Le traumatisme psychiatrique algérien à Marseille

Le traumatisme psychiatrique algérien à Marseille 938 440 René Naba

«A force de nous entre-tuer, nous finirons un jour par ne parler qu’aux morts». Propos d’Ammy Simane, dont le portrait orne la couverture de l’ouvrage de Kamar Idir sur le traumatisme psychiatrique algérien de Marseille.

Ce papier est publié à l’occasion du 56me anniversaire des accords d’Evian, le 18 mars 1962, qui mirent fin à sept ans de guerre coloniale française en Algérie et débouchèrent sur l’indépendance de ce pays, après 130 ans de colonisation. Retour sur un aspect méconnu de ce drame.

1 – 80 % des patients des établissements psychiatriques de Marseille sont des Algériens

Un chiffre résume à lui seul le traumatisme psychiatrique des Algériens de Marseille et dispense de tout commentaire : Quatre-vingt pour cent (80 %) des patients qui fréquentent les établissements psychiatriques de la cité phocéenne sont des Algériens, conséquence des convulsions de l’histoire, de la conquête coloniale, des troubles post indépendance, de l’acculturation, de la de-personnalisation, des remugles de la vie, de la fragilité humaine et de la loi d’airain du capitalisme sauvage.

En dix-sept portraits, Kamar Idir, auteur de l’ouvrage «D’une vie à l’autre: Des vies fragiles» (Édition La FRACHI) (1), nous offre un saisissant panorama de la misère de ces «damnés de l’exil», «venus s’échouer sur les trottoirs, les dortoirs ou les mouroirs de la cité phocéenne; des hommes qui n’ont comme foyer que la rue, le refuge pour sans-abris, le squat, ou au mieux l’hôtel miteux», pour reprendre l’expression de Fathi Bouaroua, Directeur régional PACA de la Fondation Abbé Pierre, co-éditeur de l’ouvrage.

De l’enfumage des grottes au moment de la conquête coloniale, au massacre de 40.000 Algériens à Sétif, cent ans après, le 8 Mai 1945, le jour de la victoire alliée de la 2me guerre Mondiale; Des «chairs à canon», à «faire suer le burnous», de la déportation en Nouvelle Calédonie, aux déportations durant la guerre d’Algérie de l’ordre de deux millions de personnes (2) aux ratonnades et à la torture, rares sont les Algériens sortis indemnes de ce processus centenaire d’acculturation et de dépersonnalisation.

Touche supplémentaire à ce sombre tableau: la discrimination ethnico religieuse du fait du Décret Crémieux qui accorda la citoyenneté française aux indigènes juifs d’Algérie et le refusa aux autochtones musulmans, de même que le terrorisme de l’OAS en guise de bouquet final à l’Indépendance qui explique indirectement le fort exode des Français d’Algérie.

Le terrorisme de l’Organisation de l’Armée Secrète, commandée alors par le Général Raoul Salan, ancien commandant en chef en Algérie, a provoqué la mort de plus de 2.200 morts, civils ou militaires. Les « nuits bleues », les opérations à explosion multiples aux quatre coins de d’Alger, ont atteint leur paroxysme en janvier et février 1962, visant en premier lieu des personnalités ou des journaux communistes.

En Algérie, à partir de mai 1961, c’est parfois jusqu’à 350 explosions mensuelles qui secouaient la capitale algérienne. L’assassinat le 15 mars 1962, quelques jours avant le cessez-le-feu, de six dirigeants de centres sociaux éducatifs, restera un des exemples de ce terrorisme aveugle, dont l’action était approuvée par la majorité de la population européenne d’Algérie.

Un comportement qui ira grossir le flot des rapatriés vers le sud de la France au point de constituer un fort «lobby pieds noirs», unique pays au Monde parmi les anciennes puissances coloniales européennes à disposer d’un groupe de pression d’anciens colons, le terreau de l’extrême droite française.

L’important taux psychiatrique algérien – quadruple du taux des patients des autres nationalités, particulièrement des patients originaires du Maghreb – s’explique aisément par la durée de la colonisation française de l’Algérie (130 ans) et par la dureté de cette colonisation avec le code de l’indigénat doublée d’une guerre de Libération de six ans; avec en superposition l’ostracisme soft qui frappe la communauté algérienne de Marseille, -de l’ordre de 250.000, soit le quart de la population de la métropole phocéenne-, mais dont la présence massive demeure néanmoins invisible, en dépit d’un important lot d’universitaires, d’entrepreneurs, d’artistes et d’acteurs de la société civile.

Se superposant à leur surexploitation, en un sort comparable aux Chibanis, -ces vieux travailleurs immigrés sous-payés, sans protection sociale, sans abri-, cette perte de repères a été fatale à bon nombre d’émigrés algériens de France. Un phénomène amplifiée par leur précarité et leur exclusion sociale pour aboutir finalement à leur déstructuration et leur aliénation.
Peu de gens de par le monde auront vécu pareilles épreuves dans la sérénité et la bonhomie. Rares sauront «raison garder» de ce parcours chaotique rempli de bruits de fureurs.
Facteur aggravant, la précarité de la condition psychiatrique à Marseille. Parent pauvre de la santé en France, cette spécialité paie depuis des années un lourd tribut aux réductions des dépenses de santé.

«Tout simplement parce que la psychiatrie est le secteur où les économies sont le plus faciles à réaliser », analyse le Pr Christophe Lançon, chef du pôle psychiatrie Sud à Marseille, qui pointe, par ailleurs, l’absence de choix politique.
Car si, depuis la décennie soixante, pour rompre avec l’enfermement et la psychiatrie « asilaire », les alternatives à l’hospitalisation doivent être encouragées, les moyens manquent. Il faut souvent plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous en accueil de jour.

Curieux rapport que celui qui lie Marseille à l’immigration algérienne fonctionnant selon le couple attraction-répulsion, accréditant par moments l’idée de Marseille comme étant la 49 me Wilayas de l’Algérie.
Pour s’en convaincre, il suffit de recenser le nombre de postulants à des mandats politiques. Hormis Samia Hallali, sénatrice PS de Marseille, tous les compétiteurs au suffrage universel dans ce département assuraient jusqu’aux élections législatives de 2017 un rôle de suppléance, dragueurs de voix de l’électorat maghrébin dans une fonction supplétive, lointaine réminiscence des supplétifs harkis de l’armée française en Algérie.
Non une fonction décisive, une fonction décisionnaire, mais une fonction subalterne, figurative. Comme si un plafond de verre frappait d’ailleurs tous les postulants à des fonctions électives originaires de l’émigration bariolée (Arabes, Africains, Antillais), malgré la vitalité et la créativité de la population basanée.

2 – Les victimes du colonialisme traitées par des praticiens néo colonialistes.

Dans le cas de la psychiatrie, fait aggravant, la grande majorité des cliniciens des établissements psychiatriques de Marseille étaient, au départ, des praticiens originaires de l’Algérie Française, des « pieds noirs » transplantés à Marseille du fait de l’exode post indépendance algérienne, voués à la thérapie des Algériens.
Bon nombre d’entre eux opéraient déjà à Blida, la plus importante clinique psychiatrique d’Algérie, immortalisée par le psychiatre martiniquais Frantz Fanon, compagnon de route de la Révolution algérienne et auteur du mémorable ouvrage « Les Damnés de la Terre ».
Une situation surréaliste qui conduira un observateur avisé à relever cette incongruité par cette formule désabusée selon laquelle «les victimes du colonialisme traitées par des praticiens néo colonialistes».

Les cliniciens ont mis d’ailleurs à profit cet afflux pour approfondir leur connaissance de la traumatologie mentale au point que l’expertise thérapeutique acquise en ce domaine a servi de produit d’appel à de nombreux patients du Maghreb qui n’ont pas hésité à braver la mer pour tenter d’héberger leurs souffrances ou plus simplement de soulager leurs tourments réels ou supposés.
Un motif de fierté pour les nostalgiques de l’Empire français, un sujet de désolation pour de nombreux algériens contraints de confier leur psychisme à leurs anciens colonisateurs. Une perversion absolue.

3- «Des mots pour guérir les maux» ou le lent cheminement de l’exil à la psychiatrie

L’ouvrage se présente comme une description du lent cheminement qui conduit de l’exil à la psychiatrie. En 17 tableaux et autant de témoignages sur un total d’une centaine, l’auteur se propose de «guérir les maux par les mots», articulant son œuvre sur trois périodes charnières de l’histoire de l’Algérie : La guerre d’Indépendance (1954-1962), la décennie noire (1989-2000), l’époque contemporaine.
Le signataire de cette recension a retenu trois cas emblématiques de cette dérive. Le reliquat des témoignages figurera dans le documentaire qui complétera la sortie du livre, à l’automne 2017.

A – Ammy Slimane (Oncle Slimane).

Membre du groupe du Général Bellounis (3), partisan vigoureux de Messali Hadj, le pionnier de la revendication indépendantiste algérienne, hostile à la fois au FNL (Front de Libération Nationale) et à l’Armée française, Ammy Slimane refusera à l’indépendance tant la nationalité française, « la nationalité du colonisateur », que la nationalité algérienne, « la nationalité de l’État FLN ».
Apatride, il rompra les amarres avec son pays natal et échouera à Marseille, porte d’entrée de l’Europe mais aussi, pour beaucoup, lieu d’échouage des épaves de la vie. D’errance en déviance, cet homme pieux mais psycho rigide et intraitable, sans ressources, se retrouvera, en 2010, à l’UHE de Marseille (Unité d’hébergement en urgence), une antenne chargée d’héberger les personnes en grande détresse. Le gîte assuré de 18H00 au lendemain 08H00. Dans la journée, Ammy Slimane bivouaque dans le périmètre ensoleillé du Vieux Port et du Mucem.
Une aubaine les jours ensoleillés ; une malédiction les jours de grand mistral. Désormais octogénaire, l’homme n’a plus comme compagnon unique, que ses souvenirs qu’il égrène ad vitam et le soliloque éternel. A coups de drogues dures et d’alcools forts, fortement consommés et absorbés en quarante ans de vie nomade dans la métropole phocéenne,

B- Ammy Ahmad

Ancien combattant de la zone d’Oujda, opérant sous le commandement d’Abdel Aziz Bouteflika, l’actuel président algérien, à l’époque commandant si Abdel Kader, Ammy Ahmad rompra, lui aussi, les amarres à la suite d’un différend avec sa hiérarchie. Il sera affecté à un poste diplomatique dans le Nord de la France avant de se retrouver sur les quais du Vieux Port de Marseille et les rigueurs de la vie de rue.

C- H’Mida.

Un «grand alcoolisé», selon le jargon médical, qui cherchera à noyer dans l’alcool et l’oubli et les blessures de son âme et de son corps.
A journées faites, à grandes rasades d’alcool, entrecoupées de bouffées velouteuses d’herbes de tous horizons, cet ancien cadre d’une entreprise algérienne habitué des cycles de formation professionnelle en France se retrouvera en suivi médicalisé à Marseille, bénéficiaire du Cotorep, l’allocation aux adultes handicapés, avec obligation de soins hebdomadaires. D’un montant de 810, 89 euros par mois, l’allocation n’est pas soumise à l’impôt sur le revenu. Un viatique qui lui permet de tenir entre deux consultations psychiatriques et de trouver clémente la loi de la jungle dictée dans les ruelles de Marseille. A la Merci des grands caïds de la drogue.

4 – Kamar Idir

A Marseille depuis 1993, où il a atterri propulsé par la violence de la «décennie noire» algérienne, en fonction depuis cette date à Radio Galère, dont il a fait un poste d’observation privilégié du malaise algérien, Kamar Idir, photographe par ailleurs animateur radio, est un homme de terrain et d’écoute.
Pour la réalisation de son 4 me ouvrage «D’une rive à l’autre : Des vies fragiles», l’auteur a passé un an avec «Les entendeurs de voix», en compagnie d’un psychiatre Thomas Bossetti. Les séances se sont déroulées tous les mercredis de 14 à 16 heures où l’animateur initie les «patients psychiatriques au Slam, avec passage à la radio une fos par mois, le dernier jeudi. Les vendredis, il anime un atelier avec les «femmes alcoolisés et toxicomanes», qu’il veille à responsabiliser en les initiant à divers métiers.
Jeudi, il anime l’émission «Harragas» sur les candidats à l’exil, sur Radio Galère; Un programme au sein duquel le signataire de ce texte anime une revue de presse de trente minutes intitulée «Revue de presse Halal sur des sujets Haram», consacrée à traiter les angles morts de l’actualité internationale.
Récidiviste, Kamar Idir est l’auteur de deux ouvrages édités par ART Tribales et réalisés à quatre mains: Kamar Idir, pour la photo, et Dominique Carpentier, pour le texte :
«Présence invisible : Une histoire de l’émigration algérienne à Marseille dans la période post-coloniale».
-«Brûlez moi, comme ça je peux chanter» Fantasmes et réalités autour d’une immigration comme les autres» (un livre anthologie sur les Roms).
«Les dames de l’exil», éditions la Franchi.

Pour aller plus loin sur ce sujet

5- Négation des principes fondateurs de la République française, le colonialisme est un crime contre l’humanité.

Les faits affligeants précités ne sauraient occulter le débat. Loin d’être un exercice de flagellation, le propos ne relève pas de l’appétence polémique, mais répond à un devoir de vérité historique.
Osons l’affirmation: La colonisation a constitué un cas parfait de «Crime contre l’humanité», particulièrement la colonisation française en Afrique, plus spécialement la colonisation française en Algérie, dont les ravages se font sentir encore de nos jours par les effets corrosifs à long terme du Code de l’Indigénat et le phénomène d’acculturation qu’il a généré sur la population algérienne.
L’exercice ne relève ni de la démagogie, ni d’un populisme de bon aloi, de bonne guerre il est vrai, dans ce genre de démonstration. Il vise à apporter une contribution à la clarification sémantique et psychologique du débat post-colonial par le pistage des non-dits de la conscience nationale à travers un voyage dans les méandres de l’imaginaire français. Ni populisme, ni démagogie, ni dénigrement non plus.
Mais l’application de l’analyse de contenu à de constats qui bien que lapidaires ne sont nullement sommaires, ni rudimentaires. Une thérapie par électrochocs en somme. Un voyage révélateur des présupposés d’un peuple, des ressorts psychologiques d’une nation et de la complexion mentale de ses dirigeants.
– Le triptyque républicain (Liberté, Égalité, Fraternité), le mythe fondateur de l’exception française à l’épreuve de la colonisation.

A) – La liberté :

La Colonisation est la négation de la Liberté. La Colonisation n’est pas, loin s’en faut, « la mise en valeur des richesses d’un pays transformé en colonie » selon la plus récente définition du dictionnaire «Le Petit Robert» Édition -2007
La liberté et La colonisation sont proprement antinomiques. Car la colonisation est l’exploitation d’un pays, la spoliation de ses richesses, l’asservissement de sa population au bénéfice d’une Métropole dont elle est, en fait, un marché captif, le réservoir de ses matières premières et le déversoir de son surplus démographique, de sa main d’œuvre et de sa surpopulation, le volant régulateur de son chômage.

Contraire aux idéaux de Liberté, d’Égalité et de Fraternité, -les principes fondateurs de la Révolution Française-, la colonisation est le fossoyeur de l’idéal républicain. Elle l’aura été quand bien même d’illustres figures françaises, telles Léon Blum, la conscience morale du socialisme, auront voulu – déjà- en célébrer les bienfaits comme un devoir de faire accéder à la civilisation les peuples primitifs. La célèbre « charge d’aînesse » de la France à l’égard des peuples qu’elle avait décrété « mineurs ».

Par transposition au débat contemporain, la rhétorique de Léon Blum est comparable à celle de l’ancienne conscience de la nouvelle gauche française, le philosophe André Glucksman, présentant l’invasion américaine de l’Irak en 2003 comme une contribution occidentale à l’instauration de la démocratie en terre arabe et non comme la mainmise américaine sur les gisements pétroliers de ce pays. Une posture reprise à son compte par son fils et son successeur dans l’imposture Raphaël Glucksman à propos de la Syrie.
«Le fardeau de l’homme blanc», théorisé par l’anglais Kipling, est un alibi commode, le thème récurrent à toutes les équipées prédatrices du Monde occidental.

B) – L’Égalité :

L’exception française est une singularité : Premier pays à avoir institutionnalisé la terreur comme mode de gouvernement, avec Maximilien de Robespierre, sous la Révolution française (1794), la France sera aussi le premier pays à inaugurer la piraterie aérienne, en 1955, avec le déroutement de l’avion des chefs historiques du mouvement indépendantiste algérien Ahmad Ben Bella, Mohamad Khider, Mohamad Boudiaf et Krim Belkacem), donnant ainsi l’exemple aux militants du tiers-monde en lutte pour leur indépendance.

La récidive dans la singularité est aussi un trait de l’exception française: En effet, ce pays jacobin, égalisateur et égalitaire se singularisera, aussi, en étant le seul pays au monde à avoir officialisé le « gobino-darwinisme juridique », à avoir codifié en Droit « la théorie de l’inégalité des races », une codification opérée sans discernement, pour promouvoir non l’égalité, mais la ségrégation.

La «Patrie des Droits de L’Homme» et des compilations juridiques modernes -le code civil et le code pénal- est aussi le pays de la codification discriminatoire, le pays de la codification de l’abomination: le pays du «Code Noir» de l’esclavage, sous la Monarchie, du «Code de l’indigénat» en Algérie, sous la République, qu’il mettra en pratique avec les «expositions ethnologiques», ces «zoos humains» dressés pour ancrer dans l’imaginaire collectif des peuples du tiers monde l’idée d’une infériorité durable des «peuples de couleur», et, par contrecoup, la supériorité de la race blanche comme si le blanc n’était pas une couleur, même si elle est immaculée, ce qui est loin d’être le cas.

Ce principe d’égalité est pourtant l’un des principes fondateurs de la République, entériné comme bien commun de la nation depuis deux siècles. Que n’a-t-on songé à le mettre en œuvre auparavant ? A croire que la laïcité ce concept unique au monde ne s’est forgé que pour servir de cache-misère à un chauvinisme récurrent de la société française.

Les hochets offerts épisodiquement non aux plus méritants mais aux plus dociles, en guise de lot de consolation, loin d’atténuer cette politique discriminatoire, en soulignent la parfaite contradiction avec le message universaliste de la France. Ils l’exposent à de douloureux retours de bâtons.

C) – Fraternité :

Le Bougnoule, la marque de stigmatisation absolue, le symbole de l’ingratitude absolue.

La fraternisation sur les champs de bataille a bien eu lieu mais la fraternité jamais. Jamais pays au monde n’a autant été redevable de sa liberté aux peuples basanés et pourtant jamais pays au monde n’a autant compulsivement réprimé ses alliés coloniaux, dont il a été lourdement redevable de sa survie en tant que grande nation.

De Fraternité point, mais en guise de substitut, la stigmatisation, la discrimination, la répression à profusion, enfin dernière mais non la moindre des trouvailles, la « cristallisation des pensions des anciens combattants », qui constitue à proprement parler, en dépit des circonvolutions du langage, un salaire ethnique, inique et cynique.

Par deux fois en un même siècle, phénomène rarissime dans l’histoire, ces soldats de l’avant, les avant-gardes de la mort et de la victoire auront été embrigadés dans des conflits qui leur étaient, étymologiquement, totalement étrangers, dans une «querelle de blancs», avant d’être rejetés, dans une sorte de catharsis, dans les ténèbres de l’infériorité, renvoyés à leur condition subalterne, sérieusement réprimés aussitôt leur devoir accompli, comme ce fut le cas d’une manière suffisamment répétitive pour ne pas être un hasard, à Sétif (Algérie), en 1945, cruellement le jour de la victoire alliée de la seconde Guerre Mondiale, au camp de Thiaroye (Sénégal) en 1946, et, à Madagascar, en 1947, sans doute à titre de rétribution pour leur concours à l’effort de guerre français.

Pour aller plus loin sur ce thème :

A noter qu’en Grande Bretagne, contrairement à la France, la contribution ultramarine à l’effort de guerre anglais a été de nature paritaire, le groupe des pays anglo-saxons relevant de la population Wasp (White Anglo Saxon Protestant), -Canada, Australie, Nouvelle Zélande-, a fourni des effectifs sensiblement égaux aux peuples basanés de l’empire britannique (indiens, pakistanais etc.).
Il s’en est suivi la proclamation de l’Indépendance de l’Inde et du Pakistan en 1948, au sortir de la guerre, contrairement, là aussi, à la France qui s’engagera dans dix ans de ruineuses guerres coloniales (Indochine, Algérie).

L’affirmation peut paraître péremptoire, n’y voyons aucune malice, mais correspond néanmoins à la réalité historique : Le clivage communautaire a préexisté en France dans l’esprit des autorités et des citoyens du pays d’accueil bien avant qu’il ne prenne corps dans l’esprit des migrants.
Par transposition du schéma colonial à l’espace métropolitain, l’immigré en France a longtemps été perçu comme un indigène, ce qui faisait paradoxalement de l’immigré, l’indigène de celui qui est étymologiquement l’indigène, une main-d’œuvre relevant de la domesticité de convenance, dont l’expatriation assurait sa subsistance et l’obligeait par voie de conséquence à un devoir de gratitude envers le pays hôte.

6- La France, la « Partie de la déclaration des Droits de l’Homme » et non « la Patrie des Droits de l’Homme ».

Loin d’être la «Patrie des Droits de l’Homme», la France est tout au plus la «Patrie de la Déclaration des droits de l’Homme», selon l’expression de l’ancien ministre socialiste de la Justice, Robert Badinter, artisan de l’abolition de la peine de mort.
Le titre de «Patrie des Droits de l’Homme» reviendrait à des pays plus méritants en la matière, la Suède par exemple.
Quant à la France, elle porte, elle, les stigmates des abus des Droits de l’homme qu’elle a commis au nom des Droits de l’Homme. Les pensionnaires des établissements psychiatriques de la région de Marseille en portent un témoigne silencieux et douloureux.
«La France n’aime pas qu’on lui présente la facture de son histoire. Elle préfère se présenter comme l’oie blanche innocente qu’elle n’a jamais été. Ce n’est pas ainsi que perdure une grande nation, mais en respectant ses valeurs. Le dire, c’est servir son pays. Le nier, c’est l’offenser». Noël Mamère, ancien député écologiste. Cf. « Pas à un paradoxe près, la France reconnaît le génocide des . CF blogs.rue89.nouvelobs.com› Rue89 › Noël toute l’année.

Références

1 -«D’une rive à l’autre, des vies fragiles» Photographies et recueil de paroles. Edité par La Frachi. Ouvrage réalisé avec le soutien financier de la Direction régionale et départementale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale et de la Fondation de l’Abbé Pierre, ainsi que l’AMPIL, action méditerranéenne pour l’insertion par le logement. ISBN 978- 2- 9546- 761 1, Prix 18,00 euros

2- Les déportés d’Algérie en Nouvelle Calédonie : Près de deux milles algériens ont été déportés en Nouvelle Calédonie. Très exactement 1822 déportés, condamnés de droit commun dont une partie importante sont des condamnés pour des actes de rébellion réprimés par le Code de l’indigénat ou pour leur participation aux insurrections successives connues par l’Algérie lorsqu’elle a été conquise par la France. Les plus célèbres, parmi lesquels 76 notables, sont les déportés qui ont mené et participé aux insurrections de 1870 et 1871 en Algérie, qui ont débuté à Souk Ahras et qui se sont propagées à Borj Bou Arreridj et ont ainsi fini par la révolte des Mokrani en Kabylie. Cette révolte mena à la déportation de tous les instigateurs du soulèvement, notamment les familles Rezgui et Mokrani.
Pour les déportés durant la guerre d’Algérie, cf sur ce lien
http://www.les-crises.fr/quand-la-france-deportait-2-millions-d-algeriens/

3- Bellounis, militant messaliste de la première heure, ce chef d’un groupe MNA passera, entre avril 1957 et mars 1958, un accord avec l’armée française pour «pacifier » l’Algérie c’est-à-dire débarrasser le pays de l’ALN. Cconfronté à la fois à une offensive du FLN et à des actions répétées de l’armée française, est au pied du mur. Seules deux portes de sorties se présentaient alors : se rallier à l’armée française ou se rallier au FLN. Hostile -pour nombre de militants et maquisards messalistes il s’agit d’un euphémisme -aux «frontistes» et à leurs desseins hégémoniques, il propose aux autorités militaires ce n’est pas un ralliement mais une sorte de trêve. Et voilà donc Bellounis et son armée, -l’ANPA- qui reçoit des autorités françaises armes, munitions, argents, médicaments. En contrepartie l’autoproclamé général s’engage à lutter contre le FLN mais aussi à ne déposer les armes « u’après la solution du problème algérien».
Dans sa stratégie qui consiste à mettre en place des contre-maquis aux maquis de l’ALN, l’armée française réussira avec Bellounis autrement mieux qu’avec l’épisode kabyle des Iflissens qui s’est soldé en 1956, pour les autorités coloniales par un désastre (voir Camille Lacoste-Dujardin, Opération oiseau bleu, La Découverte, 1997).
Certes, d’une centaine d’hommes en mai 1957, l’armée de Bellounis comptera au début de l’année 1958 près de 8 000 hommes, armés, encadrés et, si l’on en croit le rédacteur de ce document, convaincus qu’un jour ou l’autre il faudra bien «remonter au djebel» et reprendre la lutte pour l’indépendance, c’est à dire mettre un terme à cet accord qui n’est qu’ «une mise en veilleuse» de la lutte contre la France.
L’armée de Bellounis respectera – en partie seulement – les termes de l’accord. Ses rapports avec les autorités militaires seront marqués par la méfiance et une tension, perceptible dès septembre 1957. Les pressions de l’armée française seront continuelles et croissantes, au point qu’en mars 1958 Bellounis ordonne à ses hommes de reprendre le maquis.
Il semble que l’échec de Bellounis – qui trouvera la mort en juillet 1958 au cours d’un accrochage avec une unité française – soit moins liée à la réaction française qui passe à l’offensive le 21 mai 1958 contre un groupe de Bellounis, qu’à l’incapacité du «général» messaliste à gérer politiquement les fruits d’un montage militaire qui dans un premier temps et sur le terrain sert ses intérêts. Il ne saura jamais faire valoir l’intérêt de son «bluff» à la direction du MNA et à Messali Hadj.

Informations éditeur
Marque éditoriale FRACHI
Type de société Auto-édition
Isbn 978-2-9546761
Nationalité France
Adresse Siège social
14  RUE  des Dominicaines
13001  Marseille
France
Téléphone:  04.96.17.63.40
Télécopie:  04.96.17.63.41
Téléphone portable:  06.80.92.73.35
Email:  frachi.paca@yahoo.fr

 

Où trouver l’ouvrage
  • Librairie « L’Odeur du Temps » – 35, Rue Pavillon 13001 Marseille. Téléphone : 04 91 54 81 56
  • Transit Librairie – 45, Bd De la Libération 13001 Marseille. Téléphone : 04 13 04 02 60
  • ISBN du livre 978 2 9546 7611 1

René Naba

Journaliste-écrivain, ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de l'AFP, puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, responsable de l'information, membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme et de l'Association d'amitié euro-arabe. Auteur de "L'Arabie saoudite, un royaume des ténèbres" (Golias), "Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l'imaginaire français" (Harmattan), "Hariri, de père en fils, hommes d'affaires, premiers ministres (Harmattan), "Les révolutions arabes et la malédiction de Camp David" (Bachari), "Média et Démocratie, la captation de l'imaginaire un enjeu du XXIme siècle (Golias). Depuis 2013, il est membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme (SIHR), dont le siège est à Genève et de l'Association d'amitié euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l'Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l'Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève. Editorialiste Radio Galère 88.4 FM Marseille Emissions Harragas, tous les jeudis 16-16H30, émission briseuse de tabous. Depuis le 1er septembre 2014, il est Directeur du site Madaniya.

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6 commentaires
  • Très bon texte
    GH

  • Baudouin Mélanie 17 mars 2018 à 20h53

    Une fois de plus la fine, incisive et juste plume de René a frappé… pour au mieux réveiller les conscience et au pire s’éloigner toujours un peu plus de l’ignorance, de la fatalité et de l’indifférence à nos (parfois vieux) voisins algériens déracinés qui souffrent dans le silence de leurs âmes… Un sourire, une parole, une écoute bienveillante… qu’attend t-on pour aller vers l’Autre? à trop de retenue, on passe à côté d’humains qui auraient pu nous faire grandir encore de leur richesse cachée.

  • Abdel Kader Benouiche 20 mars 2018 à 15h03

    bonjour,
    Je suis psychiatre à Alger, en retraite depuis peu. J’ai lu votre article sur le traumatisme algérien à Marseille et j’ai été très intéressé par le soubassement historique des répercussions psychiatriques qui affectent la communauté algérienne. En contrepoint, je voudrais attirer votre attention sur un fait historique, passé sous silence, probablement à cause de la difficulté à réunir des informations suffisantes. Je vous le livre en souhaitant que vous puissiez faire des recherches qui amplifieront ces faits: peu après le débarquement français à Alger de 1830, les asiles d’Aix et de Marseille, en difficultés budgétaires, demandent à l’administration coloniale de procéder à l’expédition vers ces asiles des « aliénés indigènes », selon la terminologie coloniale, pour boucler des fins de mois difficiles. Si cela peut être démontré auprès des archives, on est en présence d’une information de taille: les premières déportations de masse ont concerné les malades mentaux algériens, embarqués manu militari vers les asiles du sud de la France.
    J’espère avoir suscité votre intérét sur cette question et attend votre réponse. A bientôt.

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    =
    Que reste-il des traumas liés à la colonisation française en Algérie ?
    Plus de 50 ans après la fin de colonisation française en Algérie, les traumas de cet épisode de l’histoire restent profondément ancrés et actuels. Karima Lazali, psychologue clinicienne et psychanalyste à Paris et à Alger s’est penchée sur les effets psychiques et politiques de l’oppression coloniale en Algérie dans son livre “Le trauma colonial”. Dans une longue enquête, celle-ci observe que les descendants subissent les conséquences des mécanismes de déni et de silence imposés par la colonisation. Entretien.
    Dans l’introduction de votre livre, vous indiquez que bon nombre de vos patients français souffrent de cet héritage colonial, alors qu’ils venaient consulter à la base pour des symptômes qui n’avaient a priori rien avoir avec l’oppression coloniale en Algérie. Comment ce trauma a-t-il pu s’installer aussi profondément et parfois inconsciemment ?
    Karima Lazali – Depuis l’indépendance, il y a eu très peu de possibilités pour les gens de pouvoir s’exprimer. Il y a eu très peu d’espaces pour laisser place à des expressions plurielles. C’est là où réside le problème. Au fur et à mesure des générations, il s’est produit un emmurement dans le silence. C’est cela dont les personnes héritent aujourd’hui. Il reste tabou de parler librement de ce qu’était la colonisation ou des positions des grands-parents et des parents français durant la colonisation. La colonisation française en Algérie a fait l’objet de censure extrêmement claire et qui a persisté dans le temps. Dès que quelque chose touche à ce sujet, tout est mis en place dans le débat public pour que l’on ait pas l’impression que cela s’adresse à la population française, qu’on n’ait pas la sensation que celle-ci ait été concernée par cette partie de l’histoire française. Alors que s’est déjà constituée un profond métissage de la société française tout se passe comme si à chaque fois il n’était question que de reconnaître les crimes et les destructions pour les Algériens, et non pour sa propre population. Cette situation contribue à emmurer les générations dans le silence. Le débat est très vite réduit à “pour ou contre” “bienfaits/méfaits” “glorification/honte”. Il n’existe pas d’espace pour une pluralité représentative de ce que fut la colonialité et le rapport des individus au pouvoir colonial et donc pour un travail de mémoire.
    Comment se manifeste le trauma colonial chez les descendants ?
    Il se manifeste quand les gens ont l’occasion d’en parler. Pour l’instant, faire passer cela par la parole est difficile. C’est au moment où il y a une occasion possible, dans l’espace public, que les gens se mettent à parler de ce que leurs parents ou grands-parents ont vécu. Ils ont l’impression d’avoir été tenus en dehors de l’histoire. Contrairement à d’autres événements historiques, la colonisation ne fait pas partie pleinement des questions qui sont facilement débattues. Bien sûr, si vous vous intéressez à cette question, vous allez lire des livres d’histoire et il n’en manque pas sur le sujet. Mais cela reste dans une niche, cela ne circule pas. Il n’y a pas assez d’occasions, pour l’instant, aménagées dans l’espace public pour que les gens puissent avoir l’impression que leur histoire, leurs petites histoires à eux, puissent être entendues, reconnues et donc d’entrer dans les mémoires.
    Comment expliquer qu’il existe très peu de travaux sur les effets psychiques de la colonisation comme vous le signalez dans votre livre?
    Cela découle des silences et des censures qui ont toujours été partie intégrante du fait colonial. Le projet colonial s’est construit sur ces mécanismes très précis et aussi sur l’effacement. Il s’est également basé sur l’impression que le monde colonial est un monde binaire, un monde divisé entre eux et nous, qu’il n’y a pas de place pour autre chose que cette réduction entre deux parties qui se font la guerre. Ces mécanismes-là de la colonialité continuent à se transmettre.
    En dehors des travaux de Frantz Fanon, il n’y a, à ma connaissance, pas de travaux qui traitent des spécificités des traumatismes liés à la colonisation. C’est l’une des raisons pour laquelle j’ai écrit ce livre. Alors qu’en France, nous sommes à la troisième génération de descendants de migrants, c’est quand même impressionnant de se dire que dans une société où il y autant d’enfants héritiers de l’immigration et donc de l’histoire franco-algérienne, il n’y ait pas de travaux qui traitent des traumatismes psychiques de la colonisation. Beaucoup de choses sont mises en place pour maintenir l’injonction du silence et de l’effacement. Le crime colonial était à effacer en permanence.
    Comment parvenir à se défaire de ces mécanismes ?
    Il faut d’abord admettre qu’il y a un énorme chantier à entamer. Et que ce chantier ne concerne pas uniquement les historiens, il faut tenir compte de leurs travaux pour que dans plusieurs disciplines cette question puisse avoir droit au chapitre. Ensuite, il faut ouvrir des lieux dans l’espace public où les individus ont l’impression que leur histoire peut exister et qu’elle n’est pas à éliminer des débats consensuels.
    Comment la question de la colonialisation est-elle abordée en Algérie par rapport à la France ?
    Il existe des traitements qui sont similaires mais aussi des choses qui sont à l’exact inverse. En Algérie, la colonisation semble centrale, au niveau des discours, au niveau des prises de positions, on a l’impression que tout est mis en place pour ne pas oublier l’histoire coloniale. En même temps, rien n’est mis en place pour que cette histoire coloniale puisse être abordée pleinement dans une diversité et dans un régime non binaire, du style “Eux” et “Nous”. C’est là-dessus que la France et l’Algérie se rejoignent. Cette binarité qui fabrique de l’élimination et de l’exclusion est un phénomène spécifique de la colonialité et persiste jusqu’à ce jour. La colonialité est bien incrustée au niveau de ce que nous pouvons nommer les “mentalités”. Elle tisse les préjugés et les soubassements de la vie politique des deux pays.
    Vous vous basez tout au long de votre livre sur des extraits de littérature algérienne. Quelle est la portée et l’importance de ces textes sur le travail de mémoire?
    Il est très difficile d’entrer dans le travail de mémoire à partir des individus. Pour qu’un trauma fasse trace, il faut le reconnaître. Si vous ne reconnaissez pas qu’un événement ait été traumatique, il ne peut pas faire trace et reste incrusté à l’intérieur de soi comme un bloc. Dans ce cas-ci, il s’est incrusté par quelque chose qui n’a pas encore fait trace par défaut d’une réception dans l’espace public suffisante, aussi bien en Algérie qu’en France, bien que pas de la même façon. En Algérie, la colonisation a plutôt tendance à faire une sorte de bouchon pour éviter la diversité. En France, les crimes et autres destructions coloniales oscillent entre le désaveu et le déni.
    Toute la question est de comment fabriquer de la trace. Comment reconnaître quelque chose qui s’est inscrit en blanc relève d’un événement très précis de l’histoire avec des déterminations politiques, sociales, linguistiques…. Il fallait que je trouve le moyen de reconstituer l’histoire telle qu’elle s’est déroulée. Pour cela, il me fallait du texte, que je trouve les mots qui correspondent à ce blanc tel qu’il s’est transmis. J’ai été les chercher chez les écrivains algériens. La littérature algérienne, essentiellement de langue française sur laquelle je me suis basée, est une littérature du refus de l’asservissement envers toute forme de projet totalitaire. Il y a eu une sorte de concomitance historique entre l’émergence des plus grands textes littéraires algériens et l’extrême violence de la colonisation. Ce qui a amené à ce que les hommes laissent des traces, à ce que les écrivains soient pris dans la nécessité de fabriquer des traces qui n’arrivaient pas à s’inscrire pour cause de politique d’effacement.
    Le 13 septembre dernier, Emmanuel Macron a reconnu l’existence d’un système de torture par l’armée française pendant la guerre d’Algérie et la responsabilité de l’Etat français dans le meurtre de Maurice Audin en 1957. Quel impact cette déclaration peut-elle avoir sur les Algériens et les Français?
    L’impact le plus fort est sur la population française. Le nom de Maurice Audin est un nom très connu en Algérie, il n’est pas sûr que cela soit le cas en France, alors qu’il était Français. C’est là que l’on voit que le traitement de la question coloniale n’est pas le même dans les deux pays. A Alger, il existe une place Maurice Audin, sa mémoire est inscrite dans l’espace public, ce n’est pas le cas en France. Le geste d’Emmanuel Macron est très important pour la population française. Il s’agit d’un geste d’autorisation, il lève les censures. Ce qu’Emmanuel Macron dit en reconnaissant le crime d’Etat sur Maurice Audin est qu’il y a eu crime d’Etat sur un Français et non sur un indigène. Cela change tout puisque la République est censée protégée ses citoyens. Là on voit bien que parce que cet homme avait des positions républicaines anticoloniales il a été traité de la même manière qu’un Algérien.
    Ce geste permet de sortir du raisonnement binaire, du “eux” et du “nous”. La question n’est pas Algérien ou Français, elle est comment est-ce que la colonisation divise la population entre ce qui relève du pacte républicain et ce qui relève de son refus dans la colonisation.
    Comment créer une histoire commune entre la France et l’Algérie autrement que par la guerre ?
    Cette histoire est possible par des gestes de reconnaissance, d’abord le travail des historiens. Si le politique se met à tenir compte de leurs travaux cela avancerait les choses. Ce n’est pas le cas pour le moment. C’est notamment pour cette raison que la France a mis tant de temps à reconnaître l’assassinat de Maurice Audin, alors que les faits étaient avérés.
    De plus en plus, des écrivains et cinéastes algériens sont invités en France. Comme s’il y avait une soif de connaitre cette nouvelle génération, porteuse d’une autre voix. Celle-ci cherche à inventer une nouvelle histoire à partir des arts et des créations artistiques diverses. C’est donc par l’invention artistique et la recherche scientifique qu’une troisième voie peut être en train de se négocier en ce moment.
    Les traumatismes psychiques de la colonisation pourront-ils encore se faire sentir dans les générations futures ? Les descendants des descendants subiront-ils toujours les conséquences d’une certaine manière ?
    Il faut arrêter cette transmission-là qui dure déjà depuis longtemps et fait bien des ravages. Cela doit passer par des actes politiques. Sans cela, cette transmission du trauma pourra perdurer. Seulement, on voit que des différences commencent à émerger parmi les générations. La troisième génération ne ressemble pas à la deuxième, et la deuxième génération pas à la première. Il y a un besoin de savoir, même si le politique continue à être divisé. De plus en plus de travaux et de productions artistiques sont menés par des personnes en Algérie et en France qui n’ont vécu ni la colonisation ni la guerre. Ils donnent un nouveau tempo au débat. Ils sont pris par la quête d’une sortie possible à l’endroit de la guerre et de la catastrophe. Par contre, la question de l’héritage et de responsabilité est épineuse et urgente.
    Propos recueillis par Louise Hermant
    https://statics.lesinrocks.com/content/uploads/2018/09/le-trauma-colonial.jpgKarima Lazali, Le trauma colonial, Editions La Découverte,
    Par Louise Hermant
    Interview à écouter : https://www.rts.ch/play/radio/sous-les-paves/audio/karima-lazali-le-trauma-colonial?id=9880647&station=a9e7621504c6959e35c3ecbe7f6bed0446cdf8da

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