voir à quel point ces campagnes de protestation peuvent être puissantes.

Herman et Chomsky posent le cadre analytique «Dans un tel contexte, les pouvoirs qui possèdent les médias, les financent par le biais de la publicité, définissent l’information a priori puis produisent tant les contre- feux que les experts pour la confirmer», résument Herman et Chomsky, qui prennent soin de préciser qu’ils ont posé un cadre d’analyse, qu’ils l’ont testé avec des cas concrets mais que bien évidemment «ces facteurs structurels ne contrôlent pas tout, et les effets qu’ils produisent sont loin d’être constants, simples et homogènes.» Ce qui explique la présence de cas particuliers comme l’apparition de temps à autre d’enquêtes et d’investigation, comme l’illustrent les Pentagon Papers.

Les milliardaires qui possèdent les titres de presse n’ont pas intérêt à ce que ceux-ci alertent trop souvent sur le dérèglement climatique puisque leurs profits dépendent de l’utilisation constante de l’énergie et particulièrement des hydrocarbures. Ce sujet devrait pourtant faire la Une tous les jours.

Le dérèglement climatique menace la biosphère et jusqu’à la survie de l’espèce humaine. Mais le débat de la situation, des dangers et des moyens nécessaires à mettre en œuvre pour éviter la catastrophe (ramener l’augmentation des températures à 1,5° par rapport à la moyenne d’avant la révolution industrielle) n’est pas organisé dans les médias. Il est rendu d’autant plus difficile que la couverture est caricaturale par des hebdomadaires comme Le Point (propriété de François Pinault) qui a mis sur orbite médiatique à peu près tous les climato-négationnistes.

La démocratie dépend de la capacité des citoyens à arracher la presse des mains des milliardaires. Gandhi prévenait dans la première partie du 20 e  siècle: «Tant qu’il y a un gouffre entre les riches et les pauvres, tant que les électeurs s’inspirent des journaux, qui sont souvent malhonnêtes, il ne peut y avoir de démocratie. Elle restera nominale.»

Les journaux devraient appartenir à leurs lecteurs et non pas aux plus riches.

Frontières, le média symptôme

L’extrême-droite ne connaît pas la crise de la presse car elle peut compter sur le soutien de riches particuliers.

Ces dernières années, l’extrême-droite investit dans la presse. Son mode d’action favori est la création de magazines, qui s’appuient sur des vitrines que sont des chaînes de diffusion de vidéos hébergées sur la plate-forme internet Youtube. Causeur, Frontières, Front populaire, Furia, L’Incorrect, Omerta, Valeurs actuelles…

Les magasins de presse ont fait une place à ces magazines qui promeuvent une vision réactionnaire de la société, défendent les porte-voix de l’extrême droite et rebondissent sur toutes les polémiques liant venimeusement immigration, Islam et insécurité.

Dans ce secteur, le magazine Frontières veut se distinguer en se présentant comme le «Media-part de droite», allant jusqu’à copier la maquette du site d’information lancé par Edwy Plenel, il y a un peu plus de 15 ans.

Frontières a été créé en juin 2024 à partir d’un média identitaire, né en 2021 sur Youtube, appelé Livre noir. L’un des trois fondateurs de ce dernier, Erik Tegnér, est devenu le seul dirigeant et a opté pour adjoindre à cette chaîne Youtube un magazine trimestriel destiné à rapprocher les droites. Tegnér est un trentenaire qui a été exclu des Républicains en 2019 alors qu’il œuvrait au rapprochement avec le RN (Basta, 30.12.24).

Ce projet éditorial s’appuie sur de puissants financements qui servent à payer des studios flambants neufs, une importante rédaction de jeunes journalistes, des diffusions en direct. Tout cela suppose des moyens importants. Le magazine est détenu à 60 % par Erik Tegnér (Basta, 30.12.24), aux côtés duquel des investisseurs se sont positionnés.

Comme les autres magazines de la même mouvance, Frontières s’est fait une place sur les rayonnages de la chaîne de magasins de presse Relay, propriété de Bolloré depuis 2002; tandis que son fondateur est un habitué des plateaux de CNews, propriété également du magnat.

Pour aller plus loin sur ce thème, cf ce lien https://www.acrimed.org/Le-bollorisme-un-journalisme-de-guerre-culturelle

Éditorial de la revue Golias : Apocalypse

«Au commencement était la presse, puis le monde est apparu. » C’est par ces

mots écrits en 1921 par le satiriste autrichien Karl Kraus (1874-1936), probablement le premier grand critique des médias, que l’auteur indien Pankaj

Mishra a débuté son discours, le 10 octobre dernier, à la remise du Prix international de la Société des écrivains canadiens (Writers Trust), à Toronto.

Mishra est un analyste politique dont la réputation est déjà grande dans le monde anglophone. Elle a atteint un nouveau pallier au printemps dernier lors de sa conférence sur le monde d’après le génocide à Gaza pour le compte de la prestigieuse revue intellectuelle London Review of books.

Son récent discours fait lors de la remise du prix de la Société des écrivains canadiens a parfaitement résumé la dérive des principaux médias, qui sont tour à tour rachetés par de puissants hommes d’affaires, à travers tout l’Occident.  Les médias supportent ainsi la double tutelle du monde des affaires de plus en plus avide et de gouvernants de plus en plus autoritaires.

Pour illustrer l’ampleur du désastre, Mishra a pointé le rôle de la presse dans le massacre en cours à Gaza depuis 15 longs, très longs, mois: depuis octobre 2023, les principaux médias occidentaux auront soutenu la position de l’administration américaine selon laquelle le droit international ne s’applique pas en Israël/Palestine, de fait.

Les principaux titres de presse «ont tout rationalisé, jusqu’au massacre d’enfants», a relevé Pankaj Mishra. Ce dernier a rappelé que Karl Kraus était arrivé aux mêmes conclusions, il y a bien longtemps: loin d’empêcher la Première Guerre mondiale, la presse – à de rares exceptions près – s’est mise en travers de toute solution négociée, encourageant les gouvernements dans leur marche vers l’abîme, tels des «Somnambules», pour reprendre le titre de l’étude extrêmement réputée de l’historien britannique Christopher Clarke (Flammarion, 2013).

«Comment le monde est-il conduit à la guerre?», s’interrogeait faussement Kraus qui avait compris, comme vient de le souligner Mishra, que loin «d’être un filtre neutre entre l’imagination populaire et le monde extérieur (…), la presse avait pris en charge la création de la réalité elle-même».

Au cours de la Première Guerre mondiale, Kraus a été le témoin de la partition jouée par les journaux qui consistait à aggraver le désastre qu’ils étaient censés dénoncer. Le parallèle est d’autant plus frappant que la cause principale de ce comportement fautif était déjà pour Kraus liée à la possession des titres de presse par les plus grandes fortunes de son temps.

De la rotative aux réseaux sociaux, les technologies changent, mais le droit du public à être correctement informé dépend plus des contraintes institutionnelles au sein desquelles la presse et les journalistes évoluent. Et, en premier lieu, si leur travail est mis au service de la collectivité ou des projets de quelques milliardaires, que ce soit Vincent Bolloré ou Elon Musk, parmi beaucoup d’autres exemples moins caricaturaux.

Illustration

Un kiosque à journaux le 24 mars 2021. | DANIEL FOURAY / OUEST-FRANCE

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Madaniya - Civique et citoyen. Madaniya s'honore de la responsabilité d'abriter au sein de sa rédaction des opposants démocratiques en exil, des rechercheurs, des écrivains, des philosophes en provenance d'Afrique, des pays du golfe, du Moyen-Orient, et d'Amérique latine, dont la contribution se fera, pour ceux qui le souhaitent, sous le sceau de l'anonymat, par le biais de pseudonyme.

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