Dernière mise à jour le 1 décembre 2015
Interview de la rédaction de madaniya.info à Jean François Fechino, Directeur de l’Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l’Homme et co-responsable du groupe d’ observateurs en mission d’observation au Caire à l’occasion du 2me tour des élections législatives égyptiennes.
De plus en plus nombreux sont les pays qui acceptent de recevoir lors de leurs scrutins nationaux, des observateurs étrangers. Souvent décriés lors de leurs visites ou de leurs retours, le rôle des observateurs internationaux de processus électoraux reste souvent méconnu du grand public et la cible privilégiée de certaines organisations civiles qui ont quelques difficultés à comprendre leur rôle, leurs devoirs et le fonctionnement d’une mission. A l’occasion de la seconde phase des élections législatives en Egypte, il est apparu intéressant de faire le point sur ce travail et suivre les différentes phases sur le terrain. madaniya.info a donc rencontré Jean-François Fechino, directeur de l’Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l’Homme, co-responsable de la mission qui se déroule en ce moment même au Caire.
Madaniya – Pourquoi êtes-vous Observateur et en quoi consiste votre mission ?
JEFF – Nous ne sommes pas observateur par hasard. Il faut croire très fort dans la démocratie et être conscient que ce concept est aujourd’hui un modèle valable pour tous les gouvernants mais qu’il est fragile et qu’il ne s’impose pas mais s’obtient par un effort collectif, volontaire qui passe par l’éducation et la volonté suprême de le maintenir, quotidiennement en vie. C’est donc au prix d’efforts permanent de la part des citoyens, et pas seulement pour se déplacer et glisser leur bulletin dans une urne, mais aussi en s’informant, en apprenant à analyser en profondeur, en écoutant, en discutant que la démocratie avance. Oui, à une époque ou le moindre effort est la maxime la plus partagée au monde. A une époque où l’égoïsme et la tentation de replis sur soi n’ont jamais été aussi prégnants, la démocratie et son maintien sur un fils tenu, ont besoin de toutes nos attentions. Voilà pourquoi je suis devenu un Observateur International et que notre Institut s’est engagé dans ces missions. Des missions d’accompagnement des démocraties récentes, celles issues des Printemps Arabe et dont certaines expériences ont failli tourner courts.
Madaniya – Etes-vous caution des gouvernements en place ?
JEFF – Non. Clairement non. Ce n’est pas le rôle des Observateurs que d’être des faire-valoir des gouvernements. Notre rôle n’est pas non plus celui de la critique de ces mêmes gouvernements. Notre rôle est de contrôler, sur le terrain, dans les bureaux de vote, lors des différentes phases des élections que les personnes responsables appliquent les textes, que les textes et rien que les textes. Des textes que tous les électeurs partagent car inscrits ou issus de leur Constitution.
Nous ne sommes pas là pour juger des politiques gouvernementales, ni des hommes. Nous nous attachons à connaître le processus électoral et à regarder comment il est compris et appliqué sur le terrain. Dans le même temps, nous portons notre attention sur différents points importants comme le droit de femmes à voter librement ou à se pouvoir être candidates, à la présence des jeunes et leur niveau d’engagement et de prise de responsabilité dans la vie civile. Toutes nos observations sont ensuite rassemblées au sein d’un pré-rapport avant de faire l’objet d’un rapport adressé aux autorités compétentes, accompagné de recommandations pour parfaire le système d’accès aux vote pour le lus grand nombre de citoyens. Voilà notre travail. Voilà notre mission.
Madaniya – Et quand un gouvernement restreint les accès à certains partis, voire en interdits d’autres. Comment pouvez-vous agir ou réagir ?
JEFF – Cette question est essentielle car, vue de notre fenêtre, elle peut montrer que dans certains états, l’on veut biaiser la démocratie et faire cautionner cette «entorse» par des observateurs internationaux. Mais la réponse doit être plus nuancée.
Tous les gouvernements, sans exceptions, à un moment ou à un autre, ont restreint les accès au système démocratique. Regardez ce qui se passe aux Etats-Unis d’Amérique qui ne cessent de brandir la bannière de la démocratie. Les petits partis n’ont aucune chance de pouvoir avoir accès à la course à la Maison Blanche. Mais laissons les Américains et leurs contradiction pour tenter de répondre à votre question par un constat et une autre question. Un constat, d’abord. La démocratie est le seul concept de gouvernance qui porte en son sein, tolère et doit favoriser tout le monde, y compris ses propres adversaire voire, ennemis, ceux qui veulent la remplacer par un autre régime. Alors la question : connaissez-vous beaucoup de situation où vous avez le devoir de porter autant d’attention à votre adversaire et favoriser non seulement son émergence mais en plus sa victoire ? L’instauration d’une démocratie se fait au jour le jour, étape par étape. Bien entendu il faut savoir écouter les critiques, en tenir compte quand elles sont raisonnables pour la gouvernance et constructives.
Mais quand la démocratie s’installe, qu’elle est encore dans l’âge de ses balbutiements elle doit aussi être protégée durant le temps où elle s’enracine dans l’esprit, la culture quotidienne des citoyens. Alors viendra le temps pour que l’opposition ne se fasse plus sur la démocratie en tant que régime mais sur la chose politique elle-même. C’est ce qui se passe aujourd’hui dans les pays européens qui sont tous de vieilles démocraties qui, au fils du temps, avec des hauts et des bas, une histoire chaotique pour certains, ont su apprendre à maîtriser les forces d’opposition à la démocratie. Même si aujourd’hui certains voudraient bien voir ce système réduit à néant. Alors doit-on condamner ceux qui entament cette marche en avant et protègent la démocratie coûte que coûte pour la maintenir en vie, la faire vivre ? Doit-on privilégier ceux qui sont les ennemis du système et veulent le voir disparaître pour le remplacer par d’autres régimes ? Voilà, en réalité, les termes exacts dans lequel ce dilemme doit se poser. Tant que les partis politiques d’un pays ne partagent pas l’idée de démocratie, ni qu’ils ne sont capables de gouverner dans ce système, la démocratie reste fragile et elle doit avoir le droit de se défendre. Cependant, elle a aussi le devoir d’éduquer les citoyens pour les éclairer sur cette fragilité et leur faire comprendre les enjeux qui sont attachés à leur engagement pour la démocratie.
Madaniya – Justement, comment se déroulent les élections législatives en Egypte ?
JEFF – Permettez-moi de rester encore discret quant à cette mission actuellement en cours. Nous sommes dans la seconde phase de ces élections et il faut attendre la fin du second tour pour pouvoir dresser un véritable tableau de cette élection.
Toutefois, l’Egypte a choisi d’organiser son scrutin législatif en deux phases, c’est à dire de permettre à 50% des gouvernorats de choisir leurs représentants lors de la première phase. Nous étions là et nous avons pu assister dans plusieurs dizaine de bureaux de votes au déroulé complet des opérations. De l’ouverture jusqu’au dépouillement. Bien entendu, nous nous sommes astreints à observer le processus électoral comme indiqué dans les textes égyptiens. Dans quelques cas nous avons notés des dispositions, des interprétations des textes, quelques errements mais tout cela doit être remis dans un contexte plus général. Les élections sont des affaires humaines et en matière humaine, il n’existe pas beaucoup de moment où l’on n’assiste pas à ce genre d’erreurs. L’important étant que ces erreurs ne se renouvellent pas, qu’elles puissent être corrigées et qu’elles restent marginales. Or, c’est semble-t-il le cas en Egypte. Et quoique puisse en dire une certaine presse, y compris la presse étrangère, les Egyptiens ont pu en toute liberté accéder aux urnes et exercer leurs devoirs de citoyens.
Bien entendu, on peut toujours avoir de regrets, après. Regretter le manque de mobilisation des électeurs, celui des jeunes en particulier. Mais là, nous dépassons le cadre imparti à notre mission et entamons un douloureux débat qui concerne de nombreux pays, y compris ici en Europe, et qui concerne tous les défenseurs de la démocratie. En parcourant la campagne égyptienne, dans le delta du Nil ou au sud du gouvernorat de Jizeh, j’ai vu des femmes et des hommes venir accomplir très sérieusement leur devoir, attendant quelque fois de longues, très longues minutes dehors, sous un soleil de plomb ou sous une pluie battante, le moment de voter. Tous étaient conscients de l’importance de leur geste et de sa portée. Ils étaient même heureux et fiers de nous montrer leur doigt imbibé d’encre indélébile, signe de l’accomplissement de leur devoir démocratique.
Dans les centres urbains, dans les grosses bourgades, nous avons vu des podiums dressés pour faire la fête au soir de la fin du vote… Ca, moi, je l’ai encore jamais vu en France… Alors, de cette première phase je préfère retenir ces images de liesse, de joie, de visages fiers d’avoir pu accomplir son devoir de citoyen plutôt que les quelques erreurs humaines brandies par quelques journalistes aigris ou les ennemis de la démocratie.
Madaniya – Pour conclure, que dire sur l’utilité de ces missions ?
JEFF – Quelle que soit l’organisation qui est mandatée pour mener une mission d’observation, OSCE, UE, UA, Ligue Arabe, COMESA ou une organisation issue de la société civile, toutes mesurent l’importance qu’elles ont dans l’accompagnement des peuples dans l’avènement de la démocratie.
Tout le monde se plie aux protocoles imaginés et instaurés par l’ONU et qui est la mise en application de la Charte des Nations Unies. Tous les observateurs rencontrés sur le terrain, restent dans un rôle impartial, neutre, n’interférant pas dans le processus qui se déroule devant eux. Oui, bien entendu, on rencontre aussi des observateurs qui ne pratiquent pas l’observation mais plutôt font du monitoring, c’est à dire qu’ils regardent le processus à travers le filtre de leurs propres textes… Ceux-là, ils disparaissent rapidement du champs des missions internationales. Il y a aussi, dans la catégorie des organisations de la société civile, des ONG qui n’adoptent pas une posture positive d’accompagnement et restent quasiment toujours sur la critique.
Ces organisations, même si elles font un peu de buzz, disparaissent aussi rapidement du champs de l’observation. Les responsables politiques et administratifs attendent aujourd’hui des conseils, des « best practices ».
Ils ne veulent pas être systématiquement cloués au pilori international. S’ils acceptent d’ouvrir les portes de leurs bureaux de vote, c’est pour recevoir une aide en retour, pas une volée de bois vert. Alors, oui, les missions d’observation ont cette double utilité : pour les responsables elles permettent d’améliorer le système d’accès aux élections et pour les citoyens elles apportent la garantie que les opérations électorales seront respectueuses des textes nationaux.
Et c’est bien là l’esprit voulu par les Nations Unies.
Illustration
- Des Egyptiennes après avoir voté, le 24 mai au Caire. CRÉDITS : AFP/MAHMUD HAMS