Dernière mise à jour le 14 juin 2021
Ce papier est publié à l’occasion du 54 me anniversaire de la défaite arabe du 5 Juin 1967.
Extraits de l’ouvrage «Achille blessé» du journaliste Abdallah Al Sannawi, éditorialiste au journal «Ahram on Line» et contributeur au quotidien libanais «Al Akhbar». Auteur: Abdallah Al Sannawi. Adaptation en version française René Naba https://www.madaniya.info/
Note de la rédaction
En 1967, l’armée égyptienne était exsangue, épuisée par une expédition longue et coûteuse au Yémen en soutien aux Républicains en lutte contre les Monarchistes soutenus par le Royaume Wahhabite. Cette guerre par procuration menée par l’Arabie Saoudite contre l’Égypte s’est prolongée de Septembre 1962 à Décembre 1970. Elle s’est achevée par l’abolition de l’Imamat et la proclamation de la République au Yémen du Nord. Elle s’est prolongée par la fin du protectorat britannique sur Aden sous les coups de boutoirs du FLOSY (Front de Libération du Sud Yemen Occupé) dirigé par le nassérien Abdel Kawi Makkawi, avec le soutien du Mouvement Nationaliste Arabe dirigé par Georges Habache, futur chef du Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP) .
Ces deux faits d’armes qui sont à porter incontestablement au crédit du mouvement de libération du Monde Arabe du joug colonial, par Nasser, vont être neutralisés par la défaite de l’Égypte en Juin 1967. Cette «victoire décisive» d’Israël, selon la définition du stratège allemand Carl V Clausevitz, a entraîné un bouleversement radical de la géopolitique régionale.
L’onde de choc se répercutera sur l’ensemble du Monde arabe avec des répliques sismiques en Irak qui propulsera au pouvoir, en 1968, le parti Baas, et en Libye, où la monarchie Senoussi sera renversée, le 1 er septembre 1969, par un «groupe d’officiers libres» mené par le colonel Mouammar Kadhafi sur le modèle de leurs aînés nassérien, avec la nationalisation de la gigantesque base américaine de «Wheelus Airfield», (région de Tripoli) et de la base britannique d’Al Adem (région de Benghazi)
Auparavant, l’agression tripartite franco anglo israélienne de Suez, en 1956, avait décapité la branche aînée de la monarchie hachémité renversée, en Irak, le 14 juillet 1958, au son de la Marseillaise.
Dans la foulée de la défaite de juin 1967, Gamal Abdel Nasser, chef charismatique des arabes, l’artisan de la première nationalisation réussie du Tiers Monde, le Canal de Suez, va céder son primat aux pétromonarchies pro occidentales et, corrélativement, le mot d’ordre d’«Unité Arabe» s’éclipser au profit de celui de la «Solidarité Islamique».
Nasser décédera en septembre 1970, trois ans après cette défaite, imputable à quatre facteurs:
- La désinvolture du Haut Commandement égyptien envers les avertissements répétés de Nasser quant à la probabilité de l’imminence d’une attaque israélienne.
- L’état d’impréparation de l’armée.
- L’erreur d’appréciation de Nasser quant aux conséquences de sa double décision d’ordonner la fermeture du Golfe d’Akaba et le retrait des «casques bleus» de l’ONU, des lignes de démarcation israélo-egyptienne
- L’inconsistance du Maréchal Abdel Hakim Amer, ministre des armées, qui survolera le Sinaï, sans la moindre protection, quelques heures avant le déclenchement de l’attaque israélienne, en compagnie des commandants des formations combattantes, dégarnissant le front égyptien de tout commandement.
Ci joint le témoignage du Général Saadeddine Chazli, futur chef d’état major durant la guerre d’octobre 1973, sur l’absence de riposte égyptienne à l’attaque israélienne:
«Le 4 juin au soir, j’ai été chargé par le commandement du Front du Sinaï de me rendre le lendemain à l’aéroport Fayed pour présider une réunion de coordination des diverses formations. Le 5 juin à 06 du matin un hélicoptère me déposa sur les lieux de la réunion, où j’ai pu rencontrer 9 commandants de divisions du Nord, du centre et du Sud du Sinaï, ainsi que les commandants de l’artillerie et des blindés.
Le maréchal Abdel Hakim Amer avait tardé à nous rejoindre. Alors que nous étions dans son attente, nous entendîmes subitement deux fortes détonations. Vérification faite, nous apprîmes que tous les aéroports du Sinaï avaient été bombardés instantanément et simultanément et que le Maréchal Amer avait rebroussé chemin.
Le fait que l’avion du ministre de la défense se trouvait dans les airs a contraint le commandement égyptien à s’abstenir de toute riposte balistique contre l’aviation israélienne de crainte de prendre pour cible l’appareil du MaréchaL
Le récit du général Chazli sur ce lien pour le lecteur arabophone
Fin de la note de la rédaction
I – Le quatre principaux griefs à l’encontre de Nasser dans la guerre du 5-7 juin 1967
Charles de Gaulle a avisé Nasser, via l’ambassadeur d’Egypte à Paris, Abdel Moneim Najjar, que les services français sont en possession d’informations confirmées selon lesquelles l’attaque israélienne contre l’Egypte se produira le 5 juin 1967. Le président français demanda alors au président égyptien d’encaisser le premier coup avant de riposter afin que la France puisse apporter son soutien l’Egypte au prétexte que ce pays a été victime d’une agression israélienne.
D’autres alertes sont parvenues d’autres pays mettant en garde contre une action militaire imminente contre l’Egypte.
Le Haut Commandement militaire égyptien, curieusement, n’a pas tenu compte des mises en garde de Nasser, dénigrant ses avertissements: «Est il le plus vertueux des croyants serviteurs d’Allah pour deviner la date de la guerre»?
Une commission d’enquête militaire, présidée par le général Abdel Moneim Riad pour déterminer les causes et les responsabilités de la défaite, est parvenue à la conclusion suivante:
«Le général Abdel Moneim Riad, nouveau chef d’état major post défaite, a noté le fait que dans la nuit du 29 Mai 1967, Nasser a présidé au siège du QG des Forces Armées Egyptiennes, à minuit précisément, une réunion du Haut Commandement Militaire au cours de laquelle il a averti les chefs des différents corps d’armée que la probabilité d’une attaque israélienne était certaine à 80 pour cent.
Le 2 juin Nasser a réévalué à la hausse le degré de probabilité de l’attaque, l’estimant à 90 pour cent. Il a alors enjoint à l’armée d’être prête à encaisser le premier coup dans les deux jours suivants.
Le général Sedki Mahmoud, chef de l’aviation, proposa alors que l’Egypte procède à une attaque préventive, mais sa proposition a été rejetée en raison de l’état de préparation de l’aviation, d’une part, et, afin de ne pas donner prétexte aux Etats Unis de voler au secours d’Israël, d’autre part.
Le premier grief: l’ignorance de l’état d’impréparation de l’armée.
Nasser n’était pas averti du degré d’impréparation de son armée. En sa qualité de commandant en chef suprême des formes armées égyptiennes, il lui incombait de ne pas tolérer une telle dégradation de la situation, quelqu’en soit la raison. Il aurait dû trancher et sévir sans retard. Un tel laxisme est à mettre au passif de Nasser. Le premier grief à son encontre de cette crise
Le deuxième grief: La fermeture du Golfe d’Akaba
La fermeture du Golfe d’Akaba à la navigation israélienne a été le prétexte de l’agression israélienne. Dans la foulée de cette décision, les évènement se sont précipités: Concentration de troupes égyptiennes dans le Sinaï. Cette démonstration de force qui se voulait sans intention belliqueuse visait en fait à dissuader Israël de lancer une attaque contre la Syrie ou de menacer les frontières de ce pays qui constituait le front nord de l’état hébreu. Une telle erreur d’appréciation est à mettre au passif du président égyptien. Le 2me grief à son encontre de cette crise.
Si Nasser n’avait pas ordonné un mouvement de troupes vers le Sinaï, il aurait été accusé de lâcher la Syrie, de l’offrir en proie à la machine de guerre israélienne. Il a envisagé un acte de dissuasion contre Israël, mais l’état hébreu s’en est servi comme piège.
L’Egypte a demandé aux Nations Unies le retrait des «Casques bleus» des lignes du front dans les secteurs de Taba (Sinaï) et Rafah (Gaza). Mais Ralph Bunch, à l’époque secrétaire général adjoint des Nations Unies, de nationalité américaine, a fait valoir qu’il ne saurait y avoir de retrait partiel des «Casques Bleus» . Le piège se refermait alors totalement.
Le 3eme grief: une fermeture en rapport avec «les impératifs de la guerre»
Nasser ordonna alors la fermeture totale du Golfe d’Akaba faisant valoir «les impératifs de la guerre». Le président égyptien n’avait pas pris l’exacte mesure des conséquences de cette décision. Une telle erreur de jugement est à mettre à son passif, La 3eme depuis le début de la crise.
Le 4eme grief: La désinvolture du Haut Commandement de l’armée à l’égard des avertissements de Nasser
Pire, le Haut Commandement Egyptien n’a pas pris au sérieux les avertissements du président égyptien et à ce titre, commandant suprême des forces armées égyptiennes. La désinvolture du Haut commandement a été le 4eme grief à mettre au passif de Nasser
2 – Le discours de démission de Nasser, le meilleur discours public jamais rédigé par Heykal.
La décision de fermeture du Golfe d’Akaba signifie la guerer, déduira Mohamad Hassanein Heykal, à l’époque confident de Nasser et directeur de l’influent quotidien «Al Ahram» dans son ouvrage «Al Infijar- L’explosion».
Les forces israéliennes ont alors fait mouvement du Nord au Sud vers la zone de déploiement de l’armée égyptienne, désormais prise dans un étau. L’agression était devenue inéluctable.
A – Nasser
-Nasser pensait à tort que l’armée égyptienne était en mesure de mener une guerre de longue haleine qu’Israël, en dépit de sa supériorité, n’en saurait supporter le coût. Mais l’armée égyptienne n’était pas dans un état de préparation qui lui permette de mener une guerre d’usure.
(NDLR, Nasser aura cependant recourt à la guerre d’usure le long du Canal de Suez, dès 1969, soit dix huit mois après la défaite, en tandem avec le nouveau chef d’état major égyptien, le Général Abdel Moneim Riad, après la réorganisation drastique de l’armée égyptienne, son équipement d’un nouvel armement soviétique et son encadrement par de conseillers de l’Armée Rouge.
Nasser pensait à tort qu’il était possible de mener la guerre de 1967 sur le modèle de la guerre de Suez, en 1956 (l’agression tripartite anglo franco israélienne). Or le contexte international n’était plus du tout le même. En onze ans, le contexte avait radicalement changé.
Le 5 juin, à 0700 du matin, alors que le soleil aveuglait de sa lumière le front égyptien, l’aviation israélienne s’est livrée à une série de raids intensifs dans le Sinaï et l’intérieur du territoire égyptien, neutralisant complètement l’aviation égyptienne. La totalité de l’espace aérien égyptien se trouvait sous le contrôle de l’aviation israélienne. Les résultats de la guerre s’étaient clairement dégagés dès 11H du matin, soit trois heures après les raids intensifs israéliens.
B- Abdel Hakim Amer: la surprenante ballade aérienne du ministre des armées, au dessus du Sinaï quelques heures avant le déclenchement de l’attaque israélienne.
Le Haut Commandement égyptien a perdu son sang froid, ordonnant notamment le retrait des troupes du Sinaï, dès le lendemain, soit le 6 juin, en une nuit, sans la moindre couverture aérienne, sans avoir informé Nasser. Puis se ravisant, il ordonnait le redéploiement du 4eme corps d’armée blindé à l’intérieur du Sinaï. Un mouvement opéré sous le pilonnage continuel de l’aviation israélienne. Le 5 juin, peu avant le déclenchement de l’attaque israélienne, le Maréchal Abdel Hakim Amer, ministre des armées, a pris l’avion en compagnie de la totalité de la hiérarchie militaire, en avion, pour un survol du Sinaï, sans le moindre dispositif de protection, en dépit de l’avertissement parvenu à Nasser sur l’imminence de l’offensive israélienne.
De sorte que les commandants des diverses unités combattantes n’étaient pas à leur poste au moment décisif.
Ce fait avait plongé dans la perplexité le Général Saadedine Al Chazli, futur chef d’Etat Major égyptien lors de la guerre d’Octobre 1973 et la destruction de la Ligne Bar Lev.
C- La réhabilitation populaire de Nasser
Nasser estimait qu’un régime qui se révèle impuissant à défendre l’intégrité du territoire national ne mérite pas de survivre. Au moment de la défaite, sa légitimité a volé en éclats et son régime ébranlé.
Toutefois, les manifestations populaires de grande ampleur qui se sont déroulées en faveur de son maintien au pouvoir, les 9 et 10 juin, ont restauré sa légitimité, assortie toutefois de la mission «d’effacer les traces de l’agression».
Jamais dans l’histoire, un pays vaincu et humilié, son orgueil national blessé, n’a fait le pari de confier à nouveau son destin à son chef vaincu et de placer à nouveau sa confiance en lui pour récupérer les territoires occupés. Nasser en était lui même surpris qu’il s’imaginait finir sur une potence, lynché sur la place publique.
Les manifestations du 9 et 10 juin 1967 ont rassemblé des millions de personnes, réclamant son maintien au pouvoir afin de mener la résistance du peuple égyptien. Elles seront d’une ampleur égale à celle qui se déroulera trois ans plus lors des obsèques du président égyptien.
En son for pour protester contre les peines légères infligées aux chefs de l’aviation pourtant responsables de sérieux manquements dans l’accomplissement de leur mission. Nasser avait conscience qu’il avait profondément déçu son peuple. Il était pleinement disposé à assumer ses responsabilités et non à se défausser sur une tierce partie.
Mohamad Hassaneine Heykal, son confident et directeur du quotidien égyptien Al Ahram», était la seule personne présente à ses côtés ce jour-là lors de la rédaction du discours de démission du président égyptien.
Heykal plaida auprès de Nasser la nécessité de ne pas faire usage du terme défaite (Hazima), en ce que son usage impliquait une reconnaissance de facto des nouvelles réalités sur le terrain et partant des conséquences politiques de cette reconnaissance.
De surcroît, faisait valoir Heykal, l’usage d’un tel terme affecterait le moral des troupes encore déployées sur le front du Sinai, briserait l’élan visant à déclencher une guerre d’usure et plongerait dans une profonde démoralisation les peuples arabes.
Le patriotisme égyptien a été le moteur des manifestations monstres des 9 et 10 juin, témoignant de la volonté du peuple égyptien de résister à l’agression israélienne. Mais la délégation de pouvoir faite par le peuple à Nasser ne constituait pas pour autant un «chèque en blanc». Des manifestations étudiantes ont éclaté au Caire, en 1969, pour protester contre les peines légères infligées aux chefs de l’aviation, coupables pourtant de graves manquements aux obligations de leurs charges.
Nasser a procédé à la réorganisation du Haut Commandement de l’armée plaçant à sa tête le général d’armée, Mahmoud Fawzi, secondé par le général Abdel Moneim Riad, au poste de chef d’état major.
Le président égyptien n’était pas du tout disposé à témoigner de la moindre indulgence à l’égard des responsables de la défaite.
3- Le Maréchal Abdel Hakim Amer, tué et non suicidé, selon sa famille.
Le Maréchal Abdel Hakim Amer, ministre des Armées, le plus proche compagnon de Nasser, était sous pression et tenta à diverses reprises de se suicider.
La première tentative a même eu lien en présence des nouveaux chefs de l’armée, les généraux Mahmoud Fawzi et Abdel Moneim Riad, en ce que l’annonce de leur nomination a retenti comme sa disgrâce.
Mohamad Abel Salem, chef du parquet égyptien, notera dans son premier rapport publié le 16 septembre 1967 la présence de produits toxiques à effet rapide. Il précisera qu’une petite quantité de ce produit, de l’ordre de quelques milligrammes, suffisait à donner la mort.
La famille du Maréchal a contesté cette version, se fondant sur d’autres témoignages. Elle a dégagé la responsabilité du Maréchal de la défaite du 5 juin 1967, de même que de la rupture de l’Union syro-égyptienne et de la guerre du Yémen». Le Maréchal n’était qu’un exécutant», soutiendra-t-elle.
Berlinti Abdel Hamid, artiste égyptienne, 2me épouse et veuve du Maréchal a tenté à diverses reprises de rencontrer l’auteur de ce récit, le journaliste Abdallah As Sannawi. Berlinti Abdel Hamid n’a jamais accédé à la position officielle à laquelle elle aspirait: «l’épouse du 2me Homme Fort du régime égyptien» ou mieux «l’épouse de l’Homme fort Bis» de l’Egypte.
Berlinti Abdel Hamid dédicacera son ouvrage relatant le récit de sa vie, intitulé «Le chemin de mon destin… à Amer», paru en 2002, au journaliste Abdallah Al Sannawi, en ces termes: «Au Maître. Un égyptien authentique; fidèle à lui même et aux autres; Avec toute ma considération et mon respect, je dédie mon ouvrage avec l’espoir d’avoir mérité la confiance du du grand peuple égyptien».
Nous nous n’étions jamais rencontrés auparavant, mais la veuve du Maréchal a tenté à 4 ou 5 reprises de me joindre me demandant d’écouter sa version des faits et de solliciter mon avis sur cette affaire.
Le livre était rempli d’amertume. Il se fondait sur le témoignage des principaux collaborateurs de son mari, co-responsables de la défaite.
L’ouvrage se réduisait, en fait, à un longue plaidoirie niant toute responsabilité de son époux dans la défaite. Berlinti n’était pas en position de porter un jugement sur l’Histoire.
A la mort de son époux, elle a été soumise à un interrogatoire de la part de la commission d’enquête. Si ses motivations pour défendre la mémoire de son époux sont légitimes, elles ne sauraient pour autant occulter la réalité des faits.
4 – La rencontre fortuite entre Issam Eddine Hassouna, Ministre de la justice et le frère du Maréchal Amer.
Ancien ministre de la justice, M. Hassouna relate ainsi dans ses mémoires sa rencontre fortuite avec Hassan Amer, le frère du maréchal:
«Après le décès de Nasser, alors que le pouvoir de son successeur Anouar El Sadate se consolidait au début de la décennie, j’ai rencontré par hasard, Hassan Amer, ingénieur et frère du Maréchal, alors que je me livrais à mon jogging quotidien sur la Corniche du Nil au Caire; un homme que je n’avais plus revu depuis le décès de son frère.
Hassan Amer: «La famille Amer n’oubliera jamais la position que vous avez adoptée en sa faveur. Le Maréchal ne s’est pas suicidé. Il a été tué. Peux-t-on obtenir la réouverture de l’enquête?
M.Hassouna: «Il existe des témoignages. Des témoins ont fait état d’un suicide et leurs témoignages ont été confirmés par les médecins légistes. As-tu des témoins disposés à se rétracter?
Hassan Amer: Non pas de témoins.
M. Hassouna: As tu sondé les intentions du nouveau pouvoir?
Hassan Amer: Oui j’ai consulté Sadate qui m’a encouragé à demander la réouverture de l’enquête sur les circonstances du décès du Maréchal.
Le ministre de la justice s’informe es-qualité alors auprès du chef des services de renseignements, Salah Nasr, sur les pratiques en vigueur dans ses services, notamment l’usage du poison et des femmes… etc.
Salah Nasr: Les services égyptiens ont bel et bien importé de tels poisons à effet rapide et puissant du type «EKONIT».
Hassouna: Pourquoi avoir importé cette forme sophistiquée de poisons?
Salah Nasr: Nous avons acquis ce produit pour l’usage exclusif de hauts responsables égyptiens désireux de se donner la mort; une acquisition faite après la défaite. Le poison a un effet instantané.
Hassouna: As tu informé Nasser de la présence de ce poison au sein des services égyptiens?
Salah Nasr: Oui, il en a été informé avant le 5 juin 196, Mais le président s’est emporté et me l’a reproché vivement. «Je ne suis pas homme à me suicider», lui lança-t-il.
Toutefois, poursuivit Salah Nasr, je sais pertinemment qu’Abdel Hakim Amer s’est procuré des comprimés de ce genre, les fixant par un sparadrap (bande autocollante) entre ses cuisses. La mort s’est produite instantanément.
Un des deux responsables de l’enquête, Hilmi Said, (justice), a précisé que les dépositions des témoins ont été enregistrés et remis au Parquet.
Nasser, profondément blessé, exigeait que la vérité soit établie. Mais alors pourquoi les SR égyptiens avaient-t-il procédé à l’enrôlement de femmes dans des actions d’espionnage et de repérage, parmi lesquelles des célébrités du monde du spectacle.
Quarante quatre (44 ) d’entre elles ont fait l’objet d’une enquête ainsi que 15 personnes étrangères au SR et 14 membres des SR.
L’enquête a établi que 3 cadres des SR et 3 autres personnes étrangères au service étaient impliquées dans des relations avec la gente féminine dans l’exercice de leurs fonctions.
Les SR avaient donné aux opérations impliquant la présence de femmes le nom de code suivant «opération d’emprise» ou «opération de maîtrise» (Saytara) .
5 – Zakaria Mohieddine: Pourquoi Nasser a si tardé avant de trancher son différend avec Abdel Hakim Amer
Des décennies se sont écoulées depuis le décès de Nasser et d’Abdel Hakim Amer quand j’ai eu la surprise de rencontrer Zakaria Mohieddine, au domicile de ce personnage-clé du régime nassérien, situé Rue de la Révolution dans le secteur dit de la Cité des Ingénieurs -(Hay Al Mouhandissine) au Caire.
«Sais-tu pourquoi Nasser, qui avait une claire perception de la situation, n’a pas tranché dans le vif son différend avec le Maréchal»? me demanda celui qui fut vice président de la République égyptienne.
Ce dialogue s’est produit en 2004 en présence d’un ténor du barreau égyptien Omar Al Chal, et du fils aîné du dignitaire égyptien Mohamad Zakaria Mohieddine, à l’époque membre de l’Assemblée du peuple égyptien.
Abdallal Al Sannawi: Monsieur le vice président, vous étiez le 3me personnage de l’état par ordre d’importance de par votre position au sein du Conseil de la Révolution -le groupe des Officiers Libres, tombeur de la monarchie, et pressenti un moment pour succéder à Nasser. Vous avez eu diverses occasions de vous entretenir de ce sujet avec Nasser en public et en privé. Au crépuscule de sa vie, Zakaria Mohieddine voulait visiblement s’assurer de la bonne marche des affaires de son pays.
Le point qui a soulevé le plus d’interrogation sur le cas du Maréchal est l’usage des femmes dans les opérations des SR égyptiens, parmi lesquelles des célébrités égyptiennes. Tel était d’ailleurs le cas du du Maréchal Amer dont la 2eme épouse n’était autre que l’artiste Berlinti Abdel Hamid.
6 – Le coup d’état silencieux du Maréchal Amer contre Nasser, en 1962.
«Les relations personnelles entre Nasser et Amer étaient uniques, solides, incompréhensibles à un observateur étranger.
Ce coup d’état silencieux mené par le Haut Commandement de l’armée, en 1962, a abouti à la réduction du pouvoir du président Nasser dans le domaine militaire, notamment dans les nominations aux postes élevés du commandement.
Il constituait en fait une réplique du Maréchal à la volonté de Nasser de dessaisir le ministre des armées du pouvoir de nomination des hauts gradés au sein de la hiérarchie militaire.
Ce pouvoir de nomination avait été transféré au Conseil Présidentiel, une sorte de présidence collégiale, qui avait retenu comme critère de promotion la compétence et non le copinage ou le réseau relationnel.
Le Maréchal avait alors protesté à voix si haute contre cette décision que Nasser a dû quitter la salle en colère, confiant la présidence du débat à Abdel Latif Al Baghdadi. Surenchérissant, Abdel Haklim Amer a mis sa démission dans la balance.
Avisée de la tension entre les deux plus importants personnages du régime, la hiérarchie militaire a interprété ce différend comme une volonté du président de réduire le pouvoir du Commandant en chef, et, usant de la fibre corporatiste, a posé la question de l’allégeance de l’armée. Au Président? ou au Maréchal?.
Posé en ces termes, la question de l’allégeance équivalait à un coup d’état implicite. Le dilemme pouvait déboucher sur un conflit sanglant entre l’armée et le peuple, fidèle au président.
Le bain de sang a été évité. Ce fut là une erreur tragique de Nasser qui aurait pu trancher dans le vif ce différend sans trop de dommages.