Cuba / Angola : La bataille qui mit fin à l'Apartheid

Cuba / Angola : La bataille qui mit fin à l'Apartheid 938 400 La Rédaction

Cet article a été écrit il y a 5 ans, le 9 avril 2013, à l’occasion du 20e anniversaire de la bataille. Cette année marquera la 25e anniversaire du début de la bataille de Cuito Cuanavale dans le sud-est de l’Angola, où les forces armées de l’Afrique du Sud de l’apartheid se heurtèrent à l’armée cubaine et aux forces angolaises.

« Nous ne luttons ni pour la gloire ni pour les honneurs, nous luttons pour les idées que nous estimons justes »- Fidel Castro

Nelson Mandela a considéré l’échec sud-africain en Angola comme « le tournant dans la libération du continent du fléau de l’apartheid ». Les noms des soldats cubains morts en Angola figurent aujourd’hui avec ceux de tous les héros de l’histoire sud-africaine sur le mur du souvenir du Freedom Park, à Pretoria.

La bataille de Cuito-Cuanavale est une bataille de la guerre civile angolaise qui connut son point d’orgue du 12 au 20 janvier 1988. Elle opposa les soldats des armées angolaises et cubaines aux combattants de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA), de Jonas Savimbi, agent de la CIA, soutenu par l’armée sud africaine (SADF) intervenant pour sa part dans le cadre de la guerre sud-africaine de la frontière. Elle constitue la plus importante bataille engagée sur le continent africain depuis la Seconde Guerre Mondiale. Elle est un élément déclencheur du règlement de la situation politique en Angola et en Namibie (alors Sud-Ouest africain).

Par Piero GLEIJESES

L’assaut sud-africain « fut stoppé abruptement et définitivement » par les forces révolutionnaires. Le général Magnus Malan écrit dans ses mémoires que la campagne fut une grande victoire pour les forces de défense d’Afrique du Sud (SADF), mais l’opinion de Nelson Mandela était on ne peut plus différente : « Cuito Cuanavale a marqué le tournant de la lutte de libération de mon continent et de mon peuple contre le fléau de l’apartheid ».
Le débat sur la signification de Cuito Cuanavale a été intense, en partie parce que les principaux documents sud-africains sur cette opération ont été classés. Cependant, j’ai pu consulter les documents des archives cubaines, ainsi que les documents des États-Unis. En dépit de la brèche idéologique qui sépare La Havane et Washington, ces documents fascinent par leur ressemblance.

Examinons les faits.

En juillet 1987 l’armée angolaise (FAPLA) lança une offensive de grande envergure dans le sud-est de l’Angola contre les forces de Jonas Savimbi. Mais voyant que cette opération se déroulait avec succès, les SADF qui contrôlaient les zones les plus méridionales du sud-ouest du pays intervinrent dans le sud-est. Au début du mois de novembre, les SADF avaient acculé les meilleures unités angolaises dans le village de Cuito Cuanavale et se préparaient à les anéantir. Le Conseil de sécurité des Nations Unies exigeait le retrait inconditionnel des SADF de l’Angola, mais l’administration Reagan se chargea de faire en sorte que cette exigence soit perçue comme une résolution de plus qui ne serait pas respectée.

Le secrétaire d’État adjoint chargé de l’Afrique, Chester Crocker, signala à l’ambassadeur US en Afrique du Sud « La résolution n’exige pas de sanctions et ne prévoit aucune assistance pour l’Angola. Ceci n’est pas un hasard mais le fruit de nos efforts pour maintenir la résolution dans certaines limites ». Entre-temps, les SADF anéantiraient les unités d’élite des FAPLA.

Au début de 1988, des sources militaires sud-africaines et diplomatiques occidentales assuraient que la chute de Cuito était imminente. Ce qui serait un coup de massue pour le gouvernement angolais. Mais le 15 novembre 1987, le président cubain Fidel Castro avait décidé d’envoyer davantage de troupes et d’armes en Angola : ses meilleurs pilotes équipés des meilleurs avions, ses armes anti-aériennes et ses tanks les plus modernes. L’intention de Fidel Castro était non seulement de défendre Cuito, mais de débarrasser une fois pour toutes le sud de l’Angola des SADF.

Fidel exposerait par la suite sa stratégie au leader du Parti communiste sud-africain Joe Slovo : « Cuba stopperait l’offensive sud-africaine et attaquerait ensuite dans une autre direction, « comme le boxeur qui maintient son adversaire à distance de la main gauche, avant de frapper avec sa main droite ». Les avions cubains et 1 500 soldats cubains allèrent prêter main forte aux Angolais, et Cuito ne tomba pas. Le 23 mars 1988, les Sud-africains lancèrent leur dernier assaut d’envergure contre Cuito. Comme le signale le colonel Jan Breytenbach, l’assaut sud-africain « fut abruptement et définitivement stoppée » par les forces cubano-angolaises.

La main droite de La Havane s’apprêtait à frapper. De puissantes colonnes cubaines progressaient dans le sud-ouest de l’Angola, en direction de la frontière namibienne. Les documents pouvant nous éclairer sur les pensées des dirigeants sud-africains sur cette menace demeurent classés. Mais l’on sait ce que firent les SADF : elles cédèrent du terrain. Les services de renseignement des États-Unis ont expliqué que les Sud-africains se retiraient parce qu’ils étaient impressionnés par la rapidité et la puissance de la progression des Cubains, et parce qu’ils considéraient qu’un combat de plus grande envergure « aurait comporté de grands risques ».

Quand j’étais enfant, en Italie, j’ai entendu mon père parler de l’espoir qu’ils avaient nourri en décembre 1941 lorsqu’ils avaient entendu à la radio que les troupes allemandes avaient été obligées de se retirer de la ville de Rostov-sur-le-Don.
C’était la première fois en deux ans de guerre que le « super-homme » allemand était contraint à la retraite. Je me suis souvenu de ses paroles – et du grand sentiment d’espoir qu’elles suscitaient  lorsque j’ai lu la presse sud-africaine et namibienne vers le milieu de 1988.

Le 28 mai 1988, le chef des SADF annonçait que les « forces cubaines et de la SWAPO, fortement armées et engagées conjointement pour la première fois, ont avancé vers le sud à une soixantaine de kilomètres de la frontière avec la Namibie ». Le 26 juin, l’administrateur général sud-africain en Namibie reconnaissait que des MiG-23 cubains survolaient le territoire namibien : un changement dramatique en ces temps où les SADF avaient la maîtrise du ciel. Il ajoutait que « la présence des Cubains avait provoqué une vague d’anxiété en Afrique du Sud ». Cependant, ces sentiments d’anxiété n’étaient pas partagés par la population noire d’Afrique du Sud, qui voyait dans le retrait des forces sud-africaines une lueur d’espoir.

Alors que les troupes de Fidel Castro avançaient en direction de la Namibie, Cubains, Angolais, Sud-africains et Nord-américains s’affrontaient à la table des négociations, avec deux points clés à l’ordre du jour : l’acceptation par l’Afrique du Sud de la mise en œuvre de la Résolution No 435 du Conseil de sécurité sur l’indépendance de la Namibie, et un accord entre les parties sur un chronogramme de retrait des troupes cubaines en Angola.

Les Sud-africains semblaient pleins d’espoir : le ministre des Affaires étrangères Pik Botha pensait qu’aucune modification ne serait apportée à la Résolution No 435. Le ministre de la Défense Malan et le président P.W. Botha affirmaient que l’Afrique du Sud se retirerait d’Angola seulement « si les Russes et leurs fantoches en font de même ». Ils ne parlaient même pas d’un retrait de leurs troupes de Namibie. Le 16 mars 1988, Business Day annonçait que Pretoria « proposait de se retirer vers la Namibie  et non pas de la Namibie  en échange d’un retrait des troupes cubaines en Angola ».

Autrement dit, l’Afrique du Sud n’avait aucune intention de s’en aller dans un avenir proche. Mais les Cubains avaient renversé la situation sur le terrain, et lorsque Pik Botha présenta les exigences sud-africaines, Jorge Risquet, qui conduisait la délégation cubaine, fut implacable : « L’époque des aventures militaires, des agressions impunies, de vos massacres de réfugiés est révolue ». L’Afrique du Sud, déclara-t-il, « agit en armée victorieuse au lieu de ce qu’elle est vraiment : un agresseur battu et engagé dans une retraite discrète. L’Afrique du Sud doit comprendre qu’elle n’obtiendra pas à cette table de négociations ce qu’elle n’a pu obtenir sur le champ de bataille ».

Au terme de la ronde de conversations au Caire, Chester Crocker envoya une dépêche au secrétaire d’État George Shultz lui expliquant que les pourparlers avaient eu « comme toile de fond le tension militaire croissante provoquée par l’avancée des troupes cubaines fortement armées stationnées au sud-ouest de l’Angola vers la frontière namibienne. La progression des Cubains dans le sud-ouest de l’Angola a créé une dynamique militaire imprévisible ».

La grande question était. Les Cubains s’arrêteraient-ils à la frontière ? Pour obtenir une réponse à cette question, Crocker contacta Risquet. « Cuba a-t-elle l’intention d’arrêter ses troupes à la frontière entre la Namibie et l’Angola ?». Risquet répondit : « Si je vous disais qu’elles ne s’arrêteront pas, ceci pourrait être interprété comme une menace. Et si je vous disais qu’elles s’arrêteront, ce serait comme vous donner un tranquillisant, et je ne veux ni vous menacer, ni vous calmer. Ce que j’ai dit, c’est que seuls les accords sur l’indépendance de la Namibie peuvent offrir des garanties ».

Le lendemain, le 27 juin 1988, des MIG cubains attaquèrent des positions des SADF non loin du barrage de Calueque, à 11 kilomètres au nord de la frontière de la Namibie. La CIA informa que : « l’efficacité avec laquelle Cuba a utilisé sa force aérienne et l’apparente faiblesse des défenses anti-aériennes de Pretoria » confirmaient que La Havane avait acquis la supériorité aérienne dans le sud de l’Angola et dans le nord de la Namibie. Quelques heures après l’attaque victorieuse des Cubains, les SADF détruisirent un pont à proximité de Culueque, sur le fleuve Cunene. Elles l’ont détruit  selon la CIA  « pour rendre plus difficile la traversée de la frontière des troupes cubaines et angolaises, et pour diminuer le nombre de positions à défendre ». Jamais le danger d’une progression cubaine vers la Namibie n’avait été aussi réel.

Les derniers soldats sud-africains quittèrent l’Angola le 30 août, alors que les négociations sur le chronogramme du retrait des troupes cubaines n’avaient même pas encore commencé.

Malgré tous les efforts de Washington, Cuba changea le cours de l’Histoire en Afrique australe. Même Chester Crocker a reconnu le rôle de Cuba lorsqu’il signala dans une dépêche envoyée à Ge0orge Shultz le 25 août 1988 : « découvrir ce que pensent les Cubains relève de l’art. Ils sont aussi bien préparés pour la guerre que pour la paix. Nous avons été témoins d’un grand raffinement tactique et d’une véritable créativité à la table des négociations. Ceci a pour toile de fond les fulminations de Castro et le déploiement sans précédent de soldats sur le terrain ».
La prouesse des Cubains sur le champ de bataille et leur virtuosité à la table des négociations s’avérèrent décisives pour contraindre l’Afrique du Sud à accepter l’indépendance de la Namibie. Leur défense victorieuse de Cuito Cuanavale fut le prélude d’une campagne qui obligea la SDAF a quitter l’Angola. Cette victoire eut des répercussions au-delà des frontières de la Namibie.

De nombreux auteurs – Malan n’est qu’un exemple  ont tenté de réécrire cette histoire, mais des documents nord-américains et cubains renseignent sur ce qu’il s’est réellement passé. Cette vérité a été exposée avec éloquence par Mme. Thenjiwe Mtintso, ambassadrice d’Afrique du Sud à Cuba, en décembre 2005 : « Aujourd’hui l’Afrique du Sud a de nombreux nouveaux amis. Hier, ces amis parlaient de nos dirigeants et de nos combattants comme des terroristes, et ils nous harcelaient depuis leurs pays tout en appuyant l’Afrique du Sud de l’apartheid. Aujourd’hui, ces mêmes amis veulent que nous accusions et isolions Cuba. Notre réponse est très simple : c’est le sang des héros cubains et non pas celui de ces amis qui irrigue profondément la terre africaine et revivifie l’arbre de la liberté dans notre Patrie ».

À propos de l’auteur

Piero Gleijeses est politologue et historien italien, professeur de politique extérieure des États-Unis à l’École d’études internationales avancées (SAIS) de l’Université John Hopkins, États-Unis.

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