Médias arabes 1/2 : La déconfiture des médias arabes pro-atlantistes du «printemps arabe»

Médias arabes 1/2 : La déconfiture des médias arabes pro-atlantistes du «printemps arabe» 938 440 René Naba

Les médias arabes pro-atlantistes paraissent frappés de déconfiture, sept ans après le lancement de la contre révolution arabe sous couvert de la séquence dite du « printemps arabe », en superposition au craquèlement du syndicat des pétromonarchies du Golfe consécutif à la guerre entre l’Arabie saoudite et le Qatar, les deux incendiaires wahhabites de la planète.

Cette déconfiture met en perspective la mort programmée de la presse périphérique arabe, jadis par excellence l’instrument privilégié de la stratégie oblique de contournement des gouvernements occidentaux et arabes depuis près de deux siècles.

1 – Vers une réduction de la voilure du journal Al Hayat

Al Hayat, longtemps fer de lance de la guerre médiatique saoudienne, jadis journal de référence de l’élite intellectuelle arabe, paraît devoir réduire sa voilure, conséquence de la crise financière dans laquelle se débat la presse écrite arabe, -particulièrement les publications parrainées par l’Arabie saoudite, un royaume en pleine tourmente financière-, et de la crise politique qui oppose au sein de la famille royale, le propriétaire du journal, le Prince Khaled Ben Sultan, à son cousin le nouveau prince héritier Mohamad Ben Salmane.

Al Hayat a ainsi décidé de quitter son siège de Londres, qui fut pendant deux décennies le centre de son rayonnement européen et se replier vers Doubaï, alors que bon nombre d’employés du quotidien ont reçu leurs indemnités de fin de service.

L’important bureau régional de Beyrouth paraît devoir reduire sa voilure, en juin 2018, dans la foulée de la décision du Journal de mettre l’accent sur l’édition éléctronique du quotidien.

Pour aller plus loin sur ce sujet:

La direction du journal a ainsi décidé de maintenir la version papier des éditions destinées à l’Arabie saoudite et aux Emirats Arabes Unis, et de lui substituer la version exclusivement électronique pour les éditions à destination de l’Egypte, du Liban et de l’Europe occidentale. Ce même régime s’appliquera à la Revue «LAHA» (Elle), membre du groupe Al Hayat.

Ancien interface du général Norman Schwarkzoff, commandant en chef de la coalition internationale durant la première du Golfe (1990), le Prince Khaled Ben Sultan, -alors abusivement désigné par la presse saoudienne comme codirigeant de la coalition-, était en fait chargé de l’intendance, le ravitaillement du corps expéditionnaire de 500.000 soldats américains, européens et arabes.

De par ses fonctions lucratives, il avait glané quelques trois milliards de dollars de rétrocommissions. Un pactole qui lui avait permis de s’emparer du journal libanais « Al Hayat », avec le soutien de son père, à l’époque ministre de la défense du royaume, le Prince Sultan Ben Abdel Aziz.

Sur ce lien, le rôle du journal Al Hayat, roue dentée de la diplomartie américaine

http://www.renenaba.com/les-tribulations-de-la-presse-libanaise-2/

Jadis tout puissant, le clan Ben Sultan, –Khaled Ben Sultan et Bandar Ben Sultan, ancien commandant en chef du djihadisme international– est en pleine disgrâce face à l’émergence de la coqueluche de la nouvelle dynastie wahhabite le Prince Mohamad Ben Sultan (MBS), fils du Roi Salmane et ambitieux prince trentenaire.

A – MBC, sous la coupe de Mohamad Ben Salmane

La Chaîne MBC avait déjà montré la voie, il y a une décennie, désertant les brumes de Londres pour les pics de pollution de Dubaï. En 2017, MBC a dû licencier 50 employés de son bureau régional de Beyrouth à la suite de la baisse de ses recettes publicitaires de l’ordre de 25 pour cent.

Al Charq Al Awsat lui a emprunté le même chemin y concentrant désormais à Dubaï l’essentiel de ses activités dans le Monde arabe, alors qu’Al Qods Al Arabi, le rival médiatique des médias saoudiens, a perdu de son éclat et de sa pertinence depuis son rachat en 2014 par le Qatar et le départ de son fondateur, Abdel Bari Atwane.

Sur ce lien, le rôle d’Al Charq Al Awsat dans la collecte de fonds du djihad afghan

Fondée en 1990 par le beau frère du Roi Fahd Al Ibrahim dans la foulée de l’invasion américaine de l’Irak en vue d’acccompagner la politique atlantiste dans la zone, MBC a été chronologiquement la première chaîne tranfrontière arabe. Disposant de quinze canaux, cette chaine off shore a assumé un rôle prescripteur de l’opinion arabe avant l’apparition de sa rivale du Qatar en 1995, Al Jazeera.

Privé de subsides publicitaires avec l’arrivée du Roi Salman, MBC a dû démenager vers Doubai avant de tomber dans l’escarcelle de Mohamad Ben Salmane, lors du coup de force du prince héritier contre ses porpres cousins germains, dont Walid Ben Talal, dans le cadre de sa lutte contre la corruption, le 4 novembre 2017. Dans sa boulimie le prince a annexé l’autre chaine saoudienne Al Ikhbaria à son propre goupe de presse, le groupe As Sharq al Awsat.

B – « New Arab »

« New Arab », « Les Arabes Nouveaux », qui se proposait à l’instigation du Qatar de prendre la relève d’Al Qods Al Arabi, sous la houlette du transfuge communiste palestinien Azmi Bishara et du supplétif français Bourhane Ghalioune, apparaît six ans après sa parution comme une caricature de la presse, une caricature des Arabes, une caricature de la nouveauté, une caricature des nouveaux Arabes.

Sans doute l’un des plus influents éditorialistes arabes, Abel Bari Atwane, le fondateur d’Al Qods Al Arabi, a lancé, lui, le journal en ligne « Ar Rai Al Yom », éclipsant par son audience et sa pertinence la totalité des médias saoudiens réunis.

Sanctionnée d’une chute vertigineuse de son audience du fait de son alignement sectaire sur la ligne confrérique du Qatar, Al Jazeera a perdu, elle, en même temps que sa crédibilité, son rôle prescripteur de l’opinion arabe.

C- Al Arab TV

Une autre chaîne, «The Arab TV», basée à Manama, a dû, elle aussi, fermer au terme d’un fonctionnement le plus court des annales des médias, -jour-, victime à la fois de la censure du Bahreïn, en pleine fermentation contestataire et de la vive rivalité opposant son propriétaire, le prince Walid Ben Talal à son cousin, le Prince Mohamad Ben Salmane, qui se veut l’unique représentant de la génération de la relève des princes saoudiens.

Le prince Walid a ainsi renoncé à la constitution d’un empire médiatique, fermant sa chaîne télévisée, cinq ans après la fermeture de son bouquet satellite du groupe ROTANA (cinq canaux) opérant sur Arabsat.

Son conseiller de presse, Jamal Khashooggi, et directeur de la Chaîne «Al Arab» a été placé en résidence surveillée en Arabie pour sa participation jugée indue à un débat aux États Unis sur l’élection de Donald Trump et libéré au bout de neuf mois de rétention pour être finalement autorisé à refaire usage de ses réseaux sociaux.

D- MURR TV : 50 employés sur le tapis pour prix d’un recentrage politique.

Un autre milliardaire a dû aussi serrer les cordons de la bourse et expédié sur le tapis une cinquantaine de ses employés. Invoquant une baisse de ses recettes publicitaires, MURR TV, la chaîne de Michel Murr, bailleur des fonds des équipées des milices chrétiennes durant la guerre civile et père d’Elias El Murr, président d’Interpol, s’est débarrassé du correspondant de la station auprès des groupements djihadistes, dont il était devenu l’apologiste, Hussein Khreiss, de même que du Directeur de l’Information Amjad Iskandar, un proche de Samir Geagea, le chef des Forces Libanaises.

Ce plan d’économie s’est accompagné d’un recentrage politique afin de placer la chaîne en phase avec la ferveur populaire qui s’est emparée de la population libanaise en faveur du Hezbollah lors de sa victorieuse offensive contre les groupements terroristes islamistes dans la zone frontalière syro-libanaise d’Ersal.

2- Le naufrage de l’Empire financier de Saad Hariri et de son groupe médiatique (Radio Orient, Future TV, Al Mostaqbal)

Enfin, Radio Orient, le relais arabophone de la France dans sa guerre médiatique contre la Syrie, a, elle aussi, subi une purge drastique réduisant considérablement ses prestations, conséquence de la quasi faillite financière de son propriétaire Saad Hariri.

Sur ce lien, le poinnt de la situation sur Radio Orient

Ses autres médias satellites -la chaîne libanaise « Future TV » et le journal en langue arabe Al Mostaqbal-, ont eu droit au même traitement énergique de dégraissage ; un total de 200 employés sur le tapis.

Signe de sa déconfiture, le chef du clan saoudo américain au Liban, -de nouveau premier ministre du Liban au terme d’un exil de cinq ans, grâce au «feu vert» de son rival absolu, le Hezbollah libanais-, a dû même céder ses actions dans l’Arab Bank, la plus grande banque arabe, à un consortium saoudo jordanien, indice indiscutable de son désarroi financier, alors que son entreprise phare «Saudi Oger», -au passif financier de l’ordre de 10 milliards de dollars-, a été déclarée en cessation de paiement par son parrain saoudien excédé par la gabegie de son poulain.

AH la terrible ingratitude d’un commanditaire vaincu : Au plus fort de la guerre de Syrie, Saad Hariri n’avait pourtant pas hésité à missionner, au mépris de son statut parlementaire, son factotum chiite, le député Okab Sakr auprès des djihadistes islamistes de Syrie, afin de les ravitailler, depuis la zone frontalière turque, en armes, munitions et rémunérations, ravitaillement pudiquement qualifié de «lait en poudres et couvertures».

En vain. Exit Saad Hariri de toute présence significative financière en Arabie Saoudite, un pays dont il porte pourtant la nationalité.

C’est cet homme-là, un premier ministre failli d’un empire financier failli, que François Hollande a gratifié d’une distinction honorifique française, l’élevant au grade de «Commandeur dans l’ordre de la Légion d’Honneur», au même titre que l’ancien prince héritier saoudien le Prince Mohamad Ben Nayef, lui aussi gratifié du même grade, trois mois avant son éviction.

Ah le terrible égarement de la caste politico médiatique française. La réception de Saad Hariri par le nouveau président français Emmanuel Macron, l’été 2017, au lendemain de l’éradication des groupements djihadistes dans la zone frontalière syro-libanaise, visait à détourner l’attention sur l’écrasante victoire du Hezbollah, matérialisée par la reddition de Daech à la milice chiite, dont le premier ministre libanais s’était d’ailleurs abusivement attribué le mérite.

La complaisance des médias français à l’égard de Saad Hariri lors de sa visite à Paris, a révélé, par contre coup, le rôle que la France entendait assigner à l’héritier déconfis dans la reconstruction de la Syrie.

Pas un média, pas plus le journal le Monde que C8, la chaîne de télévision dont le propriétaire Vincent Bolloré caresse le projet de participer au chantier d’agrandissement du port de Tripoli (Nord-Liban), n’avait interrogé l’homme d’affaires libano saoudien sur le licenciement arbitraire, sans indemnités, de plusieurs centaines d’employés français de sa firme Saudi-Oger, en cessation de paiement; Ni non plus sur le sort de plusieurs milliers d’employés de diverses nationalités privés de ressources et d’indemnités, dans la pure tradition du capitalisme sauvage.

Exclue du gigantesque marché de syrien, de l’ordre de 350 milliards de dollars, du fait de sa belligérance exacerbée à l’encontre de la Syrie, la France envisageait de confier à Saad Hariri le rôle de cheval de Troie des entreprises françaises dans une opération à double détente destinée à renflouer un de ses derniers points d’ancrage au Liban, en même temps que de reprendre pied en catimini en Syrie.

Avanie suprême, les deux superstars de la vie médiatique internationale, Walid Ben Talal et Saad Hariri, deux binationaux libano saoudiens, ont été déchus de leur piédestal le même jour par le pouvoir royal saoudien.

Walid Ben Talal a été placé en résidence surveillée sur ordre de son cousin germain, le Prince héritier Mohamad Ben Salmane, dans le cadre de la campagne saoudienne de la lutte contre la corruption, le 5 novembre 2017, de même que Walid Al-Ibrahim, fondateur de la Chaîne MBC et beau frère du défunt du Roi Fahd, alors que Saad Hariri, -sans précédent dans les annales diplomatiques internationales-, était forcé à la démission de son poste de chef de gouvernement libanais et placé en résidence surveillée à Ryad, otage d’un Royaume impétueux.

Pour aller plus loin sur ce sujet c.f, les liens suivants

3 – An Nahar : Gébrane Tuéni ou la fin de l’esbroufe journalistique

Il en a été de même du journal libanais «An Nahar», la roue dentée de la diplomatie atlantiste du Monde arabe, objet, lui aussi, d’un important plan de licenciement, de l’ordre d’une centaine d’employés, conduisant le quotidien à se concentrer sur le numérique sous la houlette de sa nouvelle dirigeante inexpérimentée Nayla Tuéni, fille de Gébrane Tuéni.

An Nahar, qui a abrité une cohorte d’éditocrates verbeux n’ayant produit le moindre scoop depuis dix ans, est désormais l’ombre de lui-même. Un astre mort.

Le parcours de Gébrane Tuéni, assassiné en 2005, constitue à cet égard un cas d’école des alliances politiques rotatives du Liban de l’après-guerre civile, avec une prédilection particulière toutefois pour la fréquentation du grand capital et les hommes de pouvoir au faîte de leur autorité, notamment Michel-El-Murr, Michel Aoun ou Rafic Hariri.

L’homme, qui a bâti sa réputation comme le chantre d’un libanisme intégral pur et dur, d’une spécificité chrétienne libanaise, devra son élection au siège de député de Beyrouth lors de la première consultation électorale libanaise suivant le retrait syrien, en juin 2005, à l’important apport de voix musulmanes exigé de ses électeurs par son chef de liste Saad Hariri pour sauver de la déconvenue son nouvel allié richement doté mais mal-aimé.

Avide et cupide, soucieux de rentabilité «Gaby» avait coutume durant son absence du Liban de louer aux mafieux de la drogue sa voiture blindée offerte par Rafic Hariri.

Nul au sein de la commission d’enquête internationale ne s’est hasardé à fouiller cet aspect marécageux du dossier de son assassinat, sans doute pour ne pas écorner le processus de construction du mythe du «martyr de la presse libanaise».

Pis ! Au terme de quatre générations (Gébrane, Ghassane, Gébrane, Nayla), si la succession dynastique est assurée dans ce journal fondé en 1933, elle ne le sera pas à titre patronymique en ce que le fils de la directrice, Gébrane Malek Maktabi, né en 2010, porte un nom de famille en référence à son père Malek Maktabi, animateur d’un talk-show à la chaîne libanaise LBC et héritier d’une importante famille chiite d’importateurs de tapis persans.

An Nahar s’est offert au milliardaire libano saoudien Rafic Hariri, puis au milliardaire saoudo libanais, le Prince Walid Ben Talal, avant de se flétrir par péremption du produit.

«An Nahar» est désormais, paradoxalement supplanté par son rival beyrouthin, le dernier né de la scène médiatique libanaise, «Al-Akhbar», à la tonalité davantage nationaliste et constitué non moins paradoxalement d’anciens collaborateurs de la famille Tuéni excédés par les dérives autocratiques et politiques du clan. Malgré le recrutement de transfuges de l’ancien vivier communiste libanais, «An-Nahar» s’apparente, par moments, de même que son compère francophone «l’Orient – le Jour», par ses tendances irrédentistes et ses préoccupations libano centristes, à un bulletin paroissial face à la grande configuration journalistique du Moyen- Orient.

A n’y prendre garde, son étoile, longtemps brillante au firmament de la constellation de la presse arabe, pourrait ne devenir qu’un simple phénomène d’hystérésis : une étoile, brillante certes mais éteinte…brillante uniquement dans l’imaginaire de ses anciens lecteurs, au titre du fantasme.

Pour aller plus loin sur ce sujet, voir ce lien :

Dans le camp adverse, le journal «As Safir», le porte-parole de la coalition palestino progressiste lors de la guerre du Liban (1975-1990), a cessé sa parution faute de moyens, alors que le quotidien libanais «Al Akhbar» et la chaîne «Al Mayadeen», fondée par des contestataires à la ligne islamiste d’Al Jazeera, se taillent une place de choix dans le paysage médiatique arabe, de même que la chaîne du Hezbollah «AL MANAR» à la crédibilité incontestable.

René Naba

Journaliste-écrivain, ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de l'AFP, puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, responsable de l'information, membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme et de l'Association d'amitié euro-arabe. Auteur de "L'Arabie saoudite, un royaume des ténèbres" (Golias), "Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l'imaginaire français" (Harmattan), "Hariri, de père en fils, hommes d'affaires, premiers ministres (Harmattan), "Les révolutions arabes et la malédiction de Camp David" (Bachari), "Média et Démocratie, la captation de l'imaginaire un enjeu du XXIme siècle (Golias). Depuis 2013, il est membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme (SIHR), dont le siège est à Genève et de l'Association d'amitié euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l'Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l'Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève. Editorialiste Radio Galère 88.4 FM Marseille Emissions Harragas, tous les jeudis 16-16H30, émission briseuse de tabous. Depuis le 1er septembre 2014, il est Directeur du site Madaniya.

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