Afrique-Football : Sus aux négriers du football

Afrique-Football : Sus aux négriers du football 938 440 Nicolas Keraudren

L’élection d’une nouvelle équipe dirigeante à la tête de la Fifa devrait mettre un terme à la bourrasque judiciaire et médiatique ayant précipité la chute de l’ancienne direction, ouverte d’opprobre du fait de son rapport avec l’argent illicite. Elle pourrait inciter la nouvelle direction à se pencher sur un nouveau grave dysfonctionnement qui pourrait affecter durablement la réputation d’un des sports préférés de la planète: la chasse aux clubs négriers.

Après le Fifagate, le scandale des attributions des Coupes du Monde à la Russie et au Qatar, voilà un nouveau chantier qui s’ouvre à la police du Football mondial: la chasse aux clubs négriers, recruteurs de mineurs africains à bas prix, talentueux mais sans expérience, pour une revente ultérieure à prix prohibitifs une fois consacrés sur la scène internationale.

Carton rouge pour l’Atlètico Madrid et le Real Madrid

Trois clubs espagnols sont dans le collimateur de la FIFA : Deux clubs prestigieux -l’Atlètico Madrid et le Real Madrid- viennent de se voir administrer un carton rouge par l’institution morale du football, le 14 janvier 2016 ; une sanction motivée par «des transferts internationaux de mineurs». Un troisième club espagnol, le FC Barcelone, avait été également sanctionné le 2 avril 2014 avant le rétropédalage de la FIFA, qui a donné un caractère suspensif à sa décision.

Étonnantes sanctions aux yeux du grand public, habitué de voir des joueurs de toutes origines de plus en plus jeunes, fouler le carré vert du foot-business. Ces grands clubs au palmarès remarquable, dont la popularité dépasse les frontières espagnoles et même européennes, se permettraient-ils d’enfreindre les règlements de la FIFA ?

Aussi surprenant que cela puisse paraître, le transfert international de mineurs est interdit. L’article 19 du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs réglemente les flux externes de jeunes footballeurs.
Cette disposition obéit toutefois à trois exceptions – a priori – strictes :

  • La première autorise le transfert du joueur, si les parents s’installent dans le pays du club recruteur pour des raisons autres que le football.
  • La seconde, si le transfert est effectué au sein de l’Union Européenne ou de l’Espace Économique Européen pour un joueur âgé d’au moins 16 ans.
  • La troisième, si le joueur vit «tout au plus à 50 kilomètres d’une frontière nationale».

Force est de constater que les clubs espagnols visés ne sont pas en conformité avec les exceptions prévues. Une pratique pourtant courante dont profitent de nombreuses académies étrangères installées en Afrique, souhaitant dénicher les talents locaux.
Ces joueurs quittent ensuite leur pays, attirés par les sommes extravagantes proposées, pour évoluer dans les championnats financièrement attractifs, voire même changer de nationalité.

L’académie «Aspire»: un aspirateur de talents à la manière du Qatar

Institution fondée en 2004 par l’ancien Émir du Qatar, l’ordonnateur du «printemps arabe»-, l’Académie Aspire fonctionne à la manière d’un aspirateur de talents selon le mode opératoire de la pétromonarchie, dans une parfaite synergie avec les grands du BTP espagnol et les clubs sanctionnés.

Le souverain déchu Cheikh Hamad Ben Khalifa al-Thani, est également le fondateur de la Qatar Foundation, ancien sponsor maillot du FC Barcelone. Florentino Pérez, président du Real Madrid, est lui fondateur du groupe Actividades de Construccion y Servicios (ACS), impliqué dans la construction d’infrastructures pour le Mondial 2022 au Qatar. Tout baigne dans la plus parfaite harmonie entre sport et business.

L’académie qatarie a été mandatée «pour fournir une éducation sportive et scolaire aux étudiants ayant un potentiel sportif, dans un environnement d’apprentissage et de formation exceptionnel » indique son site internet. La formation dispensée n’est donc pas exclusivement footballistique, l’intérêt étant également de former les jeunes à d’autres disciplines sportives comme l’athlétisme ou encore la gymnastique. À titre informatif, le Real et le Barça sont également des clubs omnisports.

Aspire est actuellement dirigée par Ivan Bravo, ancien directeur stratégique du Real Madrid et représentée par d’anciennes grandes gloires du football comme Raul Gonzalez Blanco ou encore Léo Messi.
L’académie se targue également de la visite de grands noms du sport espagnol au sein de son siège à Doha: Rafael Nadal, Pep Guardiola, Luis Aragones, Iker Casillas, Fernando Hierro, Rafael Benitez, Sergio Ramos…
Afin d’étendre son aire d’influence, le formateur qatari a décidé d’implanter son fief africain au Sénégal, par le biais d’un programme: «Aspire Football Dreams».

Cette installation s’est effectuée sous la houlette de Lamine Savané. Cet ancien basketteur, fils d’un ancien ministre sénégalais et d’une ancienne haute fonctionnaire internationale, a notamment exercé sa fonction de conseiller auprès du Real Madrid. Josep Colomer, auparavant formateur au FC Barcelone, a également été à l’initiative du projet.
Ces deux personnalités, hautement respectées dans les milieux sportifs et en Afrique permettent à l’académie, et donc au Qatar, de garantir sa mainmise sur le continent africain.

Autre facteur de légitimité, le caractère «humanitaire» accordé au projet par l’académie elle-même. Selon nos informations, Aspire souhaiterait effectivement construire de nombreuses infrastructures sociales et sportives dans la ville côtière de Sally, son fief africain.
Taqiyya irait Bakary Sambe ! En d’autres termes, une simple dissimulation du véritable agenda de l’académie pour justifier sa présence en Afrique.

Pire, l’académie Aspire n’est aucunement affiliée à la fédération sénégalaise de football comme tous les clubs ou centres de formation peuvent l’être traditionnellement. De ce fait, l’académie n’est pas liée aux règlements et aux statuts de la FIFA. Elle peut donc recruter de nombreux joueurs sur l’ensemble du continent pour leur dispenser une formation.
Les nombreuses autres académies sénégalaises affiliées, elles, à la fédération, ne peuvent naturellement recruter des joueurs en dehors des frontières sénégalaises.

Mathieu Chupin, Président de l’AS Dakar Sacré Cœur, est quelque peu «gêné de constater que certains de ses joueurs sont en concurrence avec d’autres qui ne sont pas directement liés à la fédération» pour les sélections nationales de jeunes.

Les meilleurs joueurs formés dans l’académie Aspire sont ensuite transférés en Europe afin de se conformer aux exigences du haut niveau. Notamment au KAS Eupen, club belge de deuxième division avec lequel l’académie qatarie a un partenariat et dont elle est le principal sponsor maillot.

Dans ce cas précis, bien que le joueur n’appartient plus à l’académie, celui-ci n’est pas perdu de vue. Le président du conseil d’administration de ce club n’est autre que Tariq Al Naama, vice-président d’Aspire. Le directeur sportif est Josep Colomer, à l’origine du projet africain de l’académie qatarie. Colomer, faut-il le rappeler, est un ancien membre de la Masia, le centre de formation du FC Barcelone. Le principe des vases communicants en somme.

Au total, sur un effectif de 30 joueurs au 5 janvier 2016, 12 sont africains originaires du Sénégal, du Nigeria, du Cameroun, du Ghana, d’Afrique du Sud et du Mali. La moyenne d’âge de ces joueurs est de 20,8 ans.
Tous sont arrivés à l’âge de 18 ans, conformément au Règlement de la FIFA. Évidemment, il s’agit d’un club affilié à la fédération internationale qui est donc tenu de respecter les normes éthiques.

L’académie se défend néanmoins de vouloir naturaliser ces jeunes talents africains pour les bienfaits du Qatar dans l’optique du Mondial 2022. Une critique récurrente pour la pétromonarchie après avoir organisé les championnats du monde de Handball en 2015 et naturalisé plusieurs joueurs qui n’ont pas été formés par l’académie Aspire. L’équipe était toutefois entraînée par l’espagnol Valero Rivero, autre ancien entraîneur de la maison Barça.

Au sein de l’équipe première de football du Qatar, notamment deux joueurs africains ont été naturalisés. Il s’agit de l’ex-algérien Boualem Khoukhi né en 1990 et de l’ex-ghanéen Mohammed Muntari, né quant à lui en 1993. Ces deux joueurs n’ont pas non plus été formés à l’académie.

Seul joueur permettant de douter de la volonté d’Aspire, Serigne Abdou Thiam, né au Sénégal en 1995, diplômé du programme Aspire Football Dreams en 2013. Ce joueur ne peut plus, à présent, porté les couleurs des lions de la Teranga, son pays de naissance, ayant été naturalisé et jouant à présent pour la sélection espoir du Qatar.

Le développement de l’Afrique: une clé de lecture loin des considérations premières

Un trafic qui ne dit pas son nom et qui modifie considérablement la donne en la matière. Il n’est plus simplement pécuniaire, comme il l’était traditionnellement.

Depuis maintenant une quinzaine d’années, l’association Foot Solidaire est engagée contre le trafic de jeunes footballeurs principalement en Afrique.
Au centre de son activité, la protection des joueurs mineurs, proies « d’agents » véreux n’ayant aucun lien avec la FIFA et promettant monde et merveilles aux jeunes talents en échange d’une somme conséquente. Résultat, ces jeunes joueurs se retrouvent sans papier, ni domicile fixe dans leur nouveau pays « d’accueil ».

Un problème majeur, absent des programmes des candidats à la Présidence de la FIFA. Et pourtant, l’association Foot Solidaire estime que 15 000 mineurs issus de 10 pays d’Afrique de l’Ouest émigrent chaque année pour évoluer dans les meilleurs championnats, majoritairement en Europe.
Il a également été démontré que les joueurs africains quittent leur pays bien plus jeunes –18,6 ans en moyenne– que leurs homologues européens ou latino-américains.

Selon Jérôme Champagne, baroudeur du football, cette problématique est partie prenante «du développement du continent africain».
En d’autres termes, la traite négrière des temps modernes ne pourra être réglée que lorsque les clubs africains auront la possibilité de conserver leurs joueurs, ce qui sous-entend une attractivité financière des championnats locaux.

Un bien long périple contre l’intérêt direct des clubs européens. Pour rappel, les 20 clubs les plus riches en Europe cumulent 6,2 milliards d’euros de revenus, lorsque qu’une grande majorité des fédérations nationales de football survit avec moins de 2 millions d’euros.

Nicolas Keraudren

Journaliste indépendant, titulaire d'un master de l'Institut Géopolitique de Paris - Université Paris VIII Saint Denis.

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