La révolte de Hama de 1982, une répétition générale du soulèvement syrien de 2011

La révolte de Hama de 1982, une répétition générale du soulèvement syrien de 2011 938 400 René Naba

Dernière mise à jour le 1 septembre 2014

Paris – Un travail de déconstruction n’implique aucunement la caution d’un régime encore moins son absolution. La clarification historique d’un événement majeur s’impose d’autant plus impérativement qu’elle doit contribuer à la démystification des principaux protagonistes de l’événement et à la falsification des faits historiques.

La révolte de Hama, en 1982, acte majeur de la stigmatisation du pouvoir baasiste, ne devrait pas échapper à la règle, d’autant plus que le travail de déconstruction ne relève pas d’une tentative de réécriture de l’histoire, mais se fonde sur l’analyse d’un organisme américain nullement suspecté de la moindre sympathie à l’égard du régime du président Hafez Al Assad : La « Defense Intelligence Agency » – DIA.

La révolte de Hama a constitué rétrospectivement une répétition générale du soulèvement syrien du printemps arabe, en 2011, tant par sa motivation identique, son mode opératoire que ses leviers d’influence, à en juger par le rapport de cette agence américaine, en date du 22 avril 1982 et intitulé « Syrie : La pression des Frères Musulmans s’intensifie » – DDB-2630-34-82- 22 Avril 1982.

Une motivation identique

Le combat a été engagé non sur des motifs politiques, mais sectaires : Un régime alaouite que les Frères Musulmans ne considèrent pas comme des Musulmans. Le rapport ne mentionne aucune revendication populaire ou sociale à l’appui du combat de la confrérie en Syrie.

Une même articulation du régional sur le local avec la terreur comme levier de mobilisation populaire

« Le massacre de 50 élèves officiers alaouites le 16 juin 1979, à l’école d’artillerie d’Alep, était apparemment conçu pour signaler le début de l’offensive des Frères pour créer un soulèvement populaire similaire à celui d’Iran ».

Les Frères Musulmans de Syrie souhaitaient tirer profit de la chute du Chah d’Iran et de l’avènement de la République Islamique Iranienne.

Une démarche identique au soulèvement de 2011 où les Frères Musulmans de Syrie ont voulu mettre à profit le printemps arabe en Tunisie, Egypte, Libye. Avec une innovation particulière cette fois, le parrainage du lobby pro israélien de France, le trio Bernard Henry Lévy, Bernard Kouchner et Laurent Fabius, en couplage avec des supplétifs bureaucratiques binationaux de l’administration française, symptôme d’un opportunisme pathologique qui leur aliéna bon nombre d’adhésions d’opposants authentiques.

Un même mode opératoire

Un acte de terreur générateur d’un soulèvement populaire sur une base incitative à la stigmatisation religieuse : En 1982, le massacre de 50 aspirants-officiers alaouites de la caserne d’Alep, en 2011, l’attaque de la base aérienne d’Alep. Au cours de leur combat contre le pouvoir baasiste, les FM de Syrie n’ont jamais lancé à une action civile de masse, tel un appel à la désobéissance civile ou à la grève générale illimitée, pour obtenir la chute du régime.

Un même levier d’influence : Le recours à la périphérie pour subvertir le centre

« La campagne de propagande mondiale sophistiquée serait lancée pour soutenir la rébellion et mettre en exergue ses victoires ainsi que la désertion des unités de l’armée vers le côté rebelle. Des communiqués de presse seraient préparés et publiés en Europe et aux Etats-Unis. Des enregistrements radio de propagande anti-syrienne seraient émis par la Voix du Liban (contrôlée par les Phalanges), et la Voix de la Syrie Arabe (d’Irak)….».

« L’Irak commença ses efforts préliminaires au début de 1981 à travers sa publication, Al Minbar, qui publierait des violations des droits de l’homme commis par le régime Assad en Syrie et en conséquent relaterait les atrocités commises contre les prisonniers des Frères Musulmans et la brutale répression de Hama de 1980. La radio basée à Bagdad, la Voix de la Syrie Arabe, émettrait les articles d’Al Minbar et se concentrerait sur les thèmes de la répression d’Assad et de son isolation à l’intérieur de la Syrie ainsi que dans le reste du monde arabe…», indique le rapport des services américains.

Ainsi donc, les Frères Musulmans qui combattent le régime alaouite car anti musulman n’hésitent pas à s’allier avec les phalangistes libanais (milices chrétiennes), les fossoyeurs des Palestiniens au Liban, c’est à dire les coreligionnaires des Frères Musulmans de Syrie. Ce comportement manque de cohérence en apparence.

En apparence seulement, car la révolte de Hama a éclaté, en Février 1982, deux mois après l’annexion de Jérusalem par Israël, à quatre mois de l’invasion israélienne du Liban, en juin 1982, qui devait déboucher sur le démantèlement du sanctuaire palestinien de Beyrouth et l’élection du chef phalangiste Bachir Gemayel à la présidence de la République libanaise. Une confirmation du rôle relais de la confrérie des Frères Musulmans dans la stratégie de déstabilisation de l’axe de la résistance à l’hégémonie américano israélienne au Moyen-Orient……. dont les Frères Musulmans, principaux alliés de l’Arabie saoudite pendant quarante ans, avant leur criminalisation récente, en auront été un instrument majeur. Le soulèvement de Hama avait pour effet secondaire de soulager l’Irak, alors en difficulté militaire contre l’Iran sur le front de Khorramshahr. Un scénario à l’identique sauf que la Turquie s’est substitué à l’Irak de Saddam Hussein, avec les mêmes bailleurs de fonds les pétromonarchies du Golfe.

Le Bilan

La surprise de ce rapport provient du bilan des victimes : Deux mille morts, bien 2.000 morts et non 20.000 voire 120.000, comme des zélateurs empressés se sont appliqués à amplifier.

Trois des principaux protagonistes de la répression de Hama du côté du pouvoir baasiste, ont depuis lors rallié le camp saoudien américain. L’ancien vice-président de la République syrienne, Abdel Halim Khaddam, l’ancien ministre de la défense, Moustapha Tlass, et le Général Rifa’t al ‘Assad, propre frère du chef de l’état syrien, vice-président de la République et surtout maitre d’œuvre de la répression de Hama.

Ces trois transfuges vivent dans l’opulence en Europe et bénéficient des égards dus à leur statut de renégats de leurs idéaux baasistes, particulièrement Abdel Halim Khadam qui ira jusqu’à nouer alliance avec eux en 2006, après avoir participé à un gouvernement qui les a sérieusement réprimé. Mais Hama est désormais indissociablement lié à Hafez al Assad, et à son fils Bachar, collégien à l’époque, jamais à l’ordonnateur de la répression Rifa’at, son oncle, grand trafiquant devant l’éternel, sans doute en raison de son alliance para familiale avec le Roi d’Arabie saoudite. Ah les mystères des liaisons incestueuses entre Média et Démocratie entre Média et Vérité téléguidée commanditée.

« Le bilan total de l’incident de Hama se trouve probablement autour de 2,000 morts. Ceci inclut une estimation de 300-400 membres de l’appareil secret des Frères Musulmans, peut-être un tiers de la force contenu dans l’appareil secret en Syrie. Militairement, le gouvernement syrien a tenu en échec les fondamentalistes et cela prendra probablement plusieurs années avant que les Frères puissent être capables de contester les alaouites-baathistes de nouveau », conclut le rapport.

Ce constat demeure d’actualité. Il peut être dressé, sans risque d’erreur, 30 ans plus tard.

Pour la vérité historique ci joint le rapport de la DIA en version française dans son intégralité.

Table des Matières
  • Résumé
  • 1. Discussion
  • a- Background
  • b- Un nouveau leadership, un nouveau défi
  • c- Tactiques pour renverser le régime Assad
  • d- Découverte prématurée
  • 2. Conclusion
  • Illustration : Carte – Infiltration des routes vers Hama par les Frères Musulmans
Résumé

La confrérie syrienne des Frères Musulmans, une organisation fondamentaliste musulmane sunnite, commença à se développer en parti d’opposition après l’accès du pouvoir du parti laïc Baath en 1963. L’opposition des Frères s’est intensifiée après la prise du pouvoir, le 23 février 1966, par les éléments alaouites du parti Baath, un groupe que les Frères ne considèrent pas musulman. Leurs craintes concernant le chemin séculariste que les Baathistes ont suivi se sont confirmées lorsque le gouvernement Assad adopta une nouvelle constitution en mars 1973, dans laquelle toute mention à l’Islam comme religion d’Etat fut effacée.

Au début de 1979, encouragés par la révolution islamique en Iran, les Frères Musulmans en Syrie ont développé un plan pour enclencher une révolte populaire similaire dans leur pays pour évincer Assad. Le massacre de 50 élèves militaires, le 16 juin 1979 à l’école d’artillerie d’Alep, signale le début de l’offensive des Frères. En revanche, à l’été 1980, suite à plusieurs mois de batailles sanglantes entre les forces gouvernementales et les militants des Frères Musulmans, le Président Assad a réussi à défaire le défi que représentaient les Frères Musulmans.

Le plus grand revers dont a souffert l’organisation en 1980 fut la démission de son chef, Issam Al-Attar, qui avait conduit les Frères depuis 1961. Au début de 1981, la nouvelle direction des Frères, se trouvant en exil, développe une stratégie complexe pour évincer le gouvernement Assad, qui se fonde sur une rébellion menée par les Frères dans toutes les régions du pays, et qui serait reliée en apparence à un coup alaouite anti-Assad.

En revanche, au début de 1982, les forces de sécurité syriennes découvrent ce complot et commencent à intensifier leurs opérations contre les opposants se trouvant dans le pays. En conséquent, les Frères Musulmans sentent la pression pour lancer une rébellion a Hama, qui débute le 2 février 1982. Alors que le Président Assad ait réussi à écraser le soulèvement de Hama, il se trouve clairement sur la défensive et trouve son régime de plus en plus isolé en Syrie et dans le monde arabe. Toujours est-il que les Syriens sont des pragmatiques qui ne veulent pas d’un gouvernement de Frères Musulmans, bien qu’ils préfèrent sans aucun doute être dominés par un Président musulman sunnite.

Background

Bien que les Frères Musulmans aient existé en Syrie depuis 1937, ce n’est qu’en 1963 qu’ils commencent à s’organiser comme parti d’opposition. A l’époque, le parti syrien du Baath, en coalition avec l’armée, prend contrôle du pouvoir politique dans le pays. Alors que l’orientation politique du Baath est arabe nationaliste, le parti est également laïc, une position totalement rejetée par le fondamentalisme musulman des Frères. En février 1964, des émeutes instiguées par les Frères contre le règne du Baath éclatent, et en avril, le bastion fondamentaliste de Hama était en complète rébellion.

Face au risque de propagation des troubles, l’homme fort syrien, Amin Hafez, coupe les accès vers Hama et dirige des unîtes de l’armée a l’intérieur de la ville pour écraser la rébellion portée par les Frères.

Par la suite, les activités sécuritaires du Baath contre les Frères se sont intensifiées, poussant de nombreux leaders vers l’exil au Liban, en Jordanie, en Arabie Saoudite, et dans les Etats arabes du Golfe. Résultant de rivalités baathistes internes, l’arme militaire du parti, dont la direction inclut Hafez Al Assad, prend contrôle du pouvoir le 23 février 1966 dans un des coups les plus sanglants que la Syrie ait connu. Le coup n’a pas uniquement force Amin Hafez, un musulman sunnite, hors du pouvoir, mais a indiqué la fin de la domination sunnite du parti Baath. La nouvelle direction représentait les Alaouites, une communauté religieuse endogène comprenant approximativement 11% de la population syrienne.

L’ascension au pouvoir de la faction alaouite du Baath a poussé les Frères Musulmans à intensifier leurs efforts pour les éloigner du pouvoir, puisqu’ils ne considèrent pas les Alaouites comme musulmans, bien que ces derniers le professent officiellement. En Mars 1973, le gouvernement Assad introduit une nouvelle constitution, dans laquelle toute référence à l’Islam comme religion d’Etat est effacée. Cette action fut interprétée par les Frères comme une évidence supplémentaire que les alaouites-baathistes étaient non seulement laïcs, mais anti-Islam également. De plus, les Frères considéraient qu’avoir un alaouite, Hafez Al Assad, comme Président, était en violation directe avec l’article 3 de la constitution qui stipule que « la religion du Président de la République est l’Islam ».

Alors que l’opposition des Frères aux Baathistes ait été limitée, l’organisation commence à étendre un bras secret pour des actions politiques violentes non-attribuables, l' »Appareil Secret » en 1964, suite à l’anéantissement de leurs activités par Amine Hafez. Ce bras secret avait plusieurs noms de guerre dont : « les jeunes de Mohammed, les soldats d’Allah, la jeunesse fidèle, l’avant-garde islamique ». Il était dirigé par Dr. Adnan Al Masri. Après son exécution par le gouvernement en 1965, le cheikh Marwan Haddad pris la relève jusqu’ à sa propre mort en 1976. Il fut remplacé par le cheikh Adnan Aqlah. En revanche, ce n’était qu’en 1979 que les Frères Musulmans aient pris confiance en leurs forces et soutiens politiques pour défier le régime au pouvoir.

Le massacre de 50 élèves officiers alaouites le 16 juin 1979, à l’école d’artillerie d’Alep, était apparemment conçu pour signaler le début de l’offensive des Frères pour créer un soulèvement populaire similaire à celui d’Iran. Contrairement au Shah, le Président Syrien Assad a d’abord pris le soin de consolider son contrôle du parti Baath, ainsi que de sa propre communauté, avant de se lancer contre l’opposition. A l’été 1980, suite à de nombreux mois de combats sanglants entre les forces gouvernementales et l’appareil secret des Frères, Assad avait réussi à faire craquer l’organisation. Le coût politique a été intense, puisque les méthodes du gouvernement ont forcé la majorité de la population sunnite à s’aliéner du pouvoir. Pourtant, les Syriens sont pragmatiques et bien qu’Assad ne soit pas populaire, il est généralement reconnu qu’il a donné à la Syrie une stabilité que le pays n’avait pas connue depuis son indépendance en 1946.

Un nouveau leadership, un nouveau défi

Le revers connu en 1980 finit par démettre Issam Attar de ses fonctions de Guide Suprême de l’organisation syrienne. Attar avait tenu ce poste depuis 1961 et fut remplacé par le vieillissant Dr. Mustafa Al Sibai. Bien qu’Issam Attar ait uniquement 53 ans, il était en mauvaise santé. Nombreux pensaient qu’il lui manquait la vigueur pour apprécier les problèmes auxquels les Frères faisaient face en Syrie afin de propulser un leadership dynamique dont ils avaient besoin.

A noter que la sœur d’Issam Al Attar, qui s’est exilé en Allemagne, Najah Al Attar a assumé la fonction de ministre de la culture de la Syrie pendant deux décennies avant d’être nommée Vice Présidente de la République syrienne, en juillet 2014, à l’occasion de la réélection du Dr. Bachar Al Assad, pour un nouveau mandat présidentiel de 7 ans.

La nouvelle équipe était constituée d’ Adnan Saïd Ad-Dine, Guide Suprême ; Saïd Hawi, Contrôleur Général; Ali Sadr Ad-Dine Bayayouni, Assistant du Contrôleur Général et Adnan Uqlah, Commandant de l’appareil secret. Adnan Saïd Ad-Dine était membre de la confrérie depuis 1943 et a acquis une expérience considérable à travers l’appareil secret. Son assistant, Saïd Hawi, a servi comme assistant au cheikh Marwan Haddad, commandant de l’appareil secret depuis 1965 jusqu’à sa mort en 1976. Hawi avait été arrêté en 1976 avec Haddad et relâché en 1977. Il s’exila ensuite en Jordanie jusqu’en 1980 et parait avoir voyage en Europe. Saïd Hawi est connu pour être un spécialiste des questions islamiques et a publié de nombreux ouvrages en arabe sur les lois islamiques et leur interprétation.

Ali Sadr Ad-Dine Bayanouni, N° 3 dans la chaîne de commandement de la confrérie en Syrie, est un avocat de 45 ans d’Alep qui a rejoint le groupe fondamentaliste en 1943. Comme Adnan Said Ad Dine et Said Hawi, il est convaincu que la lutte armée était l’unique chemin à suivre par les Frères dans leur combat contre le règne alaouites-baathiste en Syrie. Le quatrième homme faisant partie de ce haut leadership était Adnan Uqlah, le commandant militaire, qui a dirigé et contrôlé les opérations en Syrie. Uqlah, un ex-Lieutenant de l’armée syrienne, était également originaire d’Alep.

En 1980, le Président syrien Assad a réussi à perturber les activités des Frères et neutraliser le soutien populaire sunnite. Des arrestations et des mesures de sécurité accrues ont miné les capacités des Frères à prendre des actions efficaces contre le gouvernement. Toujours est-il que la structure organisationnelle de la confrérie est demeurée intacte. Ceci inclut une estimation de 10,000 membres des Frères Musulmans, ainsi qu’un millier additionnel dans le bras secret. L’ultime priorité pour le leadership des Frères était de regrouper l’organisation syrienne pour une nouvelle bataille avec les alaouites-Baathistes.

En Décembre 1980, peu de temps suivant le remplacement d’Issam Attar de son poste de Guide Suprême, Saïd Hawi et Ali Sadr Al Din Baylouni annoncent la formation d’un Front Islamique. L’annonce dans une interview au Die Welt consistait essentiellement en un geste de propagande, indiquant le début de contacts accrus entre les Frères Musulmans syriens et le gouvernement irakien. Bien que le gouvernement irakien soit laïc, il était musulman sunnite et diamétralement opposé au leadership politique de Hafez Al Assad en Syrie. Durant le conflit de 1979-1980, l’Irak avait fourni de l’aide aux Frères, particulièrement à Alep.

Bagdad a également agi comme médiateur entre les Frères et la section séparée du parti communiste syrien dirigée par Riad El Turk, qui avait participé dans la lutte contre le gouvernement en 1980. Les Frères apparaissent comme avoir cherché les lettres de créance du Baath irakien et d’autres liens avec des dissidents baathistes syriens pour gagner plus de soutiens dans le renversement d’Assad.

Tactiques pour renverser le régime Assad

Le nouvel effort des Frères aurait eu comme objectif de gagner le soutien de dissidents alaouites soutenant l’homme fort évincé Salah Jédid. Jédid vient d’une famille plus large et proéminente du groupe tribal alaouite dont fait partie le Président Assad, et il a été emprisonné après son éviction du pouvoir en 1970.

Le fait que Salah Jedid soit toujours en vie démontre de l’importance de son statut au sein de la communauté alaouite, puisqu’Assad aurait certainement voulu l’assassiner s’il pouvait le faire politiquement. Les partisans de Jédid, probablement en majorité originaires de la tribu Haddadune, ont opéré contre le gouvernement Assad sous leur nom de guerre 23 février, en souvenir de la date de 1966 lorsque Jedid mena les Alaouites-Baathistes au pouvoir. L’Irak a probablement joué le rôle d’homme du milieu pour coordonner l’opposition dissidente baathiste syrienne avec les Frères musulmans pour évincer le Président Assad.

La nouvelle stratégie que les Frères aurait développé, était considérablement plus complexe que leurs efforts de 1979-1980. A l’époque, les Frères Musulmans auraient tenté, presque seuls, de lancer un soulèvement populaire pour renverser le régime Assad. Le Président Assad, en revanche, a exploité leurs positions anti-alaouites et anti-baathiste pour rallier ces éléments contre eux. Il a également lancé un effort sécuritaire massif pour arrêter, intimider, ou neutraliser par ailleurs les éléments d’opposition au sein de la communauté alaouite, du parti Baath, et de la société syrienne en général.

La tactique employée par la confrérie était apparemment développée pour diviser la communauté alaouite en exploitant l’animosité qu’Assad aurait fait subir aux opposants. Issam Attar, depuis son accession au pouvoir, avait tenté de minimiser la position des Frères rejetant les alaouites comme musulmans à travers plusieurs déclarations, mais le nouveau leadership a activement cherché à gagner le soutien de dissidents alaouites dans leur quête de renverser le pouvoir.

Ce plan, probablement coordonné avec l’Irak, se concentrait sur deux actions complémentaires. La première consistait en une révolte à grande échelle dans la ville de Hama, un fief traditionnel de la confrérie qui abritait par ailleurs son siège. Une fois la révolte enclenchée, des révoltes similaires aurait pris place à Alep, Damas, et autres grandes villes, accompagnées de grèves générales ayant pour but de paralyser la Syrie. Au cours de ces désordres, les dissidents alaouites, dirigés par les partisans de Salah Jedid dans l’armée, pourraient exécuter un coup pour démettre le Président Assad de ses fonctions.

Simultanément, une campagne de propagande mondiale sophistiquée serait lancée pour soutenir la rébellion et mettre en exergue ses victoires ainsi que la désertion des unités de l’armée vers le côté rebelle.

Des communiqués de presse seraient préparés et publiés en Europe et aux Etats-Unis, et des enregistrements radio de propagande anti-Syrienne seraient émis par la Voix du Liban (contrôlée par les Phalanges) et la Voix de la Syrie Arabe (d’Irak). L’Irak commença ses efforts préliminaires au début de 1981 à travers sa publication, Al Minbar, qui publierait des violations des droits de l’homme commis par le régime Assad en Syrie et en conséquent relaterait les atrocités commises contre les prisonniers des Frères Musulmans et la brutale répression de Hama de 1980. La radio basée à Bagdad, la Voix de la Syrie Arabe, émettrait les articles d’Al Minbar et se concentrerait sur les thèmes de la répression d’Assad et de son isolement à l’intérieur de la Syrie ainsi que dans le reste du monde arabe.

En juillet 1981, les Frères Musulmans commencent à préparer l’infiltration de membres exilés de son appareil secret vers la Syrie. Au moins 100 militants étaient transportés de la Jordanie, où ils avaient trouvé refuge, en Irak, où ils auraient probablement reçu un entraînement avant leur entrée sur le territoire syrien.

Vers la fin septembre ou début octobre, les Frères, en anticipation de l’agrandissement de leur appareil secret de Hama, attaque un bureau du gouvernement dans la ville et saisissent plusieurs centaines de cartes d’identité vides, qu’ils utiliseront pour l’appareil secret. Un peu plus tard, l’infiltration des militants débuta depuis l’Irak, et a une moindre mesure la Turquie. Durant cette période, plusieurs attaques terroristes et bombes ont eu lieu en Syrie pour démontrer les capacités des dissidents alaouites/Frères Musulmans de frapper le gouvernement.

Une découverte prématurée

En dépit de la planification méticuleuse, l’appareil sécuritaire Syrien découvre la partie de la dissidence alaouite du complot au début du mois de Janvier 1982. Alors que les organisations sécuritaires d’Assad continuaient de se mobiliser contre les dissidents alaouites suspects de l’armée, ils intensifiaient également leurs efforts pour démonter l’infrastructure cachée de la confrérie. Des efforts de recherche furent initiés dans la ville frontière avec la Jordanie de Deraa et d’autres mesures de sécurité initiées à travers le pays. A la fin de janvier 1982, des informations indiquent que le gouvernement aurait eu l’intention de conduire des recherches dans les maisons et aurait découvert quelque 200 militants qui avaient infiltrés la ville.

Par conséquent, les Frères étaient forcés de lancer prématurément la rébellion de Hama avec l’espoir qu’elle susciterait des soulèvements dans d’autres villes. Si une grève générale était observée, et la propagande-barrage dirigée contre la Syrie à partir de l’Irak et du Liban était effective, des désertions à grande-échelle auraient pu se déclencher au sein des Forces Armées Syriennes. La possibilité existait donc, que le régime Assad serait forcé à quitter le pouvoir, malgré la découverte du plan de coup dissident alaouite. Même si le plan n’était pas réussi, la révolte de Hama aurait pu devenir un point de ralliement symbolique pour d’autres activités anti-gouvernementales futures. La rébellion pourrait également forcer le gouvernement de Damas à devenir plus répressif.

Le leadership des Frères croyait que ceci pourrait à son tour créer une plus grande aliénation du gouvernement Assad de la majorité musulmane sunnite et même dans sa propre communauté alaouite.

A la fin du mois de janvier ou début février 1982, les trois plus hauts dirigeants de la confrérie, le Guide Suprême Adnan Saïd Al Din, Saïd Hawi, et Ali Sadr Ad-Dine Bayanouni laissent leur siège clandestin de Bruxelles, pour se disperser dans d’autres endroits où ils pourraient diriger directement leurs opérations en Syrie. Le 2 février, suivant une bataille entre les Frères et les forces de sécurité syriennes, les haut-parleurs de plusieurs minarets de Hama lancent des appels au peuple pour débuter un Jihad (lutte armée) contre le gouvernement. Le message lance indiquait a la population que des armes se trouvaient disponibles dans certaines mosquées. Au même moment, des équipes de l’appareil secret des Frères, certains en uniforme, attaquent des cibles présélectionnées gouvernementales dans la ville.

Une des équipes attaque l’office du registre civil et détruit les papiers de résidence de toute la population de Hama et de sa province. Ces registres constituaient un outil essentiel de contrôle de la population par les services de renseignement syriens. En même temps, d’autres éléments attaquaient des postes de police, des bureaux de sécurité, le siège du parti Baath, ainsi que des unités de l’armée, les forçant à se retirer de la ville après plusieurs jours de batailles intenses.

Les Frères ont d’ailleurs bloqué les accès vers Hama pour empêcher les forces gouvernementales de s’y rendre de nouveau. Alors que le bras secret de la confrérie rassemblait approximativement 400 militants quand les batailles ont commencé, ce chiffre sera en augmentation à près de 1,000, le 5 février, du fait de l’engagement de membres ordinaires des Frères et d’autres citoyens de Hama.

Le 9 février, la direction de la révolution islamique en Syrie, un nom de guerre pour les Frères Musulmans, émet des informations concernant la bataille de Hama sur la radio irakienne Voix de la Syrie Arabe.

L’information relayée décrit la saisie des rebelles de la ville et l’exécution de quelques 50 « espions et informateurs ». Il est également indique que des éléments majeurs de la 47eme brigade de l’armée, envoyée pour reprendre Hama, avait déserté pour se joindre au peuple de Hama, alors que les pilotes des forces aériennes syriennes refusaient de se soumettre aux ordres de bombarder la ville. Le bulletin d’information notait également que des mutineries contre le gouvernement avaient eu lieu à Lattaquieh et sur la base aérienne de Palmyre, et que
de nouvelles émeutes ont eu lieu à Alep. Près de 3,000 membres des forces gouvernement avaient péri, ajoutait le communiqué.

Alors que la campagne de propagande des Frères s’intensifiait, un porte-parole avait réaffirmé à Bonn le 10 février que Hama avait été libérée et que les tentatives de reprise par le gouvernement avaient échoué. L’annonce de Bonn confirmait également que les pertes gouvernementales s’élevaient à près de 3,000 tués et blessés et qu’il y avait bien eu une large défection de la 47ème brigade militaire. Le 11 février, une source à Hong Kong indiquait que la station radio gouvernementale d’Alep avait été saisie et une annonce de Paris attribuait au porte-parole de Bonn une information selon laquelle 3 à 4,000 militaires de l’armée et des forces de défense aérienne avait rejoint la révolution islamique de Hama. Ce même jour, des sources des Frères Musulmans à Vienne indiquaient que 2,000 membres des forces gouvernementales avaient été tués et plus de 3,000 blessés, notant que la lutte s’était étendue jusqu’à Damas, Lattaquieh, Alep, et l’Est du pays.

Le 14 février, alors que l’offensive de propagande continue, des sources des Frères Musulmans à Ankara indiquent que de larges portions de l’autoroute Damas-Alep sont sous le contrôle de la révolution islamique. (Le 11, le gouvernement avait rouvert cette artère majeure au trafic).

Le 15 février, la Voix du Liban, contrôlée par les phalanges, rapportent que la résistance de Hama continue et que des grèves générales se sont tenues à Homs, Lattaquieh, et Alep. Le 15 février, la Voix du Liban annonce que 5,000 soldats syriens ont déserté et fuit au Liban. A ce moment, les forces syriennes avaient regagné une bonne partie de la ville de Hama, bien que certaines poches isolées de militants des Frères Musulmans soient restées dans l’ancienne ville.

Le 16 février, Saïd Hawi, le contrôleur général des Frères Musulmans en Syrie lance un appel sur la Voix de la Syrie Arabe transmise depuis Bagdad qui appelle à un soulèvement national. «Le Jihad (la lutte sacrée) pour confronter le tyran est maintenant un devoir à tous ceux capables de porter des armes» a-t-il dit. Le cheikh Hawi a également appelé à une grève générale immédiate et jusqu’à la chute du gouvernement Assad.

La propagande continue le 20 février lorsque la Voix de la Syrie Arabe urge le peuple de Syrie de s’unir contre le régime de Hafez Al Assad et affirme que le leadership religieux de la Syrie (les Frères Musulmans) a publié une fatwa (décision islamique légale) qui interdit tout musulman véritable de ne plus payer de taxes au gouvernement.

Le 25 février, un communiqué de la confrérie repris par le Christian Science Monitor indique qu’une base navale syrienne près de Lattaquieh a été saisie et deux sous-marins capturés, clamant que le Front Islamique contrôle la cote du nord de Lattaquieh jusqu’à la frontière turque. En dépit des rapports de propagande, les soulèvements en Syrie n’ont jamais été étendus hors de Hama, bien que quelques bombes limitées auraient eu lieu à Damas et ailleurs.

Conclusion

Le bilan total de l’incident de Hama se trouve probablement autour de 2,000 morts. Ceci inclut une estimation de 300-400 membres de l’appareil secret des Frères Musulmans, peut-être un tiers de la force contenu dans l’appareil secret en Syrie. Militairement, le gouvernement syrien a tenu en échec les fondamentalistes et cela prendra probablement plusieurs années avant que les Frères puissent être capables de contester les alaouites-baathistes de nouveau.

La révolte a en revanche donne au Président Assad l’excuse dont il avait besoin pour procéder à un geste contre Hama, qui a depuis longtemps été un fief de l’activité des Frères Musulmans. Cependant, les Frères Musulmans ont démontré dans ce dernier défi lancé aux alaouites-baathistes, une nouvelle sophistication dans leurs capacités d’utiliser la propagande pour gagner le soutien d’alaouites dissidents. Au même moment, la confrérie a réussi à élargir l’écart entre le régime syrien et la population syrienne, au moins pour le court-terme.

Le leadership des Frères Musulmans était totalement conscient que la situation ne sera pas en leur faveur avec le régime Assad à Hama. Si Assad n’avait pas agi avec force contre Hama, la rébellion aurait pu s’étendre à d’autres villes, ce qui aurait pu conduire à une rébellion générale. L’usage libéral d’Assad l’artillerie pour casser la résistance de Hama a servi de notice à d’autres villes, leur montrant qu’il avait la volonté et les moyens pour utiliser le pouvoir. Par la même occasion en revanche, les actions du gouvernement ont consterne et écœuré un large spectre de la société syrienne.

La stratégie d’Assad continue cependant repose sur la conviction que la plupart des Syriens, indépendamment de leurs griefs qu’ils nourrissent envers le gouvernement présent, ne supporte pas l’idée des Frères Musulmans au pouvoir, même s’ils préfèrent sans aucun doute être dominés par des musulmans sunnites.

De plus, les Syriens sont pragmatiques et réalisent qu’Assad a donné à la Syrie une plus grande stabilité durant son règne que durant n’importe quel autre moment depuis son indépendance en 1946. Ceci n’est pas sans dire que le gouvernement Assad est populaire avec toutes les catégories de la société syrienne mais sous les circonstances actuelles, il serait douteux qu’un gouvernement alternatif puisse faire mieux.

La popularité politique en Syrie, par ailleurs, n’a jamais été un prérequis pour conserver le pouvoir politique. La capacité de contrôler les appareils sécuritaires et militaires, ainsi que la volonté d’en disposer le cas échéant ont été bien plus importants. Le Président Assad a démontré son contrôle sans équivoque des moyens de violence et sa capacité d’user de la force le cas échant. Cependant, Assad blâme clairement les Frères Musulmans pour les tensions existantes en Syrie ainsi que la destruction de certaines portions de la ville de Hama.

Dans un discours du 7 mars, le Président Assad accuse les Frères Musulmans de distordre l’Islam, de tuer au nom de l’Islam, et de «poser» en musulmans. Les Frères Musulmans, ajoute le Président syrien, n’étaient rien d’autre que des criminels qui «profanent des mosquées et des maisons de Dieu» en les transformant en entrepôts d’armes. Ces criminels «ont massacré des enfants, des femmes, des personnes âgées au nom de l’Islam» dit-il. Bien que la plupart des syriens ont probablement des doutes sur la description qu’Assad fait des Frères, ils admettraient probablement que le niveau de tensions en Syrie est bien le résultat des actions des Frères Musulmans.

La position d’Assad en Syrie est probablement plus forte actuellement qu’à n’importe quel autre moment depuis son accession au pouvoir en 1970. En conséquent des actions des Frères Musulmans et de dissidents alaouites, Assad a renforcé son contrôle de l’armée et de l’appareil sécuritaire. La possibilité d’un coup d’état réussi contre le Président Assad, continue par conséquent d’être improbable. La plupart des Syriens le réalisent également, ce qui réduit certainement leur volonté de soutenir des activités anti-gouvernementales.

En revanche, les Frères Musulmans sont déterminés de continuer leur lutte armée contre le gouvernement alaouite-baathiste de Syrie. L’Irak apparait tout autant disposé de soutenir des activités anti-Assad et continuera probablement d’agir comme intermédiaire pour les Frères Musulmans pour traiter avec les dissidents alaouites mécontents. Le modus operandi des dissidents syriens continuera d’être le terrorisme, particulièrement des bombes et des assassinats.

Le Président Assad restera probablement la cible première pour quelque plan d’assassinat, soit par les Frères Musulmans, soit par les alaouites dissidents. Les opérations sécuritaires syriennes, sont par ailleurs certaines de continuer leurs efforts pour casser, ou du moins perturber l’infrastructure des Frères Musulmans en Syrie et tuer tout son leadership en exil. La guerre secrète ne s’arrêtera probablement pas, bien qu’il puisse y avoir des accalmies périodiques dans la lutte.

Annexe documentaire

René Naba

Journaliste-écrivain, ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de l'AFP, puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, responsable de l'information, membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme et de l'Association d'amitié euro-arabe. Auteur de "L'Arabie saoudite, un royaume des ténèbres" (Golias), "Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l'imaginaire français" (Harmattan), "Hariri, de père en fils, hommes d'affaires, premiers ministres (Harmattan), "Les révolutions arabes et la malédiction de Camp David" (Bachari), "Média et Démocratie, la captation de l'imaginaire un enjeu du XXIme siècle (Golias). Depuis 2013, il est membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme (SIHR), dont le siège est à Genève et de l'Association d'amitié euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l'Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l'Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève. Editorialiste Radio Galère 88.4 FM Marseille Emissions Harragas, tous les jeudis 16-16H30, émission briseuse de tabous. Depuis le 1er septembre 2014, il est Directeur du site Madaniya.

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