La diaspora malienne en France : Passerelle ou otage ?

La diaspora malienne en France : Passerelle ou otage ? 938 440 Salif Mandela Djiré
La configuration de la diaspora malienne en France

La plus grande communauté malienne en Europe vit en France. La lutte contre l’immigration clandestine est un des piliers de la politique française. Pour comprendre les enjeux pour le Mali, une description de la situation de la diaspora malienne en France s’impose.

L’écrasante majorité des travailleurs maliens en France (80%) sont des ouvriers qualifiés (bâtiments, voirie, mairie de Paris, RATP) qui opèrent annuellement un transfert bancaire vers le Mali de l’ordre de 300 millions d’euros (en augmentation constante, chiffres du ministère de la coopération, ne prenant pas en compte les transferts informels), un montant supérieur à l’aide publique française au Mali. Et la répartition des zones d’envoi en France même fait du Mali un cas unique : 90% des transferts proviennent de la région parisienne. La quasi-totalité des transferts et partant de l’assistance humanitaire se fait en dehors des circuits des ONG françaises.
C’est dire le poids dans l’économie du Mali que joue la diaspora malienne de France dont l’une des spécificités, contrairement aux habitudes des compatriotes restés au pays, est l’exigence de résultats.

Le chômage est endémique au Mali, l’esprit entrepreneuriat quasi inexistant, l’attrait de la fonction publique incompressible avec son double avantage, la sécurité de l’emploi et la régularité de la rémunération, quand bien même les salaires y sont très bas. La plupart des jeunes reste chez les parents jusqu’à l’âge de 35 ans et ne se distingue pas par un excès de dynamisme.

La situation est tout autre parmi les expatriés : Les migrants, dynamiques et durs au labeur, et par nature économes de leurs moyens, ont opté pour l’assistance directe au pays d’origine qui s’opère par des circuits très organisés comme les associations de développement ou les tontines.

Les transferts d’argent se font dans une large mesure sans l’intermédiaire des banques ou des agences comme Western Union par des organisations informelles beaucoup moins chères et plus rapides. La totalité de ces fonds ne sont pas émis uniquement depuis la France. Toutefois, la France représente 65% de l’ensemble des transferts de fonds à destination du Mali.
L’objectif des associations maliennes est d’œuvrer au mieux-être des populations, parfois aussi à l’insertion en France et à l’entraide entre ses membres. 70% des ressortissants des villages maliens seraient adhérents des associations de développement en France.

Pour une grande part, elles sont issues de la transformation des caisses de solidarité en groupement associatif régi sous le régime de la loi 1901 (grâce à la loi de 1981).
Créées dans la décennie 1960, les caisses de solidarité alimentées par des cotisations obligatoires, répondaient à la nécessité de prendre en charge notamment le rapatriement des corps des personnes décédées, le retour au pays des malades, et, de manière plus générale, les migrants en difficulté. Cette première forme d’organisation s’est tout d’abord édifiée sur une base familiale et ethnique puis, avec le développement de l’immigration, sur une base villageoise.

Les premières réalisations initiées au Mali par les caisses de solidarité, grâce aux cotisations des membres, ont été les mosquées, dans la décennie 1970. Les projets de consommation ou magasins coopératifs représentent un système original par lequel les émigrés payent en France les céréales que leurs familles retirent au magasin au pays. Il a pour but de concurrencer les prix forts pratiqués par les commerçants locaux, en particulier lors de la soudure. Il représente une alternative à l’envoi d’argent qui se poursuit en partie, parfois dépensé à des fins autres que celles initialement prévues.
Cinquante-cinq ans après l’indépendance de l’Afrique perdure en effet une structure de type colonial dans le domaine de la coopération para-étatique, notamment au sein des ONG en charge de l’Afrique, où le cloisonnement est manifeste, reflet d’une certaine suspicion réciproque résultant des dérives de certaines organisations, comme en témoigne le malheureux épisode de l’arche de Zoé, l’exfiltration d’enfants tchadiens prétendument orphelins du Darfour.
L’importance de la communauté des expatriés vivants en France pour l’économie malienne et les intérêts du Mali est irréfutable.

Le cœur du problème du point de vue de l’Europe en général, et de la France en particulier, réside dans le fait que l’immense majorité des Maliens résidant dans l’Hexagone passent pour ne pas être ne sont en règle vis-à-vis de la législation de l’immigration, des sans-papiers ou des clandestins, même si un grand nombre d’entre-eux vit et travaille en France depuis des décennies.
Le retour forcé de tous les sans-papiers maliens de France, identifiés facilement grâce aux fichiers biométriques, est une vision de cauchemar pour le Mali. L’immigration demeure une source de revenus trop importante pour les familles restées au pays. L’émigration massive des jeunes est perçue comme une solution à la crise, provoqué par la colonisation au sein de l’économie traditionnelle, devenue une économie d’auto-subsistance assistée.


L’émigration constitue une sorte de tribut afin que ce système puisse perdurer. Pour les jeunes elle est aussi l’occasion d’échapper aux travaux forcés exigés par la communauté villageoise et à la tutelle des aînés.

Pendant longtemps s’est ainsi maintenue une apparence d’équilibre. Mais l’afflux monétaire qu’entraîne l’émigration contribue en réalité à accroître la dépendance économique de la société vis-à-vis de l’extérieur. En effet, le recours systématique à l’émigration draine les forces productives de la société, sape à terme la production vivrière, obligeant à importer des denrées de consommation courante. Progressivement, il devient nécessaire d’envoyer de plus en plus de jeunes travaillé, hors du cadre familial, avec obligation de résultats pour les revenus

Le RAVEC sur le terrain : Les rencontres avec les Maliens dans les foyers, les salles de mairies et les domiciles

L’ancienne puissance colonisatrice se retrouve en bonne position en ce qui concerne l’accueil des migrants maliens. Toutefois, aucune étude sérieuse n’a été réalisée tant par les autorités consulaires que les pouvoirs publics en France, mais selon les estimations généralement admises l’île de France concentre 90% des Migrants maliens.

Les services consulaires maliens considéraient que 2/3 des ressortissants Maliens vivant en France seraient dans cette situation et que le nombre total de Maliens vivant en France tournerait autour de cinq cent mille (500.000). Pourtant, ces estimations n’ont aucune base réelle.

Ceci montre que les prévisions et sur le temps nécessaire et sur le financement des opérations d’enrôlement étaient complètement erronées depuis le début. Un budget de 15 milliards de Francs CFA, porté à 25 milliards, a été affecté au recensement et à l’inscription consulaire des Maliens, dans le cadre du projet RAVEC tant au Mali qu’à l’extérieur.

Lancé en 2007-2008, la campagne a vu l’inscription de 100.000 personnes enregistrées en France, dont un maximum de 2.000 en dehors de l’Île-de-France. Dans des villes de province comme Lyon, Grenoble, Rennes, Orléans, Saint-Étienne, Chambéry, Aix-les-Bains, Belley, Culoz, Troyes, Caen, Cannes, Le Havre et Limoges, l’effort de recensement s’est révélé insuffisant faute de moyens humains et matériels.

Le déploiement malien en France

La France compte près d’un millier de foyers de travailleurs maliens, dont 700 foyers à Paris et dans la région Île-de-France, avec des prolongements à Strasbourg, Marseille, Lille, Rennes, Grenoble, Limoges, Le Havre.

Ces foyers sont doublés de 184 associations d’entraides destinées à pourvoir aux besoins d’une communauté estimée officiellement à 60.000 familles, auxquels devraient s’ajouter les Maliens de nationalité française, soit un total officieux de 500.000 Maliens principalement regroupés autour de Montreuil, qui fait de cette cité de la banlieue parisienne la deuxième métropole malienne dans le monde.

L’essentiel pour les Maliens vivant dans les foyers reste la sur-occupation qui demeure un mode de vie à abattre pour tous les acteurs impliqués dans la gestion de ces structures d’accueil qui fut pourtant l’alternative mise en place par ceux-là même qui la combattent aujourd’hui.

  • La disparition progressive des foyers au bénéfice des résidences sociales inquiète à juste titre car la conception des chambres désormais individuelles n’offre plus cette capacité qui permet à un titulaire d’héberger ou de cohabiter avec un parent (il faut savoir que les chambres dans les foyers et résidences sont attribuées uniquement à ceux qui sont en règle au niveau de leurs papiers qui à leur tour hébergent le plus souvent de la famille sans papiers).
  • Les anciens foyers sont à ce jour dans un état lamentable qui n’offre aucune sécurité à ses occupants. Véritables dortoirs, ils sont depuis longtemps le lieu de prédilection de toutes sortes de maladies transmis par les rats, par les puces, cafards et des chats.
  • Dans le Sahara, des candidats à l’immigration affrontent les intempéries avant d’être interceptés par la police. Ils sont alors dépouillés de leur bien puis embarqués dans le premier avion vers une destination qui n’est pas forcement leur pays d’origine.
  • Le monde entier voit au quotidien des images insoutenables provenant des eaux tumultueuses et ravageuses des mers. C’est le corps des hommes et enfants qui échouent sur la berge au gré des marées. C’est des Africains en quête d’une vie meilleure souvent incertaine qui sont repêchés souvent à un doigt de la mort par les navires occidentaux

La mise en place des équipes du RAVEC a eu lieu le 14 juin 2010 en présence de représentants du ministère de l’administration territoriale et des collectivités locales, le ministère tutelle du RAVEC, et en présence de l’ambassadeur du Mali en France et le consul général qui fut désigné comme le responsable direct entre les équipes et le ministère à Bamako.

Maliens de France : Passerelles ou Otages ?

Otages ou passerelles ? Élément de chantage ou de dynamisation de la coopération ? L’immigration clandestine et la régulation du flux migratoire constituent une épée de Damoclès brandie périodiquement à l’encontre du Mali. Le financement du Ravec par l’Union européenne et les états occidentaux ne relève pas du hasard.

Ce recensement a établi une radioscopie de l’émigration malienne en France, son histoire, son déploiement, sa stratification sociale, sa spécialisation professionnelle, ses divisions politiques, le fonctionnement de son réseau de solidarité, le circuit de ses transferts, en un mot le monde parallèle à l’administration française.

Mais cette opération ne s’est pas limitée à cela. Sous couvert d’une mise en conformité des ressortissants du Mali avec les réglementations d’un état de droit moderne, elle a constitué un instrument efficace de lutte contre l’immigration clandestine, source de tension entre la France et le Mali, de canaliser les flux migratoires par le biais bureaucratique, de même que le pistage des réseaux clandestins de trafic et de lutte clandestine.

La compilation des données d’État civil de l’ensemble de la population malienne, opérée pour la première fois depuis l’indépendance du pays, il y a cinquante-quatre ans, a permis de se doter d’une base de données indispensable pour la lutte contre les épidémies, en même temps qu’une banque de données pour le repérage des transhumances urbaines, outil indispensable dans la guerre contre le terrorisme, à l’heure où le Mali est le théâtre d’une guérilla multiforme (Touareg, AQMI) dans la zone frontalière sahélienne.

RAVEC aura finalement permis, officiellement, une remise en ordre de l’État civil malien. Mais il privera désormais les autorités maliennes de tout argument dilatoire administratif dans le domaine du maintien de l’ordre, sur le plan interne, et, la restauration de l’ordre, sur le plan extérieur, particulièrement dans la région limitrophe du Sahel, au-delà des frontières.

Sous couvert de modernisation administrative et de rénovation des structures, l’Union européenne a financé, depuis 2002, 56 projets dans la domaine de contrôle des frontières. Des distributions de fonds facilités par le lobbying exercé par les entreprises d’armement à Bruxelles, qui ont placé leurs hommes à la tête de nombreux groupes de travail des nombreuses institutions européennes opérant dans ce domaine.

Ravec Mali a inauguré la série en Afrique, suivi en 2015 de la Guinée, puis en 2016 de la Côte d’Ivoire. Un maillage administratif en douceur de l’Afrique, sous couvert de modernité.

Tel est l’objectif non avoué des contributeurs de ce projet, -la France et l’Union Européenne- en ce que les Maliens de la diaspora, et d’un manière générale les ressortissants d’Afrique, de passerelles pourraient devenir des otages d’un nouveau rapport de forces entre le Mali, au delà l’Afrique, et son ancien colonisateur.

Le traité de défense France Mali acte ainsi la nouvelle servitude malienne à l’égard de la France, d’autant plus manifeste que les censeurs de cet arrangement ont été déclarés non grata en France et partant au sein de l’espace Schengen, de l’ancienne ministre de la Culture Aminata Dramane Traoré, au chef du parti Sadi, Omar Mariko.

Cette servitude est accentuée par la décision de Bamako, sous pression de Paris, de confier à une firme française le soin d’éditer les passeports maliens auparavant du ressort d’une firme canadienne. Avec quadruplement du prix et des délais : Quinze jours et 20.000 Fcfa du temps du Canada, quatre mois et 60.000 Fcfa, sous l’égide de la France.

Se superposant au traité de partenariat économique entre l’Union Européenne et la CEDEAO, parfait exemple d’un traité inégal entre deux partenaires au poids économiques sensiblement inégaux, la France au Mali c’est jackpot gagnant à tous les étages par strangulation de la respiration malienne… jusqu’à la prochaine grave crise.

Pour aller plus loin
Illustration

Guillaume Facon

Salif Mandela Djiré

Titulaire d'un doctorat en anthropologie de l'Université Paris VIII, sur le thème: "Mali sur l'échiquier politique Ouest Africaine des empires aux républiques" et d'un Master en relation internationale et stratégies à l'IRIS Enseignant-chercheur à l’Université Paris VIII, département d’Anthropologie - UFR Territoires Environnements Sociétés, sur le thème : "L'action humanitaire et ses limites: une anthropologie critique du développement."

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